Saint-Julien

Flower M.

Gamer VS IRL (in real life) : Julien ne vit rien que pour les autres.

Il aime jouer. Ah ça oui, il aime jouer. Il aime se retrouver seul dans son bureau, face à son ordinateur, avec son clavier, sa souris et son casque sur les oreilles, dès que la nuit est bien installée et qu'il est sûr que sa chère et tendre est profondément endormie. C'est comme s'il pénétrait dans un monde à part, un monde où combattre les ennemis d'un univers fantastique est possible, où les règles sont celles imposées par les créateurs du jeu.

Il joue depuis 4 ans déjà et il sait les crispations que sa double-vie génère. Il n'a de cesse d'entendre dire « C'est pas comme ça que tu vas trouver un emploi et gagner ta vie ! ». Pourtant, Julien n'est pas un fainéant. Il a aussi le goût des choses simples, des week-ends passés en famille à déguster un bon vin et à refaire le monde. Julien est quelqu'un qui aime les gens, il est très attentif aux détails et toujours soucieux de faire en sorte qu'on se sente bien quand on est chez lui. C'est aussi quelqu'un qui n'aime pas trop faire les choses « parce qu'il le faut ». Alors c'est vrai, il s'emmerdait à mourir dans son boulot quand il a décidé de le quitter, comme ça du jour au lendemain. Et depuis, il n'a pas cherché. Alors oui, il sait bien l'image qu'il renvoie dans son entourage, un mec qui vit au crochet de Pôle Emploi et de sa nana et qui passe ses journées à dormir et ses nuits à jouer.

Pourtant, dans son monde, son avatar, son double numérique est le prolongement de lui-même dans un espace sans limite, à la fois merveilleux et effrayant, un monde dans lequel il a la possibilité de se mouvoir, d'aller où il veut, de réaliser des prouesses. Une véritable addiction ? Peut-être. En tout cas, en jouant, Julien a l'impression de toucher du doigt, une certaine liberté, une vérité. Et dans son entourage, personne ne le sait, personne ne comprend que « les autres », ceux du jeu, ont besoin de lui pour défier les ennemis et passer des paliers. Car en ligne comme « In Real Life », Julien prend soin de ceux auprès de qui il est engagé.

« Putain, Julien qu'est ce que tu fous encore devant l'ordi à cette heure là ?! Reviens te coucher ! » éclate Fanny, à bout de nerfs, lors d'une énième nuit où Julien a quitté le lit conjugal pour retourner « avec les siens » comme il aime les appeler. Ces derniers temps, Fanny demande plus d'attention que d'habitude. Julien se rend bien compte que la communication n'est pas évidente et que ses mots d'amour, il les dit par texto uniquement. Fanny a pourtant bien tout essayé pour lui rendre la vie connectée impossible : l'aguicher en petite tenue, lui préparer de bons petits plats, elle a même fini par s'en prendre à l'infrastructure-même en coupant la connexion de la free box ou en résiliant la ligne téléphonique. Mais il n'y a rien à faire face à un gamer qui veut jouer.

Un jour, alors que Fanny retente l'approche calin-caline pour lui faire raccrocher, Julien est en plein combat pour défaire un dragon et sa team a besoin de tous les joueurs pour ce raid. « Pas maintenant Fanny, on est à fond là putain ! » lui lance-t-il en pleine figure. Sans réfléchir, elle attrape son sac et quitte le nid douillet pour aller dormir chez une copine. Vers 7h du matin, Julien n'est toujours pas couché. C'est la chaleur d'un doux rayon de soleil sur sa joue qui le fait tranquillement revenir à la réalité. « Qu'est ce que la nature qui se réveille est apaisante » pense-il en regardant par la fenêtre le coq qui se prépare à exercer son chant matinal. Il boit une gorgée de café froid en pensant à appeler Fanny pour s'excuser. Une fenêtre en bas à droite de l'écran s'affiche. Le nom d'un nouveau gamer. «Je suis enceinte ». Game over.

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