Sayonara

sylvertia

Que se passe-t-il en notre absence ?

Son départ, bien qu'anticipé, était quelque peu précipité. Elle ne pouvait pas emporter autant d'affaires qu'elle l'aurait souhaité. A quoi bon de toute façon ? Elle savait qu'elle laissait irrémédiablement une part d'elle-même.

Tous ses vêtements étaient déjà entassés dans ses sacs et ses valises, ses vestes et ses manteaux empilés sur la banquette arrière de sa voiture. Elle vivait ses derniers instants ici. Elle était dans cette ambivalence que l'on ressent lorsque l'on fait quelque chose de nécessaire à contre-cœur. Elle se demandait toujours encore si elle devait laisser derrière elle les présents ou les emmener… Fallait-il signifier ses adieux par ce geste qu'elle jugeait des plus cruels ? Comme une manière de dire que tout cela n'avait pas compté pour elle. Voulait-elle qu'il pense cela ? Voulait-elle le blesser ? Lui laisser croire que rien n'avait eu de sens comme elle-même en avait eu le profond ressenti ?

Son départ non-annoncé était déjà un coup de poignard en soi. Elle l'avait bel et bien prévenu, mais pouvait-il s'attendre à ce qu'elle s'exécute réellement ? Pouvait-il imaginer la maison vide à son retour ? Peut-on penser rentrer dans une maison emplie de l'absence de l'être qui nous est cher ?

En fin de compte, elle savait qu'elle voulait le faire souffrir. Cette manière si peu décente de le quitter en était bien la preuve. Mais elle ne savait plus : à qui voulait-elle faire le plus de mal ?

« Tu sais, un jour, je finirai par partir… » avait-elle si souvent répété… Avait-il idée de la capacité autodestructrice de ces mots ? Savait-il quel déchirement cela représentait à ses yeux ? De quelle punition il s'agissait ?

Elle répondait aux ordres de cette petite voix qui trop souvent se faisait entendre au creux de ses oreilles. Cette scène, dans son imagination, elle l'avait déjà si souvent vue et vécue. Avec l'intensité d'un authentique passage à l'acte. Cela l'effrayait même davantage que la réalité. L'idée de le faire…

Il était encore temps de revenir en arrière. Elle le savait. Elle se comportait comme par le passé : elle espérait se sentir aimée en tournant le dos, en fuyant. Abandonner pour ne pas être abandonnée. Elle avait des espoirs qui n'avaient d'égal que sa résignation.

« Il va venir. » martelait la voix dans sa tête. « Il viendra te chercher. Il ne te laissera pas partir. Il aura compris. » lui répétait-elle comme une prière vaine. Quel besoin avait-elle de s'en aller alors ? Était-ce pour le plaisir d'espérer bêtement quelque chose qui aurait des chances de ne pas survenir ? Était-ce par amour de la complexification ? Était-ce juste un besoin viscéral de preuves tant attendues et qui ne venaient pas ? Quelle était cette manie de s'infliger toujours une double peine ?

Elle avait finalement pris les manteaux qu'il lui avait offerts, ainsi que les chaussures. Elle se tenait debout, emmitouflée dans l'un d'eux, sur le pas de la porte de leur chambre. C'était celui qu'il lui avait offert car il le trouvait tant à son goût qu'il désirait plus que tout la voir le porter. Elle avait aussi revêtu les vêtements qu'elle avait achetés peu de temps après leur rencontre. Elle portait un rouge à lèvres violet et ses cheveux vibraient d'un prune intense. Dans le lit, elle récupéra deux des peluches qu'il lui avaient offertes. L'une d'entre elles, un petit renard aux yeux rose brillant, lui adressait un sourire. Son cœur se déchira. Elle se mordit violemment les lèvres pour ne pas pleurer. Elle fit rapidement demi-tour, laissant sur la table de chevet les accessoires de massage qu'il lui avait achetés à la dernière Saint-Valentin.

Allait-elle aller au bout de son geste ? Allait-elle tourner le dos à la maison qu'ils avaient choisie ensemble ? « Leur » maison, même s'il s'agissait d'un grand mot… Allait-elle s'enfuir après tout ce qu'ils avaient traversé ? Après tout ce qu'elle avait fait et enduré ? Tournerait-elle le dos à leur amour sans ciller ?

Elle resta immobile en-haut des marches de l'escalier, chargée de ses derniers effets, vacillant. Pleine de doute, elle ne pouvait ignorer qu'elle lui faisait désormais trop de reproches pour pouvoir encore parler d'amour. Mais alors, quelle était cette faible lueur au fond de son cœur ? Quelque chose lui disait qu'ils seraient amenés à se revoir, dans d'autres circonstances… Elle ne parvenait plus à faire la part des choses.

L'heure tournait. Elle hésitait toujours, comme incapable d'avancer ou de reculer. Peut-être était-ce une fin en soi ?

Un grattement la sortit de sa torpeur. Le petit chien aux oreilles semblables à des ailes de papillon était toujours enfermé dans sa caisse et commençait à s'impatienter. Elle pensait déjà à ses plaintes de désespoir lorsqu'il ne trouverait pas son second maître, ayant perdu ses repères et ses habitudes. Elle savait ce qu'elle lui ferait endurer et s'en voulait déjà.

Les cloches sonnèrent au loin. Au même instant, une vibration sur son téléphone la fit sursauter. « Je t'aime ! Je pars ! » était-il écrit.

Il était plus que temps. Elle se hâta.

 

***


Une clef tourna dans la serrure. Un jeune homme rentrait chez lui après sa journée de travail. Fatigué, il se réjouissait de retourner à la maison et de retrouver sa compagne et leurs compagnons à quatre pattes.

Mais à peine eut-il franchi le seuil, qu'il fut interpellé par quelque chose d'anormal : c'était différent. Le petit chien ne venait pas l'accueillir comme d'ordinaire et il n'y avait pas de petite voix qui l'appelait à l'autre bout de la maison. Une veste était absente du porte-manteau. La laisse était décrochée. Son cœur se mit à battre soudainement.

Puis une paire de petites pattes se posa contre sa jambe. Elle apparut dans l'embrasure de la porte, portant son manteau préféré. Elle semblait gênée mais il s'en aperçut à peine. Il l'embrassa tendrement et lui demanda comme à l'accoutumée : « Alors, cette journée ? ».

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