Robeiro y Carmelita
walkman
La chaleur étouffante traverse le bois du pavillon de jardin dans lequel je suis réfugié en compagnie approximative. Malgré les stores rabaissés et le plafonnier qui ne compte plus les tours, lever la cervoise fait couler des larmes de sueurs sur mon front, mes tempes et parmi les poils noirs et salis de ma barbe de six jours. Je suis à moitié allongé sur un des trois transats que l'hôte a mis à notre disposition et je souffre de l'ardente atmosphère en silence.
Ma voisine et propirétaire du gazébo a les jambes nues croisées au niveau des genoux et laisse à Robeiro le loisir de deviner ce qui l'habille sous sa robe légère aussi blanche que parfaitement opaque. Le barman, lui, est assis en tailleur, se désaltérant dans une corona sans juger nécessaire de décrocher son regard des cannes de la magnifique señorita. Alors qu'on en est arrivé au moment où l'on peut entendre la brise se faufiler entre les lattes en bois de l'abri, Carmelita éteint le vent d'un rare sourire annonçant que ses joues ne vont pas tarder à rougir.
"Entre nous, murmure-t-elle entre ses dents serrées qui n'empêcheront pas Robeiro de tout entendre parfaitement, je ne vois toujours pas ce que les femmes trouvent à cet homme de néendertal."
Il suffit à Robeiro de froncer très légèrement les sourcils, afin d'appuyer son regard noir et les rares rides de son visage hâlé pour que le rouge léger des joues de Carmelita ne s'accentue, forçant la quarantenaire adultérine à utiliser sa main gauche comme un éventail.
"Ok, j'ai compris, admet-elle en éliminant le barman de son champ de vision pour me faire de la place. Y a-t-il autre chose que tu voulais me faire savoir ?
- Puisque t'en parles, t'es sûre que le ventillo est au max ?
- La bière est chaude ? s'inquiète-t-elle.
- Moins que ma salive.
- Alors ça ira."
Difficile de ne pas déceller l'agacement dans sa voix, ni de relever qu'à l'évidence la colère et la déception la rendent encore plus agréable à regarder dans les yeux.
"Señor Di Viaza, enchaîne-t-elle, puis-je savoir ce que le toxicomane ici-présent vous a promis lorsqu'il vous a convié à ce...
- Rencard ? l'aidé-je.
- Déjeuner sur l'herbe, corrige la maîtresse."
Je tais une protestation, voulant affirmer que sur le tableau de Manet, il me semble que la femme est nue ce qui n'est pas son cas. Mais je crains d'approvisionner l'accusation. Robeiro me lance alors un regard un peu gêné, voire coupable, celui qui ne sait pas quoi répondre et qui attend de l'aide avant de trahir une information qu'il juge secrète. Mais d'un geste du menton je lui signifie que tout le monde est impatient d'entendre la réponse qu'il possède.
"Hayden m'a parlé.. de... en fait il ne m'a pas dit grand chose...balbutie l'éphèbe.
- Comme Robeiro est un gentleman, lancé-je, il n'osera pas étaler toutes les immondices que j'ai pu dire à ton sujet. Ce qui est à mettre à son crédit.
- Immondices ?"
J'acquiesce en souriant à la cerveza.
"Tu es d'une habilité redoutable, Hayden, lorsqu'il s'agit de te consacrer à l'abbatement de quelque chose. Faire montre d'un tel dédain envers toutes choses qui te semblent désuettes et sans intérêt, trahit là encore une immaturité si grande qu'il devient parfaitement concevable qu'il n'y ait ni femmes ni amis qui ne se soient intéressés à toi sans périr."
Je retrouve dans ces mots le doux venin de ma voisine. Cela se couple idéalement avec la sueur qui a collé le jean à la peau de mes jambes et le coton de mon t-shirt à mon ventre. Bien sûr, Carmelita est une femme vive qui était en droit d'attendre énormément de belles choses de la vie et qui se sent lésée aujourd'hui. Ignorée par un mari carriériste, snobé par un voisin à la réputation sulfureuse, et mal baisée par-dessus le marché. Ce qui, en soi, est un crime odieux.
Robeiro, de son, côté, est un homme que la gente féminine utilise pour soigner des fantasmes ou la solitude d'une nuit chaude. Elle ne voit en lui que l'immédiat et ne pense jamais qu'un tel mec soit pourvu d'un coeur assoiffé d'amour et de tendresse. Alors, il me paraît évident que ces deux-là puissent avoir bien des choses à se dire et à échanger dans la fournaise de cet après-midi de pleine semaine. Seulement, la lumière ne semble pas avoir jailli sur tout le monde.
"Sachez, Señor, avant que nous fassions l'amour farouchement sur plusieurs de ces transats, que je suis loin d'être une putain. J'ai de bonnes raisons de faire l'amour à des hommes pendant que mon mari est au travail et me résumer comme le fait votre ami, est une vexation que je ne mérite pas. Tâchez de vous souvenir que je suis avant tout une femme avec des besoins honnêtes et un goût prononcé pour la littérature du XIXème siècle... J'aime aussi les fleurs, et qu'un homme sache respecter quelques codes de conduites qui me paraissent élémentaires... Saurez-vous, au moins, retenir ces quelques détails ?"
Robeiro acquiesce, prêt à enlever les deux derniers boutons de sa chemise, son pantalon en toile et à investir la terre promise.
Après qu'ils m'aient tous les deux regarder pour que je réagisse, je me lève de mon transat et dépose la bière sur le plancher. Je m'essuie le front avec la paume de ma main et remet la paire de lunettes de soleil sur mon nez. Je m'approche de la porte du pavillon et jette un coup d'oeil vers ma villa à travers les stores, on y voit que la piscine desséchée et un bout des murs blancs. Mais, malheureusement, il ne me vient aucune envie de goûter à la peau tendre et douce de Carmelita et il ne me vient pas non plus la jalousie que j'espérais voir apparaître lorsque cette dame trouverait un amant pour l'aider dans sa noble quête. Il n'y a rien de tout ça qui a émergé. Même si le regard et la voix suave de Carmelita vont me manquer.
"Si en partant, tu croises mon mari, aies au moins la décence de le retenir jusqu'à ce que nous ayons fini, me demande-t-elle avant que je ne les laisse.
- Bien entendu, réponds-je, qui voudrait voir dérangée, une fille dans le jardin à Bellevue ?"
Manet et manebit*.
*Elle demeure et démeurera en latin (jeu de mot avec le nom du peintre française fait à l'occasion de sa disparition).