Sans toi(t)
purdey-penrose
Après des mois d’attente, Catherine Lambert tenait entre ses mains le résultat du concours organisé par la Fondation Io Nesco. Elle était la récipiendaire de la bourse pour jeunes talents. A 27 ans, la brune et piquante Cathy ne vivait que pour une chose : monter sa pièce de théâtre. Il ne manquait plus que le financement… enfin jusqu’à aujourd’hui. Il lui était tellement difficile de contenir son excitation. Toutes les étapes de la mise en scène, le casting, les répétitions, les costumes, les éclairages… tout tournait dans sa tête. Cathy était consciente de sa chance, elle avait eu la possibilité de réaliser son rêve et de vivre de sa passion. Elle pouvait passer ses jours (et ses nuits) à apprendre, à observer, à comprendre ce qui faisait qu’un texte devenait un succès applaudi par la critique et surtout le public.
Antoine, son ami et patron avait accepté de mettre en scène Sans toi(t) ; ce qui rassurait grandement Cathy. Les premiers castings étaient très prometteurs et elle espérait que Max y participerait. Du haut de ses 23 ans, Max était un jeune acteur de talent qui avait déjà brillamment fait ses armes sur les planches et sur grand écran. Cathy ne se lassait d’aller le voir sur scène et elle admirait autant la qualité de son jeu que l’émotion qu’il était capable de faire passer au public.
Quelques semaines plus tard la troupe était au complet, les répétitions avaient déjà commencé et chacun faisait de son mieux pour que la pièce prenne vie. Cathy s’affairait comme à son ordinaire pour conseiller, aider, rassurer et coordonner le travail de toutes les petites mains sans qui rien n’est possible. Il n’y avait qu’un absent : Antoine. Lui, d’ordinaire si ponctuel avait plus d’une heure de retard. Cathy savait que le divorce d’Antoine l’avait rendu plus sensible et elle espérait que tout allait bien. Quand la porte de la salle s’ouvrit, Cathy se précipita mais se furent deux policiers qui entrèrent. Ils venaient annoncer le décès d’Antoine. En hommage à leur ami, la troupe décida de poursuivre le travail. La couturière approchait à grands pas, il fallait que tout soit à la hauteur du génie d’Antoine.
Et si le cauchemar ne s’arrêtait pas la ?
Le mois de mai était délicieux. Cathy adorait le retour du printemps. Après avoir vécu si loin de la France durant ses études, elle appréciait de pouvoir retrouver ses marques. La jolie brune avait toujours été une grande solitaire et elle privilégiait ses études. Même à 27 ans, ses meilleurs amis étaient ses altères ou ses baskets. Le triathlon qu’elle préparait depuis des semaines était l’évènement le plus excitant inscrit à son agenda pour les six prochains mois.
C’est pourquoi ses parents adoptifs lui avaient été d’un grand secours en trouvant ce deux pièces. Au quatrième étage d’une construction récente, son appartement avait une vue splendide sur un parc. La cuisine à l’américaine d’un rouge profond s’ouvrait sur un salon aux fauteuils douillets et confortables. Cathy aimait s’y asseoir lorsqu’elle rentrait d’un entrainement ou qu’elle voulait se reposer en lisant. Sur les murs, elle avait accroché des cadres baroque noir, blanc et bourgogne Dans sa chambre, elle avait opté pour un décor inspiré des années 70 et une murale de Vazarely ornait le mur du fond. A la différence du reste de l’appartement, il fallait un gros effort d’imagination pour savoir où se trouvait le bureau. Cathy avait pratiquement créé une œuvre d’art en accumulant des livres, du papier et des brouillons sur un mètre cube… même le fauteuil boule dans lequel elle se lovait était rempli des ébauches de sa pièce. Il faut dire que, depuis son retour en France, Cathy ne travaillait que dans un seul but : monter sa première pièce de théâtre et le concours organisé par la Fondation Io Nesco était une aubaine qu’elle ne voulait pas laisser passer. Tous les deux ans, cette Fondation faisait un appel d’offre pour de jeunes talents. A la clé, le financement intégral d’une première œuvre originale et la possibilité de faire reconnaître son talent auprès des pairs grâce à une large couverture médiatique. L’interphone aigrelet sonna. Cathy sursauta et se dirigea vers l’entrée.
« - Oui ?
- Bonjour, c’est la Poste. J’ai une lettre recommandée pour Mlle Lambert.
- Oh… euh.. oui c’est moi. Je vous ouvre. Je suis au quatrième. »
Cathy se demandait de qui pouvait bien venir cette gigantesque enveloppe craft que le facteur venait de lui remettre. Elle l’ouvrit fébrilement et dégagea le volumineux contenu. Elle parcourut la page qui se trouvait sur le dessus.
« -Mademoiselle… bla bla bla… merci d’avoir participé… bla bla bla… Nous avons le plaisir de vous octroyer la bourse de la Fondation Io Nesco pour la période 2012-2014… »
Il lui fallu quelques minutes et une bonne centaine de lecture pour réaliser ce qui venait de se passer. Trois hurlements et quelques coups de fil en larmes à sa famille plus tard, elle réalisa qu’il était grand temps de foncer au théâtre et qu’elle ne devait pas être en retard. Antoine, son ami et metteur en scène était déjà assez stressé et nerveux comme ça. Rien ne servait d’en rajouter. Cathy attrapa son agenda, le fourra dans son monstrueux sac à main, saisit ses clés, une bouteille d’eau et fonça au parking pour récupérer sa voiture. Heureusement pour elle, le théâtre n’était pas en centre ville et il n’était pas trop difficile de se garer à proximité. Cathy avait d’ailleurs hérité du sympathique surnom de « Turtle » autant à cause de son métier de régisseur qu’à cause du nom des bonbons qu’elle aimait parfois manger durant sa pause. Le théâtre Erato venait de fêter ses dix ans et Cathy aimait cette construction récente qui abritait en son cœur le plus cosy et chaleureux des petites salles de spectacle qu’elle connaisse. Les grandes portes vitrées donnaient sur un hall d’entrée aux vastes dimensions. A droite, les trois caisses accueillaient le public avant de le diriger vers les ouvreuses. Erato était un théâtre à l’italienne en partie enterré et muni d’un ascenseur ce qui le rendait facilement accessible. La salle principale pouvait accueillir 500 personnes dans de moelleux fauteuils lie de vin. La fausse d’orchestre était surmonté de trois balcons tandis que les loges les plus prestigieuses se trouvaient au niveau de la scène.
Cathy arriva à toute allure dans la salle, faisant involontairement claquer les portes et voler les papiers aux alentours.
« - Ca y est, je l’ai… Vous vous rendez compte !!! Je l’ai !!! s’égosilla t’elle
Malgré l’incrédulité et l’incompréhension des acteurs et des machinistes qui passaient par là, Cathy enchainait son monologue sans réaliser que personne ne pouvait savoir de quoi elle parlait. Elle approcha d’Antoine et lui hurla dans les oreilles des informations sans queue ni tête jusqu’à ce que le metteur en scène la secoue.
« - Cathy, respire, calme toi… de quoi diable parles tu ? Tu as l’air d’une hystérique… Alors reprends depuis le début qu’on se réjouisse aussi. »
Cathy partit à rire en comprenant sa gaffe et dans un effort de sérénité, elle reprit son discours. Une salve d’applaudissement retentit et tous vinrent saluer la lauréate de la prestigieuse bourse. Antoine, toujours sur la réserve, vint la féliciter en dernier et lui proposa de monter la pièce ici même. Il savait que Cathy tenait à cette pièce autant qu’à son métier et il souhaitait qu’elle soit au plus près de l’action. Emue, Cathy accepta avec plaisir et prit un temps pour apprécier la chance que son vieil ami venait de lui donner. Antoine avait ce don étrange de calmer même les divas les plus capricieuses et à 40 ans, ce petit bonhomme brun aux yeux verts était capable de génie dès qu’il avait un projet en tête. Cependant, comme tous les génies, Antoine abusait souvent du café et de la cigarette pour tenter, en vain, de contenir sa nervosité ou son stress. On avait beau lui répéter qu’il ferait mieux d’arrêter le café, Antoine n’en faisait qu’à sa tête. La situation ne s’était pas arrangée lorsqu’il avait appris à la troupe qu’il était en train de divorcer. Les heures et les nuits passées à travailler sur de nouveaux textes l’avait éloigné de son épouse et il ne s’était jamais vraiment remis de ne pas avoir été père. Depuis un an de collaboration intensive, Cathy avait appris à apprécier chaque facette de celui qu’elle considérait comme un grand frère aux idées farfelues.
En attendant, tout le petit monde du théâtre Erato avait de quoi s’occuper avec la dernière production en cours. Antoine proposa à Cathy de le retrouver après les répétitions pour parler de leur collaboration. Cathy accepta et rejoignit les coulisses où les habilleuses et le décorateur l’attendaient impatiemment. Il y a de nombreux détails à régler et notre piquante lauréate adorait coordonner tout ce petit monde.
Il était presque 21 heures quand la porte du bureau d’Antoine se referma sur Cathy. Elle tenait fermement serrée le manuscrit de Sans toi(t) et même si le metteur en scène connaissait déjà les grandes lignes du projet, il était curieux de lire cette dernière version qui avait réussi à impressionner les juges de la Fondation.
« - De combien d’acteurs as-tu besoin ?
- De trois hommes et de deux femmes. Idéalement, il faudrait des âges différents pour les hommes parce qu’ils représentent un même personnage : l’un au début de l’âge adulte et l’autre juste avant la mort.
- Tu as pensé à Max pour le jeune ?
- Euh… oui, évidemment.. bredouilla Cathy. Mais on sait tous les deux qu’il n’acceptera jamais de jouer dans une pièce de province.
- Ah… ce n’est pas sur et puis tu le connais depuis le temps. Demande-lui et je vois ce que je peux faire avec les autres.
- Ok, ca me va. Je dois filer Antoine. Ne reste pas trop tard, tu sais bien que ce n’est pas le moment de te tuer à la tâche.
- Oui maman, ironisa le metteur en scène. Je finis cet acte, je ferme la porte et je rentre me reposer.
- A demain lança Cathy »
En rejoignant sa voiture, Cathy repensa à la proposition d’Antoine. Elle se demandait comment elle allait trouver le courage de parler à Max. Du haut de ses 23 ans, il avait déjà une belle carrière derrière lui. Cathy ne se lassait pas de le voir sur scène ou sur grand écran, elle admirait son talent et sa capacité à transmettre autant d’émotions. Physiquement, il avait tout du playboy de papier glacé sans avoir à utiliser Photoshop pour l’améliorer. Mais ce qui le rendait beau à l’extérieur c’était davantage ses qualités humaines et son envie de s’engager dans des rôles qui le sortaient de sa zone de confort. De retour chez elle, elle prit son courage à deux mains. Elle chercha comment joindre Max. Après avoir rédigé un courriel à son attention, elle se laissa bercer par Morphée.
Les semaines ont défilé à toute allure, les répétitions de Sans toi(t) se passaient divinement bien et Cathy n’arrivait toujours pas à réaliser que Max était là, qu’il avait acceptait avec plaisir. Comme toujours, le temps manquait et le rythme s’accélérait. Malgré la confiance qu’elle avait placé en Antoine, Cathy peinait à déléguer et elle aurait aimé avoir les compétences pour tout faire elle-même. Elle restait souvent tard le soir pour l’observer et elle passait ses rares moments de repos seule à courir dans le parc devant chez elle. Elle n’arrivait pas à rester calme et était à fleur de peau. Un lundi soir, la tension explosa en une colère monstrueuse. Cathy et Antoine s’étaient enfermés dans un bureau et les acteurs ne pouvaient qu’entendre les cris et les pleurs en passant devant la porte close. Dans ces cas là, tout le monde savait qu’il valait mieux attendre que le vent tourne. Ce soir là, la répétition avait été écourtée.
Le lendemain matin, Antoine était absent. Lui, d’ordinaire si ponctuel, était introuvable. Sa voiture n’était pas sur le parking, il ne répondait pas au téléphone et même son ex-femme ne savait pas où il était. Cathy aussi était arrivée en retard au théâtre ce qui ne lui ressemblait pas davantage. Inquiète pour son ami et tentant de se réveiller avec un café bien fort, elle se précipita sans réfléchir quand elle vit la porte s’ouvrir. Deux hommes à l’air sévère traversèrent l’orchestre sans un mot. Ils montèrent sur scène et dans un silence pesant, le plus âgé d’entre eux prit la parole.
« - Je suis le lieutenant Adam de la brigade criminelle. Nous sommes au regret de vous annoncer le décès de M. Antoine Delancel. Il a été retrouvé ce matin dans son appartement. Nous vous présentons toutes nos condoléances. »
La stupeur pouvait se lire sur les visages. Soudain, les larmes se mirent à couler. Les gémissements laissaient place aux pleurs. Cathy pris la parole avec un calme étonnant :
« Ecoutez, on va tous rentrer et on verra demain pour la suite. Ne vous en faites pas, ca va aller. »
Tout le monde sortit en silence. Surpris, les policiers s’approchèrent.
« - Vous êtes Mlle Lambert ?
- Oui
- Veuillez nous suivre. Nous avons des questions à vous poser…
- Mais ?! Pourquoi ?! Je suis innocente, je n’ai rien fait. »