Un accident mystique
José Seriki
SYNOPSIS
Les coups de foudre sont très appréciés de tous ; pourvu qu’ils soient enthousiasmants. Et puis, ce sont des faits d’histoires d’amour, affaires de cœur, affaires de tout le monde à la fin. Sinon, certaines rencontres sont parfois terrifiantes et regrettables. Le fait est simple : chacun suit normalement sa route, et, tout comme on ignore totalement la date de sa mort, personne n’imagine ce qui pourra lui arriver à la prochaine seconde. C’est dans cet état d’ignorance fatale que s’inscrivent certains croisements inattendus qui changent brusquement ou progressivement le cours des choses dans la vie des sujets. Une imprudence, une négligence, une maladresse, je m’abstiens de qualifier ces faits de simples ou de légers parce que, à une seconde quelconque, toute la vie en dépend, et aussi, parce que, grands ou petits, cruciaux ou banals, ils peuvent avoir le même effet jamais soupçonné. Deux êtres nous en donnent une nouvelle preuve à travers une rencontre que tous les deux avaient longtemps imaginée mais sans jamais y avoir cru. A la différence que les deux hommes s’étaient rencontrés pour la première fois à un accident de circulation. L’accident n’avait rien de sorcier et le choc était mou, limite et anodin. On ne comprendra peut-être jamais comment les sujets ont pu, malgré tout, être blessés à tel point qu’ils pourraient être déclarés inaptes à plusieurs épreuves physiques et sportives. Blessés après le choc ? La clé du mystère n’est pas perdue.
UN ACCIDENT MYSTIQUE
Sans l’ombre d’un doute, les deux hommes étaient tous les deux normaux avant d’entrer en collision ce midi-là. Adissa, vautré dans son somptueux véhicule équipé à la hauteur des goûts modernes, était au volant depuis le lever du jour et avait parcouru des lieues. Ce périple qu’il entreprenait habituellement tous les matins de dimanche, fut aujourd’hui si long que le jeune homme ne se souvenait même plus de toutes les routes qu’il avait parcourues, pas même de ces nombreux quartiers qu’il a traversés de part en part. Les belles images de ces villas qu’il a vues et admirées longuement, les corps souples de jeunes filles qu’il a convoitées sans pouvoir les toucher, comme il fantasmait sur elles à chaque fois, et les records de vitesse qu’il a établis au cœur de l’agglomération défilaient sur ses yeux. Toutes ces belles choses que la nature avait offertes à ses yeux tout au long de cette matinée, lui ravivaient l’âme et par conséquent, son visage rayonnait de bonheur.
Sourire aux lèvres, bras gauche fléchi sur la vitre de la portière rabaissée à moitié, lunettes en verres fumés lui cachant les yeux, il arriva au rond point Vacheron, intersection de deux vastes boulevards démunie de feux tricolores. Puisque la route paraissait d’emblée libre, il continua à sa vitesse de croisière. Quitte à le regretter ! Lambert, la quarantaine, pilotait un hélico vieilli, euh… non, un motocross décoloré par les intempéries et les âges, et dont le bruit du moteur avait complètement changé, faute de soins. Le vroum du moteur était semblable au grondement de tonnerre et, au-dessus de son pied posé délicatement sur un grillage de fil de fer rouillé, là où se trouvait la jonction du cylindre au tuyau d’échappement déchue du capot métallique, un objet mécanique grouillait et se comportait exactement comme les pales d’une hélice d’avion. Là, nous sommes sur du bitume. Lambert roulait très rapidement avant d’arriver au rond point, mais comme il avait à choisir entre s’arrêter pour bien regarder et accélérer pour vite passer, il fit son choix : le second. L’homme choisit à son tour de tourner le poignet vers le bas et l’engin, en dépit de son moteur bavant et agonisant, fonça comme un avion de chasse. La chaine du motocross sifflait au même moment que les amortisseurs. Adissa et Lambert ne se connaissaient pas ; ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant. Mais, aussi étrange que cela puisse paraitre, la coïncidence sera terrible ; ils réfléchirent au même moment et eurent les mêmes idées. C’aurait été mieux à une autre occasion, et en effet, le moment fut, bien sûr, mal choisi.
Les grands immeubles à gauche de Lambert, et donc à droite de Adissa, avaient empêché les deux hommes de s’apercevoir beaucoup plus tôt. Lambert était quant-à lui convaincu que n’importe qui pouvait entendre le bruit rare de son engin. En effet, et les mots en disent si peu, tout le quartier en vibrait et le boulevard tonnait comme le ciel pendant l’orage. Le volume des haut-parleurs à fond, Adissa écoutait sa musique préférée à la radio, savourait la mélodie, fredonnait la chanson et bougeait le corps à gauche et à droite comme un bienheureux. Au même moment, son téléphone sonnait et il s’apprêtait à le décrocher pour répondre à sa dulcinée qui l’appelait sans doute pour lui dire de ces jolis mots dans les oreilles. Avec tout ça, rêveur éveillé, il lui était impossible d’entendre les grondements de moteurs venant dans l’autre sens. Les piétons quant-à eux, ne pouvaient que se boucher les oreilles pour ne pas que leurs tympans s’abîmassent. Les deux usagers foncèrent l’un sur l’autre et s’aperçurent soudainement. Un peu trop tard. Adissa fit les gros yeux, s’adossa sur son siège en velours et appuya sur la pédale de frein. La bagnole qui, malgré tout, resplendissait aux charmes de ces rayonnements solaires qui l’illuminaient, s’arrêta après que les quatre roues eussent glissé sur une bonne dizaine de mètres sur le bitume. Lambert qui avait évidemment vu sa mort de si près, avait paniqué. Après avoir crié au même moment que les piétons sidérés, il avait tourné le guidon de son engin à gauche et à droit, comme il n’avait pas su dans quelle direction passer pour éviter de se faire écraser. Fallait-il passer devant la voiture ou derrière ? Le temps n’avait pas permis de réfléchir ; pas même de choisir. En fin de compte, l’homme avait pris le chemin du milieu et avait foncé droit sur la caisse qui freinait adroitement en sifflant. Le motocycliste freinait en tournant le poignet toujours vers le bas ; il ne savait pas ce qu’il faisait, il était étourdi et d’aucuns diraient que l’homme avait perdu le contrôle de ses sens, ou qu’il avait perdu connaissance.
Peu après le choc, il se releva et s’aperçut qu’il n’avait pas eu la moindre égratignure sur le corps. Pas même de douleur interne ! Ses sens revinrent en place et lui-même reprit le contrôle. Les piétons se ruèrent sur le lieu de l’accident. Deux jeunes adolescents soulevèrent le motocross et le mirent en marche. L’engin s’était renversé après avoir percuté le véhicule de travers. « Tu as eu de la chance ! Tu n’as rien eu de grave, et ta moto non plus. », le félicitèrent-ils. On croirait que tout était terminé, mais non ! La fièvre et la colère, le burlesque et la niaiserie, l’agitation et la précipitation, voilà de nouveaux couples de données qui s’ajoutèrent à l’équation et la rendirent plus compliquée que jamais. En effet, pendant que les secours relevaient la moto, d’aucuns se mirent à féliciter le conducteur du véhicule pour sa promptitude et sa réaction intelligente, d’autres saluaient l’adresse du motocycliste. Au même moment, certains huaient Adissa ; d’autres décriaient l’excès de vitesse de Lambert ; d’autres encore dépréciaient l’imprudence des deux usagers. Il y eût peut-être mieux. Les deux hommes au cœur de la scène avaient un spectacle à livrer, et, à priori, personne ne s’en doutait. Adissa descendit de sa voiture et fustigea Lambert : « Espèce de bâtard ! Hlô non ! Avoun towé ! ». Lambert riposta méchamment : « Fils de pute ! Nonté kpon mi ! Enculé ! Amène ta gueule, je te la fracasse comme une coquille d’escargot ! ». Les deux foncèrent l’un sur l’autre, tels deux boucs en courroux. Lambert, plus rapide que la lumière, se dépêcha d’administrer deux coups secs à Adissa : un soufflet sur la joue gauche, suivi immédiatement d’un poing rude sur le menton. Son impressionnante agilité s’expliquait par la sveltesse de son corps et le style vestimentaire sportif qu’il préférait à n’importe quel autre accoutrement patois. Adissa n’eut point le temps d’esquiver et ne trouva mieux à faire que de courir à l’arrière de sa voiture. Il ouvrit le coffre et s’empara d’une grosse massue rugueuse. Les témoins, pris de panique, se dispersèrent sur le champ ; le diable en personne était là, le danger aussi, naturellement. Il souleva le bâton et se rua sur Lambert agrippé à la portière de droite, à l’avant du véhicule. Lambert en eut les fesses serrées, comme n’importe quel être normal dans sa situation. Adissa donna le premier coup, mais Lambert fit montre d’une agilité sans pareille et esquiva avec adresse. La massue, dans sa violente descente, trouva le pare-brise ; les tessons de verres s’envolèrent en résonnant. Les deux hommes, pris à leur propre piège, en reçurent plusieurs sur le visage. C’aurait pu être catastrophique, susurre-t-on dans les rangs. En effet, le pire aurait pu avoir lieu mais il n’arriva pas sur ce coup-là. Il y eut peut-être mieux que chacun redémarrât son engin et partît au plus tôt, mais, puisqu’ils avaient pris goût à la violence, les deux hommes ne trouvèrent mieux à faire que de s’assommer et se bastonner. Ils se donnèrent réciproquement une averse de coups de poings, de coups de pattes, de coups de tête, de coups de genoux ; et usèrent de tous les objets à leur portée de main pour se blesser et se déchirer la peau. Ils se serrèrent les cols des tenues et leurs yeux sortaient presque des orbites. Aux bornes de l’étouffement, ils respiraient à peine. Nous voilà bien ! Les témoins n’attendaient que cela pour avoir le dû courage de s’approcher des bagarreurs pour les séparer et les calmer. Quelques dents perdus, enfin non, les voilà sur le sol nu ; un bras fracturé ; des lèvres fissurées, un nez joliment mis en marmelade ; le bilan est plutôt élogieux pour Adissa. Lambert avait dû faire une meilleure récolte. Voyons voir, deux côtes brisées, une oreille déchirée, deux doigts cassés, et une pléthore de blessures sanglantes dues aux tessons qui avaient atterri sur sa peau fragilisée par la galère, et bien sûr, quelques dents en moins. La brosse à dents aurait moins de travail à faire le lundi matin.
José SERIKI
Merci à vous pour l'intérêt que vous y avez porté.
· Il y a environ 13 ans ·José Seriki
J'ai trouvé cela très amusant.
· Il y a environ 13 ans ·Cela illustre pour moi bien comment le destin, la protection ou l' instinct, Dieu, je ne sais, fait en sorte que les choses se passent toujours pour le mieux...
Pendant ce genre d'instants, lorsqu'il y a "lâcher prise" ...
et que le moment d'après, lorsque l'égo resurgit au galop, le plus usant peu revenir...
Cela devait-il de toute façon se passer ainsi ?
Seule critique pour le texte... pourquoi ne pas l'avoir aéré ? (retour à la ligne , paragraphes...)
Cela rendrait la lecture plus fluide.
Merci pour ce partage en tout cas.
lorenlorant
Quelle "aventure" effectivement pour une seconde d'inattention !
· Il y a environ 13 ans ·nouontiine