Salt Lake City Dust

Trailer Trash Tracy

une destination US solitaire, une pute borgne et des couleurs de films, bienvenue a Salt Lake City.

L'autre jour j'ai atterri dans une tornade de poussiere a Salt Lake City. C'etait juste pour 3 h, un de ces sas temporels ou l'heure qu'il est est tout a fait subjective, et ou l'on est toujours quelque part sans y etre vraiment. On fait toujours tres attention a ne jamais crier dans un aeroport. Lasse par le design anonyme des larges allees du terminal et le bruit blanc qui l'occupe, le corps immobile est avachi dans un de ces impossibles fauteuils en skai tandis que l'oeil traverse la vitre et suit les lignes parfaites du tarmac, dehors, la ou les avions dansent leur ballet silencieux. Les sons sont etouffes et moelleux comme des patisseries industrielles, les annonces sont agreables et leurs repetitions confortables, comme des invitations a des voyages mysterieux et fantastiques, jamais dangereux.  Toute la suite est prevue au millimetre pres - mais ce futur controle et precis a la seconde pres est rassurant - encore un decollage, encore la video taille carte postale ou les hotesses sont assez peu representatives de la realite, ou le pilote est une femme blonde des plus avenantes, et ou savoir exactement quand le steward fait un clin d'oeil a la camera apres avoir degaine son sifflet en plastique rouge ne m'amuse plus des masses .  

Un arret comme ca ne compte pas. Sauf quand juste avant d'atterrir on survole the Great Salt Lake qui donne son nom a la ville.

Peu de paysages aeriens me font sortir de ma torpeur : Los Angeles , gigantesque carte mere ou les autoroutes font comme ces nappes IDE bien alignees, la cicatrice a vif dans la terre rouge du Grand Canyon a côté de Las Vegas, la tete ronde et toujours enneigee du parfaitement conique Mount St Helens a Portland, la pointe herissee de New York City avec la statue de la Liberte grande comme un bonhomme Lego, la couche de nuages comme un couvercle de paraffine sur le Pacifique a Lima, les buildings de Honolulu alanguis sur la plage, l'atoll magique de Bora Bora . Et le lac de sel de Salt Lake City.

J'ai observe, le nez colle au hublot qui chauffait lentement au fur et a mesure que l'avion descendait, un des rares paysages d'ou la plante est absolument absente. Pas un atome de cholorphylle pour rappeler qu'on est bien sur terre. Des monts peles couleur rouille et des croutes de sel bleu petrole aux formes anguleuses, comme la pupille impassible d'un vieil iguane ride. Pas de route ou d'habitation dans cet espace hostile vide par les vents de sable. 

Partout, des petites touffes brulees soigneusement reparties par un maniaque de l'ordre, comme ces trucs moussus marrons sur les maquettes ferroviaires, dans des vallees parfaitement rectilignes ravinees par un rateau geant.

Et puis apparait Salt lake City, sorte de Death Star couleur sienne, parfaite, geometrique et decrepie comme un souvenir de 2153, ou une image jaunie d'un bike-movie dans lequel Peter Fonda bien dans son froc, des goggles noires sur le nez et une cigarette fine de majijuana aux levres deciderait de pratiquer la necrophilie sur l'autel d'une chapelle abandonnee.

Dans le film a moins de $100 000 qui commence a se derouler dans ma tete avec Beautiful Burnout d'Underworld en fond, il n'y a a Salt Lake City que des grands drapeaux americains effiloches qui claquent au dessus de stations service abandonnees. 

Dans Downtown vidé par l'exode vespéral, la poussière assourdit des bruits qui n'existent déjà plus et s'agglutine – comme attirée par quelque force magnétique inconnue - en un uniforme voile crasseux sur les buildings qui luisent doucement, lames usées dans la lumière oblique.

Là-bas, chaque bloc est à précisément 1/8 de mile du suivant. Une régularité oppressante et rigide comme le quotidien et le sobre col boutonné jusqu'en haut d'un mormon, mais qui se relâche et se desserre peu a peu en s'éloignant du centre, vers la civilisation du stupre et du luxe, avec l'élasticité d'un Vasarely qui disparaîtrait dans des contreforts montagneux.

En périphérie, le quadrillage encore parfait des rues blanchies à la chaux est désert, à croire que l'apocalypse a eu lieu il y a déjà un paquet de siècles. Rien ne vient déranger les perspectives – elles ont largement le temps d'aller s'abîmer dans un même point d'horizon qui vibre dans la chaleur, devant les déchirures noirâtres des sommets au loin.

L'inexorable poussière fait des petites volutes au ras du sol, vous savez, comme dans les western, pour annoncer qu'un type qu'on n'a pas encore vu va mal finir, c'est obligé.

Devant le package store aux barreaux déglingués, la peinture des places de parking se détache sous le soleil abrasif et ca fait des cendres blanches qui s'envolent au hasard.

Une pute borgne en contre-jour mâchonne un mégot. Elle a des jambes immenses, solides, et porte des sangles en denim délavé autour de ses bras et de ses seins octogonaux, sorte de Lara Croft première version, mais sale et bourrée. L'autre oeil, vif comme celui d'un rapace aux aguets et violemment maquillé avec du liner de supermarche, recompte des billets déchirés.

Un couteau passablement rouillé se balance à une lanière fermement accrochée autour de sa cuisse. Elle a la force masculine de Tank Girl, le charisme bourrin de Juliette Lewis et le langage d'un truck driver de l'Arizona. Elle a une gamine, quelque part au delà du désert mais ça lui est complètement égal. L'enfant ne sait pas qu'elle avait une autre mère, avant, une version féminine de Mad Max amoureuse des espaces sauvages qui avait décidé d'appeler sa fille la couleur d'un film de Wim Wenders, Arizona Blue.

Elle vit derrière le rideau en fer d'un des box de storage loués à l'année, qu'elle squatte et où il fait 50 degrés Celsius à partir de mars.

Sun goes down, température drops

Beautiful burnout, beautiful burnout

Bird

Chrome(*)

La nuit, des mecs passent en trombe devant le magasin, sans un mot, sans musique. Ils ont activé la fermeture centralisée depuis Downtown, leur regard suit furtivement le bas-côté, à la recherche de quelques scènes violentes, et de filles comme elle dormant a coté d'une pompe abandonnée.


(*) Beautiful Burnout - Underworld 

Signaler ce texte