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Christian

Paris Octobre 2018, parvis de la Défense, Anna Murphy presse le pas pour rejoindre son bureau du 15° étage de la Tour Sud.

Londonienne, elle trouve Paris "So French", elle adore la ville et ne cesse, depuis son arrivée, de la contempler de son bureau vitrée et lumineux , cela la change du "Bunker triste et gris de sa banlieue Londonienne.

Après s'être badgée à plusieurs portiques, elle accède enfin à l'ascenseur de la Tour  où travaille des centaines de personnes pour plusieurs grosses sociétés.

La sienne vient de louer rien de moins que la totalité du 15° étage.
Pour y accéder, elle doit insérer son badge dans un lecteur,  face à la touche de l'étage 15. Sinon l'ascenseur ne s'arrête pas à son étage. Il n'existe, pour des raisons de sécurité, aucun passe droit. A la sortie de l'ascenseur, un SAS, avec obligation, à nouveau, de présenter son badge.

Pour pénétrer dans son bureau elle ne doit pas oublier son badge, c'est pourquoi l'ensemble du personnel le porte en permanence en sautoir autour du cou.

Anna se plie d'autant mieux à ces contraintes, elle préfère employer le mot rituel, qu'elle est à l'origine des ces mesures de sécurité, en tant que responsable RH de son groupe Zaya pour l'Europe.

Elle vient d'être nommée à Paris pour suivre les recrutements et les évolutions de carrières de tous les personnels au service de la Holding.

Le groupe  Zaya  fournit des solutions d'infrastructure de communication, y compris la connectivité fibre optique et bande passante, la colocation et l'infrastructure cloud aux plus grandes entreprises mondiales, son poste pour l'Europe est donc hautement stratégique.

Elle doit recruter les meilleurs éléments et surtout les garder. De plus Zaya a reçu en 2015 l'Award de l'entreprise la meilleure pour exercer son Job.

Une réputation à maintenir ! Anna demande à son service un  audit permanent sur tous les employés du groupe, pour savoir si les heures travaillées ne dépassent pas le maximum autorisé par pays, si les collaborateurs prennent bien leur congés obligatoires, elle ne veut pas burn-out dans le Groupe.

Elle fait surveiller à ce titre les congés maladie ou absences non prévues.
Chaque employé dispose d'un profil sur son activité, il peut d'ailleurs le consulter en ligne, au même titre que leur RH.

La RH de Zaya dispose ainsi d'un véritable tableau de bord lui indiquant le niveau d'activité de cette immense ruche qu'est devenue Zaya, mais également la qualité de cette activité, son efficacité.

En franchissant les portes de son service, Anna lance, en français, à l'attention de ses collaboratrices :

— Hello les filles, tout va bien ce matin, nos petites abeilles ont la pèche cette semaine ?

— Si elles turbinent autant que nous, le groupe va exploser les plafonds, tu ne penses pas Anna ? Lui répond Ingrid, grande et belle Norvègienne

— Je ne te le fais pas dire, mais il faut les suivre de prés nos petites abeilles, ce sont pour la plupart des recrues d'exception mais fragiles. A ce propos vous m'avez fait un suivi des arrêts de travail sur les différents Data Centers que nous gérons.

— Tout à fait Anna tu trouveras le tableau sur ton intranet , je te l'ai envoyé hier soir.

Par conscience professionnelle, Anna tient toujours à vérifier elle même les données qu'elle juge sensibles. Les arrêts de travail sont un thermomètre important, cela lui permet de vérifier si ils sont liés à l'accroissement de l'activité ou à d'autres paramètres externes.

Anna jette sa veste Chanel sur son porte manteau derrière son bureau, se déchausse de ses escarpins. Elle se demande comment font les françaises pour rester juchées toute la journée sur les leurs ! A part les chaussures, elle adore la mode française vintage !

En ouvrant la session du portable posé sur son bureau, elle se dirige immédiatement vers le fichier traité et envoyé par Ingrid et ses collègues.
Au vu du tableur qui s'affiche, elle n'a pas envie de se fatiguer les yeux à le décortiquer et le lance sur l'imprimante du service pour mieux le contrôler avec un surligneur et surtout un bon café à la main.

Arrivée dans la petite salle de pause, elle s'installe sur un tabouret et déplie les feuilles imprimées sur la table.

A première vue, ses collègues ont déjà bien décortiqué les données. Rien dans les arrêts de travail du mois dernier ne laisse apparaître des éléments extraordinaires. Les moyennes correspondent à ce que le groupe Zaya enregistre depuis quelques années déjà.

Toutefois, par acquis de conscience, Anna décide de pointer les extrêmes, les arrêts de 2 ou 3 jours et ceux beaucoup plus longs, 3 semaines, un mois.
En fait c'est aussi peu par jeu, histoire de se prouver à elle même qu'elle peut toujours faire un job basique en y prenant plaisir, cela la change des conférences téléphoniques de direction quasi quotidiennes.

Ce faisant, elle détecte 20 arrêts de travail d'une durée de 21 jours précisément sur 10 Data Centers du groupe en Europe, rien d'extraordinaire en soi sur plus de 850 salariés, en plus cela n'a en rien affecté le profil moyen des arrêts de travail.

Elle allait en rester là quand, après avoir surligner en vert ces 10 "extrêmes", elle s'aperçoit que les date de début et de fin des ces arrêts sont toutes identiques.
Ce serait dans un même Data Center cela aurait pu être problématique, c'est en fait une personne voir au maxi 2 dans chaque Data Center et dans des pays différents.

Anna, statisticienne de formation, sait pertinemment que la probabilité de retrouver, pour des personnes différentes dans des pays différents, la même date de début et de fin ainsi que la même durée d'arrêt de travail est quasiment nulle, deux voir trois serait déjà extraordinaire, mais 20 c'est hors norme.

Anna suspecte immédiatement un bug soit dans l'enregistrement des données soit dans la compilation même du tableur. Elle veut en avoir le cœur net et regagne son bureau pour vérifier le fichier.

Sa session est toujours ouverte mais le fichier qui figurait en tête n'est plus visible.
Si le fichier imprimé ne se trouvait pas devant elle, elle s'interrogerait sur sa santé mentale.
Anna est du genre perfectionniste, rien ne doit lui échapper.
Les yeux rivées sur son écran, ses doigts frappent nerveusement sur son clavier. Son palpitant vient soudain de monter en flèche comme si elle revenait de son jogging quotidien.
Ce simple fichier, elle ne peut plus voir, comme si il l'avait rendue aveugle elle et uniquement elle !  Anna reste tétanisée devant son  écran, les conséquences pour le Groupe Zaya, pour son job, son avenir, défilent à mille à l'heure dans sa tête.

Elle quitte du regard, son écran comme pour vérifier que les murs de son bureau sont toujours là et que le bug ce n'est pas elle !


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