Sonia

Pascal Mess

Une femme, au tempérament entier et de feu, s'est éprise d'un homme. Mais cela ne se passe pas comme elle veut.


Sonia enfila ses bas. Ce rituel journalier la mettait toujours de bonne humeur. En cela, elle se parait, se sensualisait. En face de la glace, elle joua de ses hanches. Un sourire sur ses lèvres, elle était satisfaite.

Deux petits pas latéraux, un pied levé puis reposé, deux mains dans le dos, l'une pour prêter main forte à l'autre, et voilà une jeune femme habillée de sa plus belle robe, d'une paire de bas raffinés et de ravissantes bottines.
Ce soir, elle sortait.


Elle s'approcha de la fenêtre et d'une traite, tira les rideaux. Les deux battants ouverts, elle se pencha au balcon.
L'air frais du soir s'enfila dans ses cheveux, descendit le long de son dos, tourbillonna sous sa robe et continua son chemin comme si tout et tout le monde lui appartenait.
Elle frissonna. Sonia guettait l'arrivé imminente de Paolo, ce bel italien qu'elle avait rencontré deux jours plus tôt et qui maintenant, devait la rejoindre. Elle se réjouissait déjà de sa présence, de respirer sa peau, son parfum qu'elle percevait suave et enivrant.

Elle s'imaginait déjà se caler entre ses muscles puissants et sculptés, et surtout, de sentir ses mains si précises, si douées.


Mais l'heure tourne et point de Paolo à l'horizon, et déjà Sonia se lasse d'attendre.
Point de cabriolet rugissant en perspective, et se pointe en la jeune femme un commencement de tristesse.
Point de bolide rouge comme le sang qui se mouvait sous les tempes de Sonia, au contact du jeune étalon, et qui maintenant se dessine de colère.

Mais pour qui se prenait il?
Comment pouvait il la faire attendre, elle?
Mais quelle prétention ce type avait!?
Ah mais, elle le lui dirait!


Elle commença les cent pas. Au début, marcher la détendait, la soulageait.
Puis, progressivement, mais aussi puissamment, à la façon d'une locomotive qui s'emballe, qui commence à faire ce qu'elle même décide, ses jambes ponctuèrent de pressions grandissantes le sol carrelé de la pièce.
Elle, emmenée par ses jambes.

Et ses jambes courent, montent, retombent, excitent les carreaux qui finissent par voler en éclats, montrant le chemin de la destruction, annonçant l'anéantissement de la jeune
femme.
Ce que vit Sonia n'est ni plus ni moins qu'un éclatement du coeur, qu'une pulvérisation sentimentale, qu'un amour idéalisé permuté en une gangrène haineuse détruisant tout sur
son passage.
Elle aimait déjà ce jeune homme et ses jambes aimaient déjà ce jeune homme.

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