Sauvages

june

L'entre-soi, la violence, les vieux, quelques uns de mes sujets de prédilection ...

C'est l'épaisseur du jour, cette moiteur étanche qui enveloppe les corps. Le linceul qui les cueille au saut du lit, les secondes qui fuient. Les horloges détraquées aux murs des asiles.

La vieille s'est levée, comme en cage. Elle a caché le flingue dans les tuyas, salué le fleuriste au marché où elle avait ses habitudes. Des glaïeuls, oui, je vous les prends. Pour faire bien sur la table. Les photos bien rangées dans les cadres. Vacances au Lac Léman, escapade à Venise, et, celle sur le mur de la salle à manger, l'année même où sa mère s'était évaporée sous terre. La petite radio qui grésillait faiblement dans la cuisine, où le vieux se tenait. Regard figé sur le jardin aux moineaux.

-          Tu manges ?

Au moment où il tourne la tête, elle pointe le flingue sur sa tempe. Il tressaille à peine, mais l'effroi se lit sur son visage.

- Tu vois ça ?

Voix brisée. Elle soulève le pull bouloché, montre les bleus. Les traces.

- Tu vois ?

Elle lui fourre le nez dedans. Il commence à parler pour tenter de se justifier, odeur persistante d'oignon sur le corps. L'odeur des vieux.

-  C'est moi.

Voix plate aux sursauts mélancoliques.

-  C'est moi.

La vieille tremble encore. Elle veut le faire, tirer, faire sauter la cervelle du ravisseur avec qui elle partage sa vie.

Elle en a parlé à Micheline, l'autre soir. Micheline et sa coiffure en pétard, Micheline et son maquillage outrancier.

-          Quoi ? C'est quoi qu't'as dans la tête maintenant ?

Ses sourcils tracés au crayon se soulevaient au rythme de sa respiration.

-  Il te frappe, et alors ? Tu sais bien que dans l'village t'es pas une exception !

Elle hausse les épaules.

- Et c'est la vie. Peut-être que les jeunes d' aujourd'hui, ça se fait plus pour eux. Regarde Bernard –signe de tête vers le cadre photo de son défunt mari- Une baffe et c'était reparti comme en quarante.

-  Et t'acceptais ça, toi, Micheline ?

Poings serrés de la vieille.

- Bah oui. J'encaissais, et je retournais planter mes tulipes. Tiens d'ailleurs, j'ai semé mon ail ce matin, t'es forte toi, tu pourras me filer un coup de main pour le jardinage ?

La vieille était partie, rictus nerveux au visage. Ils appellent ça des amis, cette bande d'abrutis qui passent leur temps à lire France Dimanche en regardant passer les voitures sur leurs chaises pliantes.

Elle décide de réfléchir, pour le vieux. Elle braque maintenant le pistolet sur le ventre.

-   Allez, fais-moi la bouffe.

-   La … La bouffe ?

Il va pisser dans son froc, pensa la vieille. Je vois d'ici la tache.

- Ouais, la bouffe. Ce que je fais tous les jours, tu sais. Quand tu reviens de ton putain de bar et que t'arrives, le cul vissé sur le fauteuil. Quand t'attends que Bobonne te ramène le sucre pour le café.

 

Crève. Allez crève crève crève.

Elle appuie sur la détente. Eclaboussures de sang sur les murs. Il ne restera rien. Elle trottine vers la police sans prendre le temps de nettoyer, posant fièrement son flingue ensanglanté sur le comptoir.

- Bonjour, je viens de tuer mon mari.

  • Les maris, ça se tue en pensée parfois...
    Toute cette rancœur et souffrance accumulée, et la voilà soulagée !
    Superbe texte et bien écrit !

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • accumulées.

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Merci beaucoup pour votre commentaire (et votre coup de cœur) qui me touchent beaucoup :).

      · Il y a plus de 5 ans ·
      Tumblr lzo8vjnf7g1qdu9b3o1 500

      june

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