Si le potager m’était conté.

lyselotte

Voici, très édulcoré, le texte qui m'a valu d'être publiée dans le recueil du concours littéraire Pampelune. Astrov reconnaitra sûrement les protagonistes de cette historiette.


Moi, Petit-gris, escargot de Bourgogne, me doit de laisser ce récit à la postérité, pour ma descendance, afin de les prévenir des dangers encourus par notre petit monde de rampants coquillés.

Il faut que je vous narre, par le menu, les ruses et abominations dont je suis victime depuis que j'ai installé ma coquille dans ce vieux mur jouxtant le potager du père Narcisse. Bon, certes, j'avais pris, depuis ce printemps, mes aises dans ses rosiers couvre-sol dont les fleurs me rappellent furieusement les églantines d'antan dont mon arrière-arrière-arrière grand-père était friand - et avais savouré, aux aurores bruineuses, leurs pétales nacrés frappés au frais du soir.

Bon, d'accord, j'avais aussi - un peu - grignoté les tiges vert-amande des feuillettes naissantes de cosmos printaniers. Pouvait-on m'en vouloir pour si peu ?

Ok, ok ! J'avais aussi fait un sort aux mufliers nouveaux, aux soucis sourcilleux et aux timides zinnias ! Mais il faut dire que tout ce céladon avait de quoi aiguiser l'appétit des plus sages. Après ce long hiver, claquemuré dans mon grisâtre, j'avais envie de « frais » …

Qui pouvait m'en vouloir ? Hé bé le père Narcisse !

Ce personnage, au demeurant chaleureux et de surcroît doté d'une moustache me rappelant mon arrière-arrière-arrière grand-mère (oui, chez les gastéropodes, la femelle porte moustaches - et culottes aussi d'ailleurs) n'eut pas l'air de trouver à son goût mon appétit printanier ! Dans un premier temps, l'entendant grogner en se penchant sur son massif en berne, j'ai cru que ses douleurs se rappelaient à son bon souvenir. Les sabots solidement ancrés dans le terreau fertile (issu du compost amoureusement concocté par Marie-Blanche, son épouse), ce bougon ronchonnait dans sa moustache tout en effleurant de ses gros doigts d'humain le minuscule résultat de mes fringales nocturnes. Puis, se relevant, les mains sur les reins, cet apparent bon homme était allé quérir sa moitié et, la hâlant tel un remorqueur guidant un paquebot (oui, la dame est assez avantageuse) lui avait montré - avec l'air navré que l'on se doit de prendre en constatant une catastrophe - le parterre vide de pousses…

- « C'est les cagouilles, avait-elle décrété, péremptoire, du haut de ses un mètre cinquante cinq (environ, à vue de nez d'escargot, n'est ce pas !). J'ai ce qu'il faut !

Les cagouilles ! LES cagouilles ? Pourquoi LES ? Lors de mes virées nocturnes dans ce palace des pousses, je n'avais croisé aucun de mes confrères, je l'assure ! Quelques limaces faméliques, quelques bestioles décoquillées certes aussi, mais

de gastéropodes en armure, point !

Alors ? Pourquoi ce pluriel ? Mon appétit légitime après hibernation me ferait-il passer pour une armée en campagne ? Et de quoi parlait donc la Marie en affirmant « j'ai ce qu'il faut ! ? »

Hé bien, mon ami, dès l'aurore, je savais !

Sortant de mon abri troglodyte dès potron-minet, j'étirais mes cornes et me dirigeais allègrement (!) vers mon petit déjeuner quand j'aperçu… Une écharpe noirâtre en travers de ma route… Un ruban de poussière aux éclats de cristal dont l'odeur de fumée envahie mes narines.

- Malédiction ! me hurlèrent mes neurones, de la cendre de bois.

Du bout du pied je tâtais, histoire de vérifier, et le retirais enduit de suie, oui, très cher ! Les sournois avaient répandu, en un fil continu, de la cendre tamisée autour de mon casse-dalle. Haussant les épaules (j'ai le droit, non ?) je m'éloignais vers la haie voisine - ce qui me prit jusqu'au lever de l'astre, vous dire la galère.

Contraint à l'immobilité par le chaud du soleil, je ne dus mon salut qu'à une tuile fraîche dont l'ombrage abritait un pied de clématite - auquel je fis sa fête ! Je restais là, dans l'ombre fraîche toute la grande journée, ne quittais enfin mon abri ravagé qu'aux premières gouttes de rosée. Errant entre les pierres dont est pavée l'allée, laissant dans mon sillage une écume argentée, j'arrivais, haletant (bin quoi ?) au bord d'une falaise s'élevant du gazon jusqu'aux étoiles d'or. Je partis à l'assaut de cette muraille infinie, mon pied solidement ancré à la pierre tiédie. Cette ascension me prit la nuit, ou presque et je voyais déjà poindre la disette quand j'atteignis enfin le sommet. Et là, devant mes cornes ébahies, une coupe remplie de bière ! Si si si, je vous jure ! N'écoutant que ma soif, je me hâtais vers cette source d'ambroisie, bavant plus que de coutume tant l'eau me venait à la bouche. Je bus, je bus, je bus… jusqu'à plus soif et chus sur la coquille mais pas dans la coupette ! Ceci me sauva la vie !

Les fourbes poussant jusqu'à l'outrance leur mesquinerie n'avaient rien trouvé de mieux pour avoir raison de moi que de m'offrir ce régal auquel - comme la plupart de mes collèges - je suis incapable de résister ! Attestaient de ce penchant limaçons et testacelles dont les pieds soubressautaient ridiculement dans la cervoise ! L'appât était imparable. Sans cette chance insolente qui m'avait fait pencher côté pierre plutôt que côté porcelaine, je ne serais pas à l'heure actuelle, en train de vous narrer mes mésaventures, mais agonisant dans un bain de bubulles gavé d'alcool jusqu'à la coquille…

Me traînant, vaille que vaille, à l'abri des rocailles, je parvins à échapper à la curée et m'effondrais, pied en vrac, sous les feuilles d'un mahonia dont les feuilles piquantes rebutaient les butors. J'attendais là, vautré comme un poivrot, de retrouver un peu mes esprits égarés dans les limbes de l'alcool.

Après un coma éthylique dont je m'extirpais avec un mal de cornes terrible, je

jurais - mais un peu tard - que l'on ne m'y reprendrait plus et entrepris, cahin-caha, de revenir à mon logis de pierres où je me tapissais - et se tapir pour un escargot est une sinécure - jusqu'à complète récupération de tous mes moyens.

Mon calvaire ne s'arrêta pas là.

Voici la dernière trouvaille écologique de mes ennemis héréditaires.

Un enclos grillagé, un portillon bancal, un filet étendu au-dessus de graviers, voici l'enclos ! Et dans l'enclos, les poules ! dernière arme de destruction massive dont Narcisse a fait récemment l'acquisition ! Deux poules, noires comme des veuves corses, maigrelettes, perchées sur de hautes pattes jaune canari, l'œil toujours mi-clos mais dont on devine la pupille vivace s'activant à mille repères sous la paupière mâchée. Deux poules, guettant, à travers le grillage, les traces argentées, les feuilles grignotées, les boutures mâchouillées. Deux poules qui complotent en gloussements furtifs, ricanant, c'est certain, du festin à venir.

J'ai miraculeusement réchappé, hier, à leur premier raid dans le jardinet. En fait, voyez-vous, ces stupides gallinacées, outrepassant leurs directives - à ce propos, j'ai ri, mais j'ai ri ! Le père Narcisse leur expliquant, avec moultes gestes et piétinements, la mission dont elles étaient chargées, le père Narcisse donc, valait tous les spectacles du monde ! L'index levé, raide comme la justice, il s'égosillait tantôt, puis murmurait ensuite, façon entourloupeur de première, s'ébouriffant les toupets à chaque moulinet. Ces stupides gallinacées ont donc, une fois lâchées et laissées sans surveillance, de quelques coups de pattes aiguisés, efficaces, ruiné tout le carré de laitues naissantes que Marie-Blanche arrosait amoureusement chaque matinée, avant même que le soleil se lève. Elles avaient même attaqué, les vandales, les pousses de poireaux dont Narcisse se régale, quand surgissant de je ne sais où tel un zébulon fou, Marie déboula et stoppa la cata. S'en est suivie une engueulade en règle. A deux doigts des moustaches, qu'elle lui a expliqué, la furieuse que :

- Petit un : les poules, elle était contre et que mis à part la perspective d'œufs coquets extra-frais à déguster avec des mouillettes, si ça n'avait tenu qu'à elle, bin, « ces bestioles seraient pas là ».

- Petit deux : si t'es pas capable de surveiller tes cotcotcodètes, déjà que tu laisses traîner tes outils partout dans les allées et que même j'ai failli me casser le râtelier en mettant le pied sur les dents de la bigoucette qu'était pas rangée - comme d'habitude - et bé, ça allait pas le faire.

- Petit trois : t'as intérêt, Nanar, a nettoyé régulièrement les crottes de tes emplumées ! passe-que j'veux pas d'mouches dans la maison !

- Petit quatre : Va falloir encore débourser pour acheter du grain, car ses salades, c'était hors de question qu'elles s'en repaissent, les goulues. Les salades c'est pour les humains, pas pour les poules.

En un mot comme en cent, elle lui a expliqué, qu'en gros :

- Les poules ça la gavait et qu'il avait en charge leur entretien, l'achat de leur grain Et leur surveillance quand elles étaient lâchées. Bref, notre bonhomme s'est fait remonter les bretelles de première et a acquiescé en tortillant son béret. Il a abandonné les « mais mimine, mais mimine » quand d'un geste péremptoire, elle lui a montré les restes du festin des veuves corses.

J'ai affreusement peur des becs aigus, des ergots tranchants de ces poules de combat de la pire espèce. Elles nous lorgnent sans cesse et nous ne vivons plus. Limaçons, limaces, cagouilles jaunes ou roux, tout le monde se planque car nous craignons le pire.

Narcisse fit pourtant une seconde expérience avec ses croqueuses de doucette.

Deux jours plus tard, armé d'une baguette de bambou flexible dont il avait testé l'efficacité en fauchant, de quelques moulinets, les têtes d'orties d'un coin reculé du jardinet, voici notre Narcisse expliquant à ses « Attila » emplumées, les consignes à respecter.

Encore sous le coup de l'émotion de la mémorable engueulade dont il fut la victime, notre écolo s'efforçait, à croupetons pour être à la même hauteur que ses élèves, de faire entrer dans la cervelle des caquetantes les interdis et autorisés du potager. Autant vous dire que les cabochardes n'en avaient rien à battre. Intriguées par les gesticulations grandilotesques de la baguette prolongeant la main du « prof » comme le doigt de dieu, elles ne le furent que cinq secondes au cours desquelles leur œil mi-clos soupesa la probabilité selon laquelle cette « chose » pouvait être becquetée. Leur crête frétillait comme un toupet de feu à chaque mouvement de tête, un coup à droite, un coup à gauche et quand elles eurent conclu, d'un commun accord, que ce bidule ne valait pas tripette, elles repartirent à leurs occupations - gratte-gratte - dans leur enclos, opposant deux croupions frisottés aux toupets de moins en moins fournis de Narcisse.

- « Bon, dit-il revenant à la position normale du bipède avec force grimaces et gémissements.

L'humain s'rouille avec les ans.

- Vous avez compris ?! crut-il bon d'ajouter avec conviction »

Intimement convaincu que les « règles » qu'il venait d'énumérer étaient bien enregistrées dans leur p'tit crâne de piaf, Narcisse ouvrit en grand le portillon de la basse-cour et, gonflant la poitrine à la manière d'un militaire recevant la médaille du mérite, regarda la gent gallinacée domptée (qu'il croyait), passer du poulailler au jardinet avec une indifférence quasi insultante.

Gratte-gratte...

Bec-bec...

Gratte-gratte...

Coup d'œil à gauche, coup d'œil à droite...

Gratte-gratte...

Bec bec...

Elles se cantonnèrent ainsi à l'allée, en dispersant les gravillons, grappillant pour de faux d'imaginaires vermisseaux et ce jusqu'à ce que Narcisse posât son postérieur sur une souche originairement destinée à une jardinière de pétunias et laissée vacante jusqu'à la montaison des semis.

Elles l'observaient du coin des paupières et quand elles le jugèrent bien installé et suffisamment détendu - entendez par là dodelinant du chef à l'approche de l'endormissement - elles commencèrent à diverger, l'une vers le nain de jardin montant la garde - sourire béat aux commissures, pioche à l'épaule vermoulue - sur les semis de radis, et l'autre vers la cagouille de pierraille dont le pied de 10 pouces servait de logement à toute une population de coléoptères et autres cloportes dont le grouillement silencieux présageait moultes plaies à venir, et qui dominait de sa coquille bien remplie, l'absinthe ébouriffée de plants à repiquer.

Somnolant aux trois-quarts, Narcisse ne vit rien de l'affaire et les sournoises gloussotant entamèrent fissa leur festin. Qu'elles étaient savoureuses ces brindilles jeunettes, gorgées de sève fraîche condensée de parfums. Semées dans un terreau léger comme mousse de bière, elles n'opposaient aucune résistance à la traction des becs adroits qui les cueillaient, passant de leur nid tiède au sein de la terre à la langue rugueuse des ravageuses qui se gavaient.

Encore une fois, ce fut Marie-Blanche qui mit fin au carnage.

Elle sortait de la buanderie un foulard époustouflant de couleurs noué sur la tête à la manière des mamas des îles. Posée sur sa hanche, une panière emplie de nippes et de guenilles réveillait ses vieilles douleurs, lui arrachant force grimaceries.

L'information mit quand même un certain temps à se frayer un chemin jusqu'à son cerveau ce qui laissa aux poulettes le temps de saccager un peu plus les semis.

Alors que, l'œil clos, Narcisse nageait dans on ne sait quelle béatitude, le hurlement de sa moitié le fît dare-dare retomber sur le plancher des vaches. De saisissement, il en chût cul par terre.

Envoyant valdinguer panière et fripes propres, l'îlienne de pacotille s'élança à grande vitesse sur les gravillons de l'allée, hululant comme une chouette, agitant les bras comme sémaphore dans la tempête et, frôlant de sa trajectoire notre gardien de poules vautré dans le gazon comme un gros hanneton, mit en fuite cocottes, moineaux et merles noirs banquetant sans vergogne dans son beau jardinet.

Il fallait la voir, rouge de colère, sprintant comme une athlète en quête de record derrière la cotcodète qui, sentant sa dernière heure arriver, passa du mode course zigzagante au mode vol affolé.

L'autre poulette, finaude, avait regagné la basse-cour, faisant un détour significatif pour ne pas entrer dans le champ de vision de la coureuse ni dans celui de Narcisse, qui, vaille que vaille, ayant retrouvé la position « bipédique » d'usage chez les humains, et participait de l'indignation de sa femme en agitant les bras comme un moulin à vent.

L'air indigné, il le prit, s'employant vaillamment à tenir tête à la furie ébouriffée qui lui fît face ensuite.

Les « mais Mimine » balbutiés n'arrangèrent en rien son affaire.

Les mains tendues en signe de bonne foi ne lui valurent aucune indulgence du jury.

Elle, lui postillonnant son indignation à deux doigts des moustaches, s'efforça tout d'abord de reprendre son souffle, puis, une main sur le cœur une autre sur les reins, lui opposa un mutisme qu'il jugea de fort mauvais aloi et fort peu réjouissant.

Puis, lui tournant le dos d'un air outragé, elle partit récupérer sur l'herbe verte ses pelures éparpillées et se dirigea vers l'étendage où elle suspendit, avec une lenteur qu'il jugea exaspérante, les chiffons chiffonnés chuchotant et chuintant.


La fin de l'histoire ?

Chuchotement de Narcisse...

- À la cocotte les cocottes...

Voyez ?

  • CIEL ! J'ai failli passer à côté de mon potager favori, heureusement que la Créatrice dudit potager me l'a signalé !
    C'est toujours aussi épique et écologiquement Hugolien.
    Bon, manquent Minidragon et le pigeon facteur, mais je les ai dans ma mémoire végétarienne ! MERCI LYSE DES DUNES ! A la prochaine ! Amitiés au Bassin !

    · Il y a plus de 2 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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