Sandwich à Emporter

cerise-david

Aujourd’hui, comme hier et demain, j’enfile ma casquette et je rentre dans le rang. Cela fait quatre ans maintenant, que je porte cet uniforme. Que je répète inlassablement les mêmes phrases, préenregistrées.

-          En menu ? Quelle sauce ? Frite ou coca ? Sur place ou à emporter ?

C’est toujours la même rengaine. On ne change pas de registre, on en devient monotone. Je bosse pour une des grandes firmes de la restauration rapide. Aussi loin que remonte mes souvenirs, j’ai toujours connu ce lieu. Toutes les semaines, mon père, alcoolique, prétextait une nouvelle formule pour les enfants, un nouveau jouet, un nouveau dessert. Il me prenait sous le bras et on partait. Il commandait toujours la même chose ; un menu Maxi Best Of, 4 bières et un Happy Meal° pour moi. Je possède tous les jouets que mon entreprise à distribuée. Ils sont quelques parts dans un grand carton…. Malgré ce qu’il s’est passé, je ne peux me résoudre à les jeter. Un soir de février, Papa est rentré. Tellement éméché, que je me demande encore par quel miracle il tenait debout. Maman est entrée dans une colère noire… et les coups sont partis. Elle l’a tuée, sous mes yeux. Froidement. Sans même siller. Je n’ai compris que plus tard, cet acte, apparemment, prémédité. Je crois qu’elle ne supportait plus tout çà. De vivre dans la peur qu’il nous fasse du mal. Dans la peur de perdre ce que l’on possédait. Alors elle a agit. Je ne lui en veux pas. Elle s’est pendue. Après le jugement. En cellule de transition. Ils n’ont rien pu faire pour la sauver. C’était déjà trop tard quand ils l’ont retrouvé… J’avais seize ans…

Depuis, je suis orpheline. J’ai connu la colère, la peur, la haine, la rage. J’en voulais au monde. Au monde entier, de ne pas s’être arrêter de tourner. Et puis, on m’a trouvé une nouvelle famille. La seule que j’ai vraiment eue, à vrai dire… La directrice du Mac Donald’s à eue vent de mon histoire. Elle a demandé à me rencontrer. Elle m’a donné ma chance. Je ne la décevrais pas. Elle m’a donné un job, m’a aidé à trouver un appart, m’a écouté pendant des heures. Aujourd’hui, je suis en formation pour devenir manager. J’ai fait mes preuves. J’ai été à la hauteur de ses espérances. Il m’arrive de former les nouveaux… Mais la plupart du temps, je suis en caisse. Tout cela n’est plus aussi trépidant… l’aventure à pris une autre tournure. Les jours, les mois, les années ont passés. Quatre années. Et de tout cela, j’en ai assez. Je rêve d’ailleurs. J’aimerais reprendre mes études… je n’ai même pas le BAC. Il n’est pas trop tard je le sais. Et puis, j’ai les capacités… J’en ai assez qu’on me considère comme de la merde. Maître Grizon, qui vient manger tous les midis. Docteur Costes qui emmène ses 4 enfants les mercredis et les samedis soirs. Mr le Maire qui une fois par mois vient prendre un café avec sa dame. Tous ses gens ne me regardent même pas. Ne me prête aucune attention. A leurs yeux, je ne suis que la chose qui tape sur l’écran tactile. Qui prends la commande. Il ignore jusqu’à mon prénom. Alors que je connais les habitudes de chacun. Que sans me tromper, je peux préparer leurs plateaux sans même qu’il n’est à demander. Non vraiment, je n’en peux plus. Je veux autre chose. Si la vie est une tartine de merde qu’il faut manger en souriant, je préfère crever de faim. J’aime la culture, l’art et la littérature. Ici ma seule passion se résume à la nourriture que je vends. Je suis lasse de rentrer, chaque soir, seule, d’ouvrir un nouveau livre et de devoir attendre de le terminer pour enfin, trouver le sommeil. C’est ma seule échappatoire…

-          Bonjour, mademoiselle. Dommage la casquette, ca cache vos jolis yeux… j’ai une faim d’ogre. Qu’est ce que vous avez à me proposer ?

Il s’est introduit comme çà. Il n’était pas d’ici, portait un Burberry et tenait dans sa main, La peau de chagrin de Balzac. J’adore Balzac. J’ai tout lu. J’ai dévoré. J’ai frissonné, j’ai imaginé toutes les lignes de Balzac. Alors j’étais étonné. Surprise, qu’on s’adresse à moi, aussi poliment, aussi gentiment. Qu’on ne me parle pas comme à une attardé. Je l’ai regardé, et j’ai sourie et je lui ai détaillé les menus les plus copieux… Il a suivi mes conseils, à payer et est partit s’asseoir juste en face de moi, son plateau dans une main, son bouquin dans l’autre. Il était quinze heures. Mon service du midi, s’achevait. J’ai pris un plateau et j’ai été mangé dans la salle des équipiers… je suis rentré chez moi. Le lendemain il est revenu, et le surlendemain aussi… ca a duré cinq jours. Toujours une phrase gentille, le regard doux. Et une après-midi, il a laissé son numéro sur le ticket de caisse.

-          Appelez-moi.

J’avais relu tout Balzac. Et le soir en rentrant chez moi, j’ai hésité. J’ai appelé. Répondeur, j’ai aussitôt raccroché. Je ne savais pas quoi dire. Je n’aime pas parler au répondeur, j’appelle jamais personne à vrai dire…

Le lendemain, il n’est pas venu. J’ai attendu tous les jours, au bout d’une semaine, j’ai cessé d’espérer. Un mois a passé, puis un autre. Un soir en rentrant, je suis retombé sur le bout de papier froissé. J’ai eu une pointe au cœur. Alors, j’ai pris le combiné, appuyé fortement sur chaque touche et j’ai attendu. Première sonnerie, rien. Deuxième et troisième, rien. J’allais raccrocher quand il a décroché…

-          Je ne sais même pas quel est vôtre prénom…

-          Pardon ?! Qui êtes-vous ?!

-          … Excusez-moi je me suis trompée de numéro.

-          Attendez, vous ne m’avez pas…

J’ai raccroché. Stupide, je suis stupide. Et mal polie. Et, là. Le téléphone sonne. JE reconnais le numéro, son numéro. Excuses toi.

-          allo ?

-          Oui, mademoiselle. C’est bien gentil d’appeler les gens à dix heures du soir, mais le mieux est encore de se présenter. Je sais qui vous-êtes. J’aimerais connaître vôtre prénom. J’aimerais savoir pourquoi vous avez tant tardé à m’appeler. Je veux savoir si vous aimer Balzac, et si vous accepteriez de venir prendre un café ?

-          …

-          Désolé, je suis très curieux. Mais vous voir sans vôtre casquette, serait pour moi un grand honneur. Et puis les cafés du Macdo ne sont pas bons, trop chauds. Laissez-moi vous inviter…

-          Euh, mais euh.

-          Demain 16 heures. Où vous voulez.

-          Le frisquet. Vous connaissez ?

-          Oui, et qui dois-je attendre ?

-          Pauline…

-          Je suis enchantée. Bonne soirée Pauline. A demain, je l’espère.

Cet homme était mystérieux, il avait attendu mon appel tout ce temps. Et m’avait reconnu, au simple son de ma voix… et j’ignorais toujours son prénom. Il parlait un français impeccable, digne d’un roman de Balzac. Demain, c’était mon jour de congé. J’irais chez le coiffeur, et puis j’irais acheter une robe… ou un jean neuf. Je me sens mieux en jean.

Finalement, je n’avais pas été faire tailler mes cheveux, les avais coiffé en un chignon. J’avais retrouvé un jean jamais porté dans ma commode. Avais enfilé une paire d’escarpin. Un petit pull, noir. Rien dessous. J’aimais le contact de la laine sur ma peau nue. J’avais estompé du blush sur mes joues… et mis du gloss. J’avais enlevé le gloss et mis du rimmel. L’un ou l’autre, pas les deux. Ma mère disait toujours ca. Elle n’aimait pas que je me maquille, elle disait que je n’en avais pas besoin… Avant de partir, je jetai un dernier coup d’œil au miroir. Ce n’est pas du maquillage qu’il me fallait, mais une cure de sommeil et quelques kilos en plus. J’avais vingt ans, dans deux jours. J’en paraissais trente. C’était mon premier rencard, les garçons, je n’avais pas le temps. Et puis, maman était partie sans m’apprendre. La colère monta, les larmes aussi. Je ne voulais pas y aller, j’avais peur. Je n’avais rien à lui dire, il me trouverait moche et stupide. J’ai vingt ans et j’ai jamais rien fait de ma vie… je me frotta les yeux, renifla. Quel gâchis, ma pauvre fille. Vas-y reste là à pleurer. Mais ne viens pas pleurer s’il disparaît. Il te plait ? Alors bouges toi. Je m’étais dit ca. Sure de moi. J’en avais marre de cette vie. De merde. Et même si ce n’était pas le bon, je me devais d’essayer. Et puis, il a dit café et pas demi. Et rien que pour ca, je dois lui donner sa chance.

Je suis rentré dans le café, avec cinq minutes d’avance, il était plongé dans Balzac et ne m’a pas vu approcher. J’ai toussoté. Il a levé les yeux et a sourit. Je me suis assise, et on a commandé deux cafés. Il m’a parlé de Balzac, je lui ai raconté Hugo. Il m’a parlé du monde, je lui ai raconté ici. On n’a pas vu les heures passées, le café à fermer. En me raccompagnant, il m’a dit :

-          Pars avec moi. Tu n’auras besoin de rien.

-          J’ai peur.

-          Si ca ne te plait pas, je te ramènerais ici, et on attendra. Ou je t’emmènerais ailleurs, jusqu’à ce que ca te plaise.

-          …

-          Ne réfléchis pas. Ou alors réfléchis-y et je reviendrais te chercher… mais qu’as-tu, qui te retienne ici ?

-          Rien.

Alors il a pris ma main. Et je me suis laissé entraîner. Je crois que j’attendais ca depuis quatre ans, qu’on me tienne la main, qu’on me murmure de ne pas avoir peur.

-          Tout ira bien.

Je savais qu’il disait vrai. On a fait mes cartons, j’ai posé ma lettre de démission. Yvette a sourit. Elle a juste dit :

-          Ne regrette rien, et puis, n’oublie pas ; tu es la bienvenue ici.

Ma seule famille… et lui. J’ai choisi. On a parcouru le monde, juste pour voir s’il tiendrait sa promesse. J’ai aimé tous les endroits découverts à son bras. J’ai affirmé le contraire à chaque fois. Il savait mon secret, il a tenu parole. Et puis un jour, on est revenu au point de départ. Il a racheté le Frisquet. Et on a fini, nos jours. Heureux.

  • Jolie histoire, le "Frite ou Coca" du début, c'est normal? La plupart du temps quand je commande la caissière ajoute, après le choix de mon menu : "Frite-coca?"
    Enfin ça doit varier. "Si la vie est une tartine de merde..." j'adore la formule, merci.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Dr.house avatar1 orig

    kira

  • Le plat est bon! :)

    · Il y a plus de 14 ans ·
    S5001282 orig

    amouami

Signaler ce texte