SCENE DE MENAGE

oliveir

Je n’ai jamais aimé les chiens. Ne m’accusez pas à tort. Beaucoup de gens n’aiment pas les chiens mais ils n’osent le dire parce que ce n’est pas bien vu. Moi je l’avoue tout simplement. Et puis, c’est une tradition familiale. Dans la ferme de mon aïeul, le chien courait dans une roue pour faire tourner la baratte à beurre. Quand il s’arrêtait, on donnait un coup de pied dans la roue pour qu’il se remette à marcher. La nuit, le cabot errait dans la ferme pour faire fuir les vagabonds. « Sale bête », c’était le mot que prononçait mon grand-père quand il voyait un chien. Bien des années plus tard, une de mes tantes a fait entrer un chien dans la famille. Ixi, c’était son nom, ce n’était pas un chien d’ailleurs, c’était un chien d’intérieur, un caniche, un boule frisée. C’était il y a longtemps, à cette époque, je traînais encore à quatre pattes. On m’a retrouvé  en train de manger dans l’écuelle du chien. Ma mère a été vexée, on peut la comprendre aussi. Mon grand-père était boucher, il l’assura qu’il n’y avait rien à craindre, il ne vendait que de la bonne viande mais la blessure était là.

Le temps a passé mais je n’ai jamais apprécié le halètement puant des chiens. Et il faut toujours qu’ils se mettent à mes pieds. C’est drôle, je ne les regarde pas, je ne les appelle pas, il faut qu’ils viennent près de moi et qu’ils s’allongent sur mes pieds comme si l’on se connaissait. J’ai horreur de cela. Mon signe dans le ciel chinois, c’est le chien.

 C’était une source de conflits avec ma seconde épouse, elle voulait un chien mais notre maison était trop petite, le jardin n’était pas clos… Elle était raisonnable. Elle disait que ce serait bien pour notre fils, qu’il quitterait les manettes de sa console pour promener l’animal. Moi, j’avais du mal à comprendre, elle se plaignait de ne pas avoir de temps à elle et elle voulait ajouter une corvée supplémentaire à son emploi du temps. Quand nous nous sommes connus, elle n’avait pas de chien, maintenant elle en voulait un, elle voulait modifier unilatéralement les termes du contrat.

Nous avions des amis qui mettaient leur chienne  au chenil lorsqu’ils partaient en vacances, ils étaient bien organisés, ils partaient souvent. J’ai accordé à ma femme de recueillir la chienne durant leur absence. Un beau setter, bien élevé, un animal facile… Ce serait mieux que le chenil pour elle !  Un regard de chien battu entre ses deux oreilles de cocker. Notre fils n’alla pas promener le clebs mais il jouait un peu avec elle et la caressait de temps en temps. Lorsqu’on approchait de cette chienne et qu’on la regardait, elle se mettait sur le dos et attendait les caresses. Je me suis demandé si elle n’était pas idiote mais c’était un moindre mal parce qu’elle n’était pas désagréable par ailleurs.  C’est ma femme qui sortait le chien. Elle était contente, cela l’obligeait à marcher et moi, cela m’évitait de devoir sortir ma femme.

Un de mes amis a deux dauberman pour garder sa maison. Un jour, je me suis rendu chez lui, nous avions rendez-vous, je sonne, il est occupé au téléphone, il ne m’entend pas, les chiens ont les deux pieds sur la grille et l’agitent en tous sens. Je ne peux pas entrer. L’attente se prolonge; n’en pouvant plus d’attendre, j’ouvre le portail, les chiens me bousculent un peu mais j’entre. Je leur parle, je leur donne quelques coups de pieds, ils me laissent passer. Mon ami me demande, interloqué, comment j’ai fait pour entrer dans le jardin ! Il se demande à quoi servent ses chiens s’ils me laissent entrer. J’aurais été le premier à oser passer outre les molosses ?

J’étais remarié, mes premiers enfants étaient étudiants et avaient gardé l’habitude de venir un week-end sur deux. François, mon second fils est celui qui me ressemble le plus, il a ma carrure, enfin celle que j’avais à son âge, nous communiquons de la même façon. On dit que dans les familles recomposées, il y a moins de conflits que dans les autres, je crois qu’il y en a plus mais que les parents essaient d’éteindre les étincelles avant que l’incendie ne se déclare entre les beaux-parents et les enfants. Cela n’est pas facile tous les jours, chacun doit prendre sa place. J’avoue qu’ils arrivent n’importe quand, ils apportent leur sac de linge sale et dorment dans les canapés parce qu’ils ont fait la nouba toute la nuit ! Souvent j’avais souvent l’impression de jongler avec des verres en cristal pour éviter que le conflit n’éclate. Certes, les enfants sont fatigants mais ils apportent de la vie dans une maison, un souffle venu du dehors, une fraternité qui se construit. Notre dernier fils ne peut contenir son rire lorsque ses frères racontent leurs histoires. Quand l’orage gronde, je ne sais si je dois élever la voix ou mettre le pouce dans mon poing.

Il est arrivé plusieurs fois que François joue avec la chienne que nous avions en pension. Il s’amusait à simuler un revolver avec sa main, il disait « pan », la chienne se couchait sur le dos et attendait des caresses. On pouvait croire aussi qu’elle jouait à faire le mort. François a fait une vidéo pour la mettre sur internet, il a sorti un pistolet en plastique et a pris son air féroce afin que son frère le filme son numéro avec la chienne. Cela rendait bien d’ailleurs. Cette chienne aurait pu faire du cinéma.  

Mon épouse a insisté pour que nous déménagions. Je n’en comprenais pas bien la nécessité, une maison plus grande n’est toujours plus confortable. Nous avons déménagé, notre fils était toujours en bas, le salon était plus grand, il criait plus fort aux commandes de ses manettes pour jouer avec ses copains et moi je me réfugiais toujours dans une chambre en haut pour être au calme.

Il semblerait que les gamins aient trouvé le bonheur. Un ordinateur et une connexion, ils ne désirent rien de plus. Ils ont atteint la sagesse, ils ne connaissent pas l’ennui !

François avait quitté son logement étudiant, il avait un job et voulait acheter un appart, bref il était à la rue… Il squattait chez des coloc et venait dormir chez nous une ou deux fois par semaine. Ce garçon a un côté aventurier, une réelle capacité d’adaptation, il a un « tout va bien » aux lèvres qui est parfois désarçonnant… Mon épouse craignait que François ne soit un peu envahissant. Je reconnais que les enfants ont cette mauvaise habitude de débouler sans prévenir juste avant le repas. D’un autre côté, une assiette en plus, ce n’est pas la mer à boire. Et le caractère improvisé casse la routine du quotidien.

Aux vacances de Toussaint, nous avions la chienne pour quelques jours. Le pli était pris, on ne demandait plus mon avis. Un soir François est venu manger avec son amie. La chienne s’est mise à trembler lorsque François est entré, elle était terrorisée, elle a fui dans la cuisine… C’était la première fois que je voyais un chien dans cet état. Il claquait des dents. François est resté dans le salon et mon épouse a essayé de faire revenir la chienne, je crois que la voix de François effrayait la chienne. Je ne sais ce qui s’est passé entre eux. Mon dernier fils nous a dit que François avait regardé le chien avec son regard de « psychopathe » mais je ne crois pas qu’un simple regard puisse terroriser un chien et le marquer encore deux mois plus tard.

Toujours est-il que mon épouse ne se voyait pas accueillir et François et le chien aux vacances de Noël ! Le chien tremblait lorsque François était là. Un soir que je revenais de mes pérégrinations, mon épouse me dit que François lui avait téléphoné pour lui annoncer sa venue, elle lui avait dit de prendre ses dispositions pour ne pas venir pendant les vacances de Noël. « Vous n’allez pas me mettre dehors quand même ! ». Ce sont les paroles de François que mon épouse me rapporta. La coupe était pleine.  J’ai répondu à mon épouse qu’on ne mettait pas un enfant dehors et que si François allait dormir chez sa grand-mère, je ne dormirais pas chez moi et qu’il n’était pas certain que je revienne le lemndemain !

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