Seul

Jade Dorcier

"Il n'y a plus de temps Sawda. Le temps est une poule à qui on a tranché la tête, le temps court comme un fou, et de son cou décapité, le sang nous inonde et nous noie." Wajdi Mouawad- Incendies

Le monde explosait. Les maisons explosaient, les toits explosaient, les routes explosaient. Le bleu du ciel avait éclaté, transformé en une myriade de teintes rougeâtres. Le bruit avait éclaté, comme une bulle que l'on perce avec une aiguille, crevant le silence. Les cris, les larmes et le sang jaillissaient des maisons endormies. Les bombes et les balles avaient tout détruit pour mieux tout repeindre. Partout, dehors, la haine explosait, les gens explosaient, l'humanité explosait. Le monde s'enflammait.

   Il n'y avait plus de sensations, plus que la peur et la souffrance. Plus de son, que le silence assourdissant du carnage. Plus de couleurs, tout était devenu monochrome. Et le temps, cette atrocité qu'est le temps, qui prenait un malin plaisir à s'étaler, s'étirer de tout son long pour ne jamais finir. Une interminable saison en enfer qui n'a duré qu'une nuit.

   Pour un homme, cette déflagration d'horreur était insoutenable. Pour un enfant, elle en devenait incompréhensible d'atrocité. Pour un homme, les mots ne suffisaient plus pour décrire le désespoir. Pour un enfant, les émotions étaient trop frêles pour pouvoir y faire face. Les bombes atterrissaient directement dans leur coeur ravageant les sentiments. Beaucoup d'enfants n'auront pas à se rappeler cette nuit de cauchemar gravée au fer rouge dans leur mémoire, parfois même sur leur corps. D'autres survivront pour transmettre le souvenir. C'est ainsi. C'est injuste. C'est insupportable. C'est ignoble. Mais on ne peut rien y faire. 

   La peur est telle qu'elle vous paralyse. La colère est telle qu'elle vous déchire. La douleur est telle qu'elle vous carbonise. Tout, les corps, les pierres, le sang, les sentiments, tout se mélange pour ne former plus qu'un tas fumant et, à la fin, il ne reste rien. Pas même les mots. La douleur du vide.

   Quand enfin le silence revient, doucement, en même temps que l'aurore. Quand les bombes sont parties rugir ailleurs et que les balles se sont tues. Quand le monde a arrêté d'exploser et que la fumée se dissipe, laissant derrière elle un nuage de cendres. Quand enfin les rayons du soleil apparaissent et laissent le monde explosé aux yeux des enfants survivants. Plus de maison, plus de famille, plus rien. De la poussière. Touts les repères ont volé en éclat et on est seul. Seul avec une jambe en moins. Seul avec un visage déchiqueté. Seul au milieu des flocons de cendre qui vous brûlent les poumons. Seul avec un trou béant dans la poitrine. Seul avec une vie entière à porter le fardeau de la douleur. Seul avec aucun mot pour se consoler, pour essayer de donner du sens. Seul.

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