Rhapsodie mexicaine - chapt 5 / Zone de libre échange
sanka
Zone de libre échange
Le ciel est encore obscur lorsqu'Alessandro et moi nous éveillons pour partir à Chihuahua.
Top week-end, maugrée Alessandro, en lavant délicatement ses cheveux avec le shampoing prévention antichute pour homme, acheté après l'interview des fondateurs d'un important cabinet d'implants capillaires. Son slogan « Sans suture, ni cicatrice ! » retentit encore dans sa tête, tel un gong l'avertissant d'une calvitie inéluctable. La prédiction vient du révolutionnaire centre HAIRLAB - dont la foi dans l'avenir du micro implant est inébranlable et les ambitions quasi interplanétaires -, alors la prophétie pèse lourd.
Ce sont des spécialistes !, peste-t-il, le cœur gros. La co-fondatrice, une saisissante créature aux jambes lianes étroitement couvertes d'un pantalon argenté, ne plaisantait pas quand elle a susurré à Alessandro : « Ils ne sont pas si bien accrochés que ça, n'est-ce pas ? » Il était en train de faire l'imbécile à la fin de l'interview en prétendant lutter pour arracher une poignée de ses cheveux. Il y avait de la commisération dans ses yeux. De la pitié ! Ça lui avait mis un sacré coup au moral. Depuis cet instant, sa tignasse, qu'il trouvait jusqu'alors tout à fait convenable, lui parait affreusement fine et fragile. En réaction, il est devenu adepte des produits Elsève pour homme, remettant sa confiance toute entière à L'Oréal, dont il se dit qu'ils ont bien dû avancer sur ce terrain, avec tous les tests qu'ils font subir aux animaux.
De mon coté, j'ai du mal à émerger. J'ai passé la nuit à me battre contre des démons invisibles. Dom, encore endormi, est chaudement enfoui sous la couette. Je l'embrasse délicatement. A son contact, je ressens une impulsion sauvage dans le bas ventre. J'aurais tant aimé qu'on baise à en oublier l'avenir. J'envie Morphée, la salope qui me vole mon homme toutes les nuits.
Quand je sors de la chambre, je trouve Alessandro dans la cuisine, qui sirote un café serré. La mécanique matinale est bien huilée. Il me tend une copie de l'interview qu'il a préparée. Je prends mon dossier. Carmen a déposé les billets d'avion sur le guéridon. Nous sortons dans l'air craquant de l'aube. Lucinda nous attend dans la voiture, le moteur en marche. J'ouvre la fenêtre pour profiter de la fraicheur ambiante.
Les énormes artères de la ville ne sont pas encore encombrées par les millions de voitures qui s'y déverseront sans faute dans moins d'une heure. Le périphérique sud offre une fluidité inhabituelle, presque surnaturelle. La voiture semble survoler une piste déserte, dont les amples lacets se répandent dans la gigantesque cité de Mexico. La capitale fédérale s'allume peu à peu, ses 22 millions d'âmes s'éveillant lentement sous une voûte céleste qui s'éclaircit de rose et de parme.
Alessandro somnole à l'arrière de la voiture. Je m'apprête à m'excuser auprès de Lucinda pour piquer un somme, moi aussi. Mais l'expression de la chauffeuse me trouble. Ses yeux gonflés semblent sur le point de lui sortir de la tête.
- Ca va ? Pas trop dur ce matin ?, je lui demande.
- Non, pas trop.
Lucinda marque une pause et marmonne :
- Je me lève toute la semaine à 5 heures du mat pour amener la petite au lycée, donc ça ne me change pas…
- C'est vrai… Je ne sais pas comment tu fais !, je m'exclame d'une voix souffrante, prête à arrêter là l'échange de courtoisie qui contrarie mon désir de m'assoupir.
Lucinda pense silencieusement qu'elle n'a pas le choix. Après un instant, elle continue :
- Enfin, t'es pas obligée de me parler, Mathilde. De toute façon, je risque pas de m'endormir.
Bon. Visiblement, Lucinda a envie de discuter. Moi, je déteste discuter à l'aube. Seulement, je me fais un point d'honneur à être agréable avec la chauffeuse. Encore un truc dont je me foutais quand j'étais coordinatrice. Maintenant, je me fais des points d'honneur sur ce genre de choses. Parce que je n'ai jamais eu de domestique et que je tiens à ne pas devenir une de ces bourges si froides qu'elles en oublient leur savoir vivre avec la plèbe. Alors je prends la peine de regarder Lucinda, à nouveau, et lui trouve un air presque désemparé. Je me résouds douloureusement à fournir un effort de communication :
- Excuses moi, tu sais que je ne suis pas causante quand je me réveille… Mais tes yeux sont… enfin, tu as l'air fatiguée… tu es sûre que ça va ?
Lucinda détourne son visage vers la vitre puis le redresse pour regarder la route. Sa lèvre inférieure tremble, au bord du sanglot. Je pense Merde, je ne vais pas dormir, en posant malgré tout une main sur son épaule :
- Que se passe-t-il, Lucinda ?
En général, la chauffeuse est d'humeur égale. Mais une larme s'échappe de l'œil droit de Lucinda, dessinant une trace sombre et chargée de mascara sur la joue rebondie.
Elle chiale à cause de la Quinceañera ?, je me demande bêtement.
La fille de Lucinda va bientôt avoir 15 ans. Au Mexique, ce n'est pas une mince affaire. En cet honneur, les parents organisent une fête dont la taille et l'importance est comparable à celle d'un mariage. Il s'agit de rendre grâce au Bon Dieu car la jeune fille a été suffisamment bénie des Cieux pour atteindre cet âge frontière, qui la sort des charmes de l'enfance pour l'amener vers ceux de la séduction charnelle. En cet honneur, on fête dignement son entrée dans la féminité et on déguise la gamine en princesse à robe longue et bouffante, souvent pastel. Il n'est pas encore temps de se la jouer fatale mais ça ne saurait tarder. Je suppose que ce rite initiatique coûte une blinde à ma chauffeuse. Plus de 150 invités sont attendus. Lucinda fait les choses en grand, comme il se doit. Réservation d'une salle de réception, d'un traiteur, d'un DJ, de mariachis, invitations pour chacun, enregistrement d'une liste de cadeaux au grand magasin « Liverpool », cours de danse pour une représentation devant les convives, achat de tenues diverses pour les chorégraphies interprétées par la jeune fille, régime pour tout le monde… La liste est longue.
Lorsque l'équipe est arrivée au Mexique, l'organisation était déjà bien lancée et la date fatidique s'approche maintenant à grands pas. Plus que quelques jours… La fête sera donnée le vendredi suivant, au tout début des vacances de Noël. « La petite est Capricorne et l'astrologie voit juste, te lo juro[1] ! Elle est obstinée comme une chèvre », a soupiré Lucinda la semaine dernière, l'air écrasée par la fatalité.
- C'est la Quinceañera de ta fille qui te stresse ?, je lui demande.
- La Quinceañera ? Heu… Ça me préoccupe, oui… mais…
Je me dis que cette célébration est machiste. Fête-t-on les 15 ans des petits mecs, dans ce pays ? Bien sûr que non. Par contre, on présente les filles comme au marché aux bestiaux. Tout juste si on ne leur demande pas de dévoiler leurs dents… Comme ça, on pousse ouvertement les mères dans le groupe des femmes mûres, voire, avariées ! Lucinda n'a que 36 ans, ça doit l'angoisser, pensons-nous, moi et ma trentaine bien entamée. A y réfléchir, je me sens moi aussi un peu bousculée par cette histoire de Quinceañera. Je redemande, du ton bas qui me vaut généralement de dénouer secrets et confidences :
- C'est sûr qu'au niveau symbolique, c'est un sacré passage ! Ça doit donner un coup de vieux… C'est dur pour les femmes de voir leur fille devenir un objet de séduction, non ?
- Hein ? Oui, enfin, ma fille est encore un grand bébé, quand même !
- Pas simple d'admettre le temps qui passe, je continue.
Le visage de Lucinda se tend dans une expression belliqueuse. Elle crache le morceau :
- Mais non ! Ça n'a rien à voir avec ça ! C'est ce pendejo de Juan Pablo !, explose-t-elle.
- Quoi ?, je sursaute. Juan Pablo ?
Lucinda et Juan Pablo semblent tellement amoureux quand on les voit ensemble ! Toujours à roucouler comme des pigeons au printemps. Tout juste si Juan Pablo ne fait pas gonfler ses plumes en secouant le bec, pour attirer sa belle.
- Je ne peux pas…je ne devrais pas te le dire… Excuse-moi, je n'arrive pas à cacher mes émotions… je… je suis comme un livre ouvert…
La chauffeuse émet un bref sanglot de dépit, mais elle continue.
- J'ai honte… je… je ne sais pas comment expliquer…
Puis elle déclare, débordée par sa rage:
- Oh, je m'en fous ! Je vais te l'avouer ! Je l'ai vu baiser avec une autre, voilà ce qu'il y a ! Je l'ai vu !!! Et il avait l'air d'aimer ça, le salaud !
J'ouvre de grands yeux. Ça me réveille complètement, pour le coup.
- Quoi ? Pardon ?… Je ne comprends pas… Tu es tombé sur Juan Pablo et… quelqu'un d'autre?
Oh putain, je me dis. C'est clair que je ne vais pas fermer l'œil !
- Non, je ne suis pas tombée dessus, c'est pire!! J'ai été une imbécile. D'une faiblesse sans fond !, explique-t-elle avec emphase. Et maintenant, je m'en veux et je lui en veux encore plus… et je me demande si je vais m'en remettre, ajoute-t-elle d'une petite voix craintive.
Je la regarde, déconcertée, sans mot dire, sans comprendre. Mon calme incite visiblement Lucinda à continuer.
- Tu le sais, je te l'ai dit. J'ai jamais eu de chance avec les mecs. Même pas celle du débutant. Mon ex mari, dont je croyais qu'il était l'homme de ma vie, m'a trompé après 8 ans de mariage. Et pas avec n'importe quelle petite pute ! Avec la femme de mon frère ! Tu imagines les dégâts que cette trahison a causés... Un divorce. Les larmes, le désespoir… pendant des mois. L'impression de n'être rien. Si ce n'est la salope qui annonce à son frangin que sa femme le cocufie avec son beauf… C'était l'horreur. La télénovela. Je t'assure que la réalité dépasse la fiction... Voir mes enfants blessés par ma décision de partir et être incapable de changer d'avis. Ne pas réussir à pardonner à mon mari. Malgré les conseils de mon entourage, qui me disait de fermer les yeux. Même ma mère ! Alors quand j'ai rencontré Juan Pablo, on s'est promis de ne pas faire les mêmes erreurs et de tout se dire. De tout partager. Si bien que lorsqu'il m'a parlé de ces endroits… où les couples en profitent… se rapprochent… j'ai pensé que je préférais être là plutôt que d'avoir un autre homme qui me mente. Si c'est inévitable, qu'ils aillent voir ailleurs, ces chiens… autant accepter, non ? C'est toujours mieux que d'être prise pour une tarte… Alors hier soir, quand nous avons décidé d'aller à la « Luna Llena », je me suis préparée. Je voulais être la plus belle, tu vois, pour qu'il ne regarde que moi. Faut être con quand même, pour aller dans une boite échangiste et penser que ton type ne va faire que te regarder comme si tu étais la reine de Sabah. En fait, je suis la reine, mais la reine des connes, c'est tout. Tel est mon Royaume, chuchote-t-elle.
- Mais non, j'ose à peine susurrer pour ne pas interrompre le flot de paroles.
- Pourtant, je m'étais mise une robe de soie rouge, très décolletée, sexy au possible. J'avais les nichons au moins jusque là, dit-elle, indiquant son menton d'un index manucuré, dont l'ongle long s'orne d'un minuscule brillant. Enfin, voilà que nous entrons dans la discothèque. Au début, j'aime bien, je me sens assez à l'aise, c'est joli… Les lumières sont douces, plutôt rougeoyantes, intimes quoi… Les autres sont bien habillés. On se sent entre gens élégants, raffinés… Pas que ça m'arrive si souvent, mais j'aime bien ça. On nous offre du champagne. Juan-Pablo, pas avare, prend une bouteille. Il nous en verse une coupe, nous trinquons, amoureux. Je lui avais dit : moi, c'est simple, je suis plus tendance exhib. Si on fait quelque chose, c'est simple, c'est juste pour se montrer. Regarder, c'est autorisé bien sûr. Mais on n'est pas là pour coucher avec d'autres gens. On est bien entre nous. On n'a besoin de personne. On est là pour mettre un peu de piment, c'est tout. C'est la malédiction du Mexicain, ça, tu sais ? On veut mettre du piment partout.
Je hoche la tête en révisant fiévreusement les attitudes passées que le couple a eues à mon égard… Ils sont échangistes ? Où est donc passé le Très Saint Esprit de l'Eglise Catholique ?... Je me disais bien que Lucinda et Juan-Pablo étaient très souriants, trop souriants, chaleureux d'une façon étrangement intime, avec un coté tactile que j'avais vite fait de mettre sur le compte de leur « mexicanité »… Juan-Pablo me faisait-il du gringue alors, quand il m'avait invité à danser, l'autre soir, ahanant à chaque refrain « Devorame otra vez » à mon oreille ?
- Donc nous voilà au bar. On commence à danser, à se chauffer… à s'embrasser. Juan-Pablo fait glisser ma bretelle, il picore mon épaule. Je me rends compte qu'il matte une petite brune, qui est en couple elle aussi et qui est assise avec son fiancé au bar. Elle voit que je la regarde à mon tour, elle me sourit et nous invite à les rejoindre. Là, je me demande si vraiment c'est une bonne idée de sympathiser, mais j'écoute pas mon instinct, j'écoute mon homme, comme une imbécile. En gros, Juan-Pablo me laisse pas le temps de réfléchir. Il me prend par la main et je le suis. On les rejoint. La conversation est finalement plutôt agréable, alors je me détends. C'est seulement la dixième fois qu'ils se font ce genre de plan, nous disent-ils. On leur explique que pour nous, ils sont des experts, vu que de notre coté c'est la première, même si ça fait des mois qu'on en parle et qu'on se demande si on y va ou si on y va pas. Le gars est plutôt mignon et a du charme. Il me raconte l'histoire de leur première incursion dans les cercles échangistes et je me laisse aller à l'écouter, sans trop penser à plus. J'avoue que je suis un peu émoustillée par la situation mais ce dont je me doute pas, c'est qu'il est en train de faire diversion pendant que sa femme commence à tripoter mon Juan Pablo. Et voilà que quand je tourne la tête, je vois mon homme en train d'aider madame à fêter ses 10 fois en se faisant cirer le manche !
Les doigts de Lucinda se crispent sur le volant. Elle me lance un regard perçant et mouillé.
- Tu me juges pas, n'est-ce-pas ? Oh… je ne devrais pas parler comme ça ! Je suis désolée de te raconter tout ça, c'est juste que j'ai fait une énorme bêtise… Je ne sais pas si je vais supporter… ce qui s'est passé… ensuite…
- Oui, qu'est-ce qui c'est passé ?, implore Alessandro avec ardeur.
Il est redressé, les mains sur le siège avant de la voiture.
- Oh… Vous devez penser du mal de moi, maintenant que j'ai raconté tout ça !, gémit Lucinda, alarmée par le réveil brutal d'Alessandro.
Ce pervers est excité, je spécule. Evidemment, ça fait des mois qu'il vit comme un moine. Je l'ignore et m'adresse à Lucinda, dont l'accablement semble s'être amplifié.
- Mais non, Lucinda, bien sûr que je ne te juge pas, je la rassure. Pas vrai Alessandro, on s'en fiche, n'est-ce pas ?
- Oui, oui, soutient Alessandro en opinant énergiquement du chef.
- Chacun fait ce qu'il lui plait, je continue. Je ne savais pas que toi et Juan Pablo jouiez à ces petits jeux… mais enfin, vous faites ce que vous voulez…
- C'est vrai ça, vous faites de ce que vous voulez !, répète Alessandro.
La voiture amorce son dernier virage avant l'aéroport.
- On est arrivé, dit Lucinda. Je vous laisse là. Je n'aurais rien du révéler. Je devrais apprendre à me taire, à ne pas tout partager !, ajoute-t-elle, consternée.
Puis elle éclate en pleurs brusques et incontrôlés :
- Pendejoooooooooo !
Alessandro et moi tentons de la tranquilliser.
- Jésus,Marie, Joseph et tous les saints, je ne pourrais plus vous regarder en face après ces déclarations indignes !, brame-t-elle en frappant sa poitrine, qui tressaute généreusement sous le regard aimanté d'Alessandro. Laissez-moi, je quitte tout, y compris ce sale con !
Elle n'a pas à s'inquiéter, lui promet-on aussitôt, affolés à la perspective d'une démission et inquiets à l'idée de rater l'avion. Alessandro lui assure que nous sommes de viles Européens dont la réputation sulfureuse a des fondements concrets, vérifiables, réels. Qu'elle ne se soucie pas de notre jugement d'occidentaux pervers, nous avons grandit à Babylone, dans un environnement entaché par le vice, nous avons été arrosé par l'engrais de la permissivité et de la luxure. Rien ne nous choque, rien ne nous surprend, et tout ce que l'on dit sur le Vieux Continent est vrai, jure-t-il. Lucinda le regarde timidement, ses yeux brouillés légèrement rassérénés.
- C'est vrai ?, l'adjure-t-elle.
Il répond avec solennité :
- C'est vrai.
L'embelli sur le visage de la chauffeuse est de courte durée.
- Que cabróóóóóóón !, se lamente-t-elle avant de lever son visage doux vers moi. Et toi ?, somme-t-elle, l'air suspicieux.
- Heuu… Ma grand-mère est lesbienne, je lui assure, d'un ton définitif, alors tu vois, ça a fait du foin quand grand-papa l'a su. Te fais pas de mouron... J'en ai vu d'autres…
Lucinda finit par promettre fidélité au poste. Elle nous regarde marcher jusqu'à la porte vitrée de l'entrée du terminal 1, l'air sombre. Que vont-ils penser de moi ?, se demande-t-elle avec angoisse. Que idiota soy ! Elle reprend la route, ne sachant pas où aller. Elle ne veut pas retourner chez elle.
Alessandro est quant à lui hautement réjouit par la scénette de la voiture. Malgré l'heure matinale, il affiche un grand sourire. « J'y crois pas, j'y crois pas », répète-t-il avec le ton d'un perroquet sous speed. « Ils vont à des partouzes ? Pour s'exhiber ? Franchement, je vais lui demander l'adresse de son club… je te jure que j'y vais. Je suis sûr qu'il y a des nuits pour homme seul. Attention, j'suis pas PD ! Je veux dire des nuits pour que les hommes seuls rendent service aux couples en détresse, assujettis par leurs désirs sexuels. Je suis leur homme ! Alessandro, à votre service messieurs dames. Préparez vous ! C'est que j'en peux plus ! J'ai pas niqué depuis… » Il compte sur ses doigts et s'arrête, contrarié. « Un sacré bail ! … J'ai la main droite qui va avoir des calles dans pas longtemps, à ce rythme là ! Et pas à cause des travaux des champs, si tu vois ce que je veux dire… Je veux bien croire qu'il faut être son propre meilleur ami, mais là, je sature… Sacrée Lucinda !! Bon sang, ces Mexicaines, on les croit Sainte Nitouches… et en fait, c'est de la braise ! Prête à tout pour garder leur homme, les cochonnes… Si je m'écoutais… ». Il agite sa main ouverte d'avant en arrière, comme s'il s'apprêtait à mettre une fessée magistrale à un postérieur dévergondé en mal de correction sévère. « Mais ce qui est dommage, c'est qu'elles sont pas belles, en général. Moi je les aime grandes, les femmes. Alors qu'ici, c'est le pays des naines… Et puis les filles, je les veux minces et bien foutues. Avec des seins, quoi. Mais y'a plus d'obèses au kilomètre carré au Mexique qu'aux Etats-Unis, c'est dire… C'est quand même pas habituel dans ce pays de voir une vraie belle femme… D'ailleurs, t'as vu le succès que t'as ici ? »
D'entre mes dents, je murmure : « Ta gueule. »
Découvrir Lucinda sous cette lumière crue et impudique enflamme l'imagination d'Alessandro, je le vois bien. Tellement que pendant le vol, il en vient même à me contempler rêveusement. Dans sa divagation éveillée, je devine qu'il m'amène fermement aux toilettes pour me régler mon compte avec une volupté toute italienne. Un sourire flotte sur son visage tandis qu'il m'imagine le remerciant avec effusion, le visage éclairé par cette révélation : « Alessandro, j'ignorais qu'on pouvait ressentir un tel plaisir ! » Il doit me soupçonner d'être mal baisée par mon grand méchant mou de peintre. Et il a raison.
Avant d'atterrir, ému par la complicité toute nouvelle qui s'est nouée entre nous, il me demande d'arranger sa cravate. Je le toise avec mépris. Qu'il refasse lui-même son nœud ! La pensée de son vermisseau rabougri, caché derrière l'étoffe brillante du costume, m'assaille tandis que nous marchons d'un pas rapide vers la sortie de l'aéroport.
Beurk, je me dis, en conclusion.
[1] Je te jure
Putain comme c'est bien écrit, et ça coule bien.
· Il y a plus de 10 ans ·effect
Merci beaucoup ! C'est cool ;)
· Il y a plus de 10 ans ·sanka