Sieste

Corinne Champougny

                                               Sieste

 

            J'aime le bruit de la machine à laver. Si possible à la sieste. Ou à n'importe quel moment de la journée, d'ailleurs. Je ressens un incroyable apaisement. Le monde tourne, les voitures roulent, les passants passent, chacun à son poste, fidèle à la tâche qu'il doit accomplir, parce qu'il ne peut pas en être autrement, et moi je m'allonge lentement, et j'écoute la machine à laver. Je reste totalement immobile, attentive au silence que je laisse glisser sur ma peau, complètement et parfaitement heureuse. La machine tourne, vaillante, enchaînant les programmes, tournant le linge dans tous les sens, dosant les températures, rinçant, essorant, divin robot symbole de la vraie vie moderne. Celle qui me permet de rester immobile, bercée par le va-et-vient du tambour laborieux. Parfois une pensée se forme, dans le bienheureux brouillard et la douce léthargie du demi-sommeil. Je revois le lavoir, derrière la maison de campagne. La petite source, le bassin, les planches en bois, et même l'auvent déjà bringuebalant. Je retrouve l'odeur du savon sur les mains. Je me revois même, penchée sur la planche, mes longs cheveux blonds dans les yeux, en train de m'acharner à faire comme les grands. Plutôt comme les grandes. C'était un jeu, bien sûr, je n'ai jamais lavé grand chose. Maintenant la source est en partie obstruée et  polluée par le tas de fumier du voisin du dessus, le bassin est bouché, les planches ont disparu et l'herbe doit cacher d'innombrables serpents. De penser à cette source, nichée au détour d'un petit chemin de Corrèze, me rafraîchit considérablement. Le pouvoir de mon imagination m'étonnera toujours.

            Et la machine tourne. Accomplit mécaniquement chacun des gestes que je devais faire, avec effort et grande maladresse. La satisfaction que je ressens en appuyant sur le bouton " marche" atteint en fait son sommet au moment où j'étends le linge. Il est propre. Il sent bon. Chaque pièce pêchée au fond de la machine est un petit miracle de la science, du progrès , du génie de l'homme, le signe concret de la chance que j'ai de vivre à mon époque et que je mesure, avec volupté, allongée en travers de mon lit, caressée par une paresse à peine croyable.

            Si j'avais une femme de ménage, je ressentirais un plaisir assez proche. Je ne bouge pas, et pourtant ce qu'il était nécessaire de faire s'accomplira tout seul, et avec plus d'efficacité encore. C'est miraculeux. Ce serait la même chose si j'avais un jardinier. Quelqu'un qui fasse les courses. Repasse. Cuisine. Le temps s'agiterait sans moi. Je serais spectatrice des innombrables et indispensables efforts qu'il faut fournir tous les jours, tout le temps. Spectatrice. Immobile. Vidée de toute contrainte. Apaisée.

            Je guette la vie qui tourne autour de moi, en me sentant le point si parfaitement fixe que même la mouche qui s'agite se sent ridicule.

            L'immobilité ma fascine. C'est un privilège qui n'a rien d'humain. Un vieux rêve, démesurément fou, qui affleure l'été, au creux d'une sieste, à contre-courant d'une année qui tourbillonne encore un peu, par moment, par sursaut.  L'immobilité comme une couleur, le blanc. Et la douce sensation de se retrouver, intacte, fragile, entière , sereine. Le corps pesant son poids, en travers du lit, le temps enroulé dans des méandres de lenteur. Et le sommeil s'insinue, malin, têtu, caressant, convaincant. Le bruit de la machine à laver s'éloigne. Le temps s'est distendu.

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