Ride

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Ride

Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi j’aime la moto. Moyen de transport dangereux et inutilement bruyant, outil de frime ou engin de délinquant, les adjectifs ne manquent pas. Pourtant, même si pour beaucoup la moto rentre dans ces catégories, pour les quelques vrais passionnés de moto il n’en est rien.

Avachi dans le canapé, la fenêtre ouverte pour sentir l’odeur d’un après-midi de printemps, tout en se grattant les couilles devant les émissions délicieusement pathétiques de MTV, l’après-midi avance lentement. Des parents sur le point de divorcer, une recherche constante d’avenir pour ne pas finir clodo, c’est un peu mon quotidien. Pesant, bien lourd. « Sweet sixteen » vient de finir. Toujours un peu envie de vomir de voir ces petites pétasses avoir tout ce qu’elles veulent et en plus de constater qu’elles n’ont aucun goût. Je me lève pour aller à la fenêtre. Il fait bon. Si j’étais heureux au fond de moi ce serait une bonne journée.

L’envie me prend sèchement ! Comme une envie de pisser qui me vient d’on ne sait où. Mais ça vient de plus loin encore, c’est encore plus fort. Je veux rouler. Dans le fourbi infâme de ma chambre, posé en vrac entre des magazines les manettes et les jeux de Xbox, les vêtements sales … ou propres. J’attrape mon pantalon en cuir. Pas d’accoutrement fluo, flambant neuf. Un pantalon noir, usé, aux sliders râpés. Ma deuxième peau. Une fois enfilée (ce n’est pas si simple en vérité… c’est serré) je descends jusqu'à mon garage. Je mets mes bottes. J’attrape mon cuir sur le porte manteau et je me dirige vers elle.

A chaque fois que les néons s’allument et la découvrent, c’est comme si c’était la première fois que je la voyais, Ducati 748, intemporelle, parfaite, inutilement bruyante et dangereuse. Tout ce que j’aime. J’enfile mon cuir. Noir aussi, aucune fioriture, juste mon armure. Casque, gants et enfin je ferme ma visière. Je recule la moto dans la cour. Je m’assoie dessus, caresse le réservoir et glisse la clé dans le Neiman. Contact. L’aiguille du compte tours fait son aller-retour alors que je sens la pompe à essence s’amorcer. Mon pousse se pose sur le bouton de démarreur. Une seule pression, un léger coup de gaz « BROAAR » en un frisson mon cerveau et relié directement au moteur. « ClaK » la première s’enclenche. J’embraye doucement et pars tranquillement le temps que le bicylindre chauffe. Je traverse mon village au ralentit, certaines personnes se retournent, d’autres s’en foutent et en vrai, moi aussi. Je fais des petits virages pour chauffer les pneus. Pas de grosse accélération, pas de gros freinage, je laisse ma belle se réveiller, se chauffer avant de vraiment commencer à  m’amuser. C’est mon warm up, le moment de répertorier tout ce que tu peux perdre si tu loupe un virage à 130. Le temps de finir à moitié la liste que je suis arrivé en bas du col.

Point mort. Je me recule et pose mes main sur le réservoir. Je ne peux pas m’empêcher de lui parler. « Prête ?» Un bruit pénible de 4 cylindres Moulinex se rapproche. Un motard passe juste devant moi. Nos regards se croisent. Dans ma tête que deux mots : « ouuuh TOI ! »  Il tourne sa poigné et part à toute vitesse. J’ai un objectif. Je m’engage sur la route et : GAZ !!

La roue avant quitte à peine le sol, elle flotte par dessus le goudron qui défile à toute allure, je me couche sur le réservoir et regarde loin. Tout s’envole, plus de problème, plus d’avenir, seulement la route moi et ma moto, je ne peux plus mourir… et l’autre qu’il faut rattraper. La roue retrouve le goudron, le guidon vibre légèrement. Premier freinage je sens du bout des doigts les plaquettes pincer le disque. Je lâche et balance la moto dans le virage. La température est parfaite. Les enfilades rapides passent à fond, couché sur la moto, les jambes serrées sur le réservoir, je m’engouffre dedans. Au prochain gros freinage mon objectif. Ca ne sera pas si dur. L’aiguille du compte tours s’envole, le moteur frôle les 11 000 tr/min. Un grand gauche. Je déhanche, le genou tendu vers la route.  Je sens le goudron faire fondre le plastique de mes sliders, je continue de coucher la moto et commence à remettre les gaz. L’objectif n’est plus très loin. Je remonte dessus, quelle tanche se mec ! Il freine trop, ne penche pas et accélère comme une fiotte. Un vrai jambon. Je le passe au freinage et lui ferme la porte du virage le genou au sol. Il est surement dégouté. Non, il est dégouté ! Je sors du virage la voiture en face me fait des appels de phares. «  Il a peur ?? Il y a un radar ?? Il s’est gouré de comodo, il voulait mettre les essuie-glaces ?? » Je m’en fous ça passe ! Je continue l’ascension sans ralentir. Les pneus travaillent à chaque virage. De temps à autre le bout de ma botte vient lui aussi frotter le bitume. La sensation est différente, c’est du métal qui râpe. C’est la sensation qui me fait dire « ha je pensais pas pencher autant là ». Ligne droite, de nouveau couché sur elle, le moteur grimpe dans les tours, la vitesse n’est plus légale depuis…. Elle ne l’a jamais été en fait mais là c’est pire. Gros freinage, j’écrase progressivement le levier, l’avant plonge et les rapports de vitesse tombent deux par deux. L’arrière glisse et se décale légèrement dans un crissement typique. Je couche la moto et passe le virage. Nouvelle accélération. Je l’aime. Les virages passent, le paysage défile à un train d’enfer, les pneus fondent les sliders aussi. Plus rien n’a d’importance, la vie, les problèmes, le jambon du début de la route. Tout ce qui compte c’est moi, ma moto, et les virages. Les vaches sur le bord de la route me regardent passer. Je me demande souvent sur le coup si elles réagissent à ce qu’elles voient du genre «  waaah une Ducati ». Mais c’est déjà passé et la route est finie. J’arrive en haut du col. En face le soleil commence à se coucher dans le lac d’Annecy. Je m’arrête sur le bord de la route. Une bande de poussière vient se coller sur les pneus noirs et brulants. Ils envoient voler de petit cailloux qui cliquettent sur mes gardes bout. J’éteints le moteur, lâche doucement le guidon et me recule. J’enlève mes gants et mon casque et entrouvre mon blouson. Je fourre mes gants dans le casque et le pose sur le réservoir, bloqué sur le demi-guidon. Je la pose sur la béquille et descend. Je m’assoie devant la vue que m’offre ma région. La tête toujours vide, toujours vivant. Plus que jamais.

Voilà pourquoi j’aime autant la moto. Pour ces moments où ma tête se vide complètement du bon et du mauvais, ou plus rien ne compte, plus de parents qui divorce, plus de copine qui manque, plus d’argent, plus d’avenir incertain. Juste l’adrénaline, ces moments ou malgré tout le reste je suis heureux, fier de se que je suis. Donc forcément, vous me direz que certains ressentent ça en chevauchant leur cheval, en jouant au foot ou au tennis. Mais ce n’est pas pareil si on ne peut pas mourir à chaque seconde. Mais honnêtement quand on y est, on n’y pense pas et en plus la mort c’est le genre à rouler en Harley et à se trainer la bite non ??

Frag

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