Sang d'encre, chapitre deux.

elixir

Chapitre deux: Filet d'encre.



Il paraissait pour la première fois de sa vie inquiet et se remémorait les ordres de celle qui lui avait donné vie, la jeune fille aux cheveux d'acier. Il n'était pas complet et ne devait pas faillir à sa tâche, tout ce qu'il pouvait accomplir représentait trop pour qu'il puisse échouer. On l'avait bien sûr mit en garde contre cette soumission pressentie qu'il aurait face à celle qui l'avait façonné, qu'il aurait à lutter. Pourtant, son cœur battait (malgré qu'il ne soit pas essoufflé) très vite pour la première fois, il était fasciné par le caractère de cette jeune femme et se haïssait pour se rebeller conte elle. Mais il devait mener sa mission jusqu'au bout, reniant ainsi cette phase de servitude qui s'imposait presque à lui.


« Alors, si telles sont vraiment les choses, vous n'étiez pas supposée prendre le dessus sur la situation.»


Elle frissonna.


« Pourtant, c'est ce qu'il est en train de se passer. 
- Ce n'est pas encore trop tard. Relevez-vous, posez vos lèvres sur mon sang, goûtez-le, embrassez-moi et vous comprendrez. Les choses dépassent votre entendement ou imagination, avec tout l'obligeance que je vous dois, c'est vous qui êtes en tort et qui devez obéir. Pour le mieux, par pitié, soumettez-vous. Si ma force vous résiste, que cela ne soit pas de même pour mes mots et que le bon sens vous atteigne..!»


Il y eut un silence perplexe.


« - Votre sang… Est noir. »


Elle avait dit ça en gloussant, peut-être était-elle en train de devenir folle. Et elle éclata en sanglots, sa robe était déchirée. Elle ne comprenait plus  rien à ce qu'il était en train de se passer.


« Faites ce que je vous dis. »

Siffla le monstre, désespéré.


« Non. 
- Vous ne comprenez  décidément pas. »


Il disait ça sur un ton calme, se répétait plus que ne parlait à vrai dire mais sa respiration se faisait hachée, lourde et menaçante. Elle eut peur et préféra rester muette. Il approcha sa main.


« Buvez. » 


Elle détourna la tête.


« Buvez ! »


Il avait crié et avait dangereusement rapproché son poignet. Le sang paraissait visqueux, comme un crachat empoissonné mais qui courait dans les veines de son interlocuteur. Elle se resserra contre l'écorce, les côtes une nouvelle fois écrasée, la respiration coupée par le dégoût. Et les veines légèrement entaillées se plaquèrent contre sa bouche, elle eut du mal à respirer et voulue se détourner mais finit par étouffer et fut obligée de déglutir. A peine l'eut-elle fait qu'il cria, se plaquant les mains contre la tête, hurlant comme un démon. Elle, restait immobile. Silencieuse. 

***
Et elle se retrouva dans une pièce décorée en des tons clairs et doux, elle le savait sans même à avoir eut besoin d'ouvrir les yeux. Elle savait aussi que la jeune femme attendait que ses paupières se soulèvent pour lui parler. Mais l'engourdissement qui pesait sur son corps lui paraissait trop lourd, insurmontable. Elle allait définitivement s'abandonner à ce sentiment quand la voix retentit…


« Ouvre les yeux, mon  enfant. »


La voix était douce mais autoritaire dans cette drôle de sensualité où perçait l'impatience. Elle obéit. La personne face à elle était à la fois inconnue et connue, elle se rendit alors compte qu'elle avait rêvait d'elle. Elle lui sourit.


« Essaie de parler. 
-… 
-Tu ne peux pas ?
-S-si .»


Sa voix la surprit. 


« Si. »


Elle était un peu rauque et mystérieuse. C'était inattendu. Elle baissa les yeux. Son corps était entièrement nu et baigné dans une substance transparente où flottaient des résidus dorés. Bien construit, sa carrure était solide. A ce qu'on pouvait en juger, il était mince, des muscles un brin apparents et sa peau était blanche, infiniment blanche,  il la toucha et frissonna. Le contact de son doigt sur sa peau était doux et laissait des impulsions au fur et à mesure qu'il remontait sa main. Il ne s'attendait pas à autant de sensibilité. 


«  Qu'est-ce que c'est ? »

Il était décontenancé.


« Le toucher. »

La gorge de la jeune fille tremblait quand elle parlait. Il plaqua un doigt sur la sienne et senti sa pomme d'Adam se déplacer tandis que lui aussi, parlait.


« Et... Et ça ?!»


Le mouvement le préoccupait. Il ne comprenait pas pourquoi ses muscles s'activaient et se désactivaient, il était presque affolé par ce que ces gestes produisaient.


« La preuve que tu es fait de la même matière que les hommes et que tu partages leurs faiblesses et sentiments. Méfies-toi d'eux car ils te ralentiront. Tu as encore beaucoup à apprendre et j'ai beaucoup à te dire, mais pour ce soir, contentons-nous de te laver et de faire marcher jusqu'à la baignoire. Prends ma main pour te lever, penses à ce que tu es. Et dors, mon enfant insouciant! Profites de ton innocence avant qu'elle ne te sois enlevée, comme elle l'est dès le plus jeune âge pour l'espèce à laquelle tu es lié. Profites de ton ignorance tant qu'il est temps ! »

Il hocha la tête, compréhensif. Puis, hésitant, s'adressa à la jeune femme. 


« Qui êtes-vous ? J'ai l'impression de vous connaitre. »

Elle sourit.


« Mon nom est Vivian. Le reste est un peu plus compliqué, j'aurais au moins besoin d'une journée pour tout t'expliquer. Mais nous aurons le temps d'en discuter. Lève-toi (tu n'as que trop tarder) et allons te rendre propre, sans-nom. »
***


Il se retrouva dans une vaste propriété, dans sa chambre, un carnet vierge dans ses mains, à côté d'une lettre. Il tenait en main une plume, au bout encore sec, à côté de lui se trouvait un encrier. N'osant pas encore la tremper, il réfléchissait sur quoi noter et se trouvait déjà très audacieux de pouvoir écrire de la fiction. Il avait toujours été entouré de règles strictes et avait déjà contourné à plusieurs reprises ces interdictions en s'emparant de romans et d'écrits en tout genre qu'il s'empressait de dévorer. Mais, écrire (autre chose qu'une simple lettre du moins) lui paraissait à lui-même comme étant très effronté.  Puis il se remémora le baiser d'Amon sur ses lèvres, qui avait descendu le long de son cou et à quel point il avait dû résister pour l'en éloigner, lui donnant un dernier baiser pour lui montrer que c'était uniquement la pudeur qui les avait arrêtés. Plutôt le bon sens d'une jeune fille, à vrai dire.


« Eliza, je vous aime. Pourquoi ne pas nous marier tout de suite ? »


Elle avait gloussé.


« Vous savez comment est  mon père. Il est déjà offusqué que je lise, alors me laisser partir… Avec vous, en plus ! Le simple fait d'avoir à traiter avec votre père le répugne, et deviner chaque fois l'exaspération quand il vous voit n'est pas très difficile.
-Peut-être, mais... C'est pour ça que vous m'aimez ! Je suis quelqu'un d'admirablement exaspérant, après tout. »


Elle gloussa encore.


« Vous représentez effectivement la quintessence de l'effrontément, mais je n'irais pas jusqu'à dire que je vous aime pour cela !
-Alors disons que vous me supportez malgré ce léger défaut. » 

Et il l'avait embrassé une autre fois en dessous du menton, alors qu'elle riait stupidement. 

La plume trembla… Elle ouvrit les yeux, la trempa et commença à tracer des lignes, d'abord tremblantes puis assurées. Ses yeux étaient humides, mais autant que ses joues. Elle allait écrire une histoire d'amour, avec un amant (car elle n'avait plus peur d'aimer) sûr de lui et elle serait tout aussi assurée, d'abord fascinée et ensuite subjuguée, elle pourrait enfin laisser le passé derrière elle. Elle créerait ses propres dorures, elle n'avait plus besoin de contenance. Maintenant, elle était forte. Pourtant tandis qu'elle écrivait, des larmes vinrent se mêler au papier...
*** 

La créature expira, étonnée de l'expérience qu'elle venait de vivre. Il venait de revivre les souvenirs de la jeune femme et il devinait qu'elle venait de faire de même. C'était cependant la preuve irréfutable de son échec, ils ne pouvaient plus être réunis en une seule et même entité et ce qu'ils avaient vécu était la limite de ce qu'ils pouvaient partager. Pour la première fois la créature connue le goût de l'échec et de la peur. La douleur fut lacérante, il goûtait la déception, la peine et le désespoir d'un seul et même coup. Il se rappela de ce que Eliza (car il avait maintenant pu mettre un nom sur celle qui l'avait façonné), avait fait quand la peine était devenue insoutenable. Il s'abandonna pour la première fois à ses émotions et pleura.

  • Je ne sus pas sûre d'avoir tout compris, mais j'ai aussi beaucoup aimé ce chapitre 2... Ce monde est intriguant, et cette créature aussi

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Vava wlw

    ella

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