Rituel en demi teinte.

afk

CHAPITRE 1

La nausée l’emportait sur la douleur. Son esprit flottait dans les affres d’une pensée écœurée qu’elle ne comprenait pas, un goût âcre et poisseux nimbait son palais asséché, des éclats rougeoyants palpitaient au fond de ses yeux qu’elle conservait pourtant fermés, un fluide sirupeux nappait son estomac qui semblait s’être contracté sur lui même et se tortillait sous la peau comme un énorme ver solitaire agonisant.

Inspirant longuement un air aseptisé qui lui évoqua une visite à son compagnon hospitalisé, Djane se risqua à ouvrir un œil. La lumière pourtant blafarde de la pièce lui explosa la rétine. Elle le referma, attendit que le rythme cardiaque reprenne peu à peu son cours normal, et se focalisa sur les bruits.

Dans la pièce où elle se trouvait, un rythme respiratoire mécanisé, entrecoupé par un léger frôlement de tissu sur le sol, émanait du silence. Probablement un appareil de monitoring sur le côté gauche de sa tête et un peu plus loin à droite un voilage, avec un filet d’air pour le mouvoir. Dehors, au loin, derrière le voilage, peu de bruit, des murmures feuillus, des arbres qui se pliaient sous un vent peu violent. Une image traversa son champ visuel intérieur. C’était le printemps, elle portait une robe à volants pour le vernissage d’Andy. Douleur fulgurante au creux de l’estomac, elle se raidit. 

Plus loin sur la gauche, derrière ce qui devait la porte de la pièce et faisait barrage à un bruit sourd et informe, des voix, nombreuses, qui passaient derrière la porte, allaient et venaient. L’une d’entre elles capta son attention, elle revenait plus souvent, une voix d’homme, sans chaleur, sèche, grave. Il parlait peu, quelques mots, négatifs ou formels, comme un robot, ou un flic. La porte s’ouvrit, la voix d’homme heurta le défilement de ses pensées. «Entendu, je reste là, frappez quand vous voudrez sortir». Une voix féminine, légèrement agacée, répondit sur le même ton, froid, professionnel. «Je sais Sergent, merci.»

Ce qui devait donc être une infirmière, au vu des informations récoltées et analysées par son esprit embrumé, vint près d’elle et lui prit le bras, palpant la peau autour de ce qui semblait être le point d’entrée d’une perfusion. L’infirmière ôta l’aiguille en douceur et la remplaça, Djane sentit son regard sur elle. «Toujours pas réveillée ?». L’infirmière parlait avec assurance. Elle connaissait la réponse à sa question. Djane hocha faiblement la tête, se risquant de nouveau à ouvrir un œil. L’infirmière capta l’éclat du regard et esquissa un rapide sourire. «Mais si…  Parfait.» Djane cligna des yeux plusieurs fois de suite, laissant les larmes qui perlaient au coin de ses yeux verts amoindrir l’intensité de la douleur ophtalmique qui s’installait.

Elle voulut parler, questionner, s’inquiéter, vérifier, mais aucun son ne sortit de sa gorge douloureuse. Un couinement pathétique lui arracha la chair intérieure. L’infirmière pressa l’avant bras dans lequel un liquide orangé se faufilait via la perfusion. «N’essayez pas de parler. Vous ne feriez que retarder la guérison. Croyez moi, gardez votre salive pour plus tard. Dès qu’ils sauront que vous êtes en mesure de répondre à leurs questions, vous regretterez votre sommeil artificiel».  La femme, ni belle ni laide, presque sans âge sous son calot blanc, déplaça un meuble à roulettes vers le lit et entreprit de trier des objets métalliques que Djane n’identifia pas. «Je vais refaire vos pansements. Vous êtes sous morphine, vous ne devriez pas souffrir. Mais si c’est le cas, levez votre main droite, je m’arrêterai. C’est compris ?».

Djane hocha de nouveau faiblement la tête, cherchant à faire bouger sa main afin de vérifier que le dispositif évoqué fonctionnait, au cas où. L’infirmière baissa le drap qui la recouvrait. Un autre corps que le sien était dans le lit, sous sa tête, recouvert de bandages, une vraie momie, tâchée de rouge. Nouvelle douleur au creux de l’estomac. « Fermez les yeux. Ce n’est pas beau à voir, pas la peine de vous faire horreur à vous même. Vous êtes vivante et à peu près entière, c’est déjà énorme, à côté des autres ». Une fulgurante douleur traversa sa poitrine au moment où l’infirmière défit le bandage. Les mots résonnèrent lentement. «à côté des autres… à côté des autres … à côté des autres». Djane sombra dans un cauchemar éveillé, le goût poisseux du sang lui revenant en mémoire. 

CHAPITRE 2 

« Ouais c’est ça… Comme d’hab’ quoi… Essaye tout de même d’arriver avant que le buffet soit vide !». Diane referma d’un doigt la communication avec son compagnon, effleurant rageusement l’écran de son Smartphone. Greig ne pouvait pas s’empêcher d’arriver en retard, histoire de se faire désirer probablement.  Elle soupira faiblement, levant les yeux au ciel, puis reprit rapidement son sourire charmeur en poussant la porte vitrée de la galerie, frôlant rapidement les retardataires qui restaient encore à fumer sur le pas de la porte. Yasmina, Clarence, Charly, Tom… elle les connaissait tous et s’incrusta rapidement telle un papillon entre les corps, effleurant qui d’un baiser, qui d’une caresse, toujours virevoltante.

Quelques mètres plus loin, une musique rythmée, quelque chose comme du Grimes, enfantin et sucré, flottait dans l’air et enveloppait l’assemblée bigarrée du lieu. Le flot des invités l’avait entrainée vers un local en arrière cour, haut sous plafond, moquette rouge rubis au sol, buffet opulent en fond de salle, murs de béton recouvert de draps blancs, curieusement immaculés, vides d’ornements. Diane plissa légèrement les yeux, faisant le tour du local vide qui semblait lui hurler en silence un message qu’elle ressentit comme violent et oppressant. Ce foutu Andy, auto proclamé pape du New Art Age, l’égérie de cette avant garde qu’elle exécrait et que, pourtant à chaque vernissage, elle tentait de charmer, la star des galeries hype, qu’est ce qu’il avait encore inventé, cette fois çi...

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