Sortie scolaire

Olivier Verdy

Quand des élèves sortent avec leur professeur, on ne sait pas ce qui les attend au détour d'un virage...

-          Ho les garçons, vous la mettez en peu en veilleuse s'il vous plaît, on entend que vous.

-          Oui madame !

-          Et suivez le groupe on avance là !

-          Ok !

 

Lentement, tout le groupe se déplace vers un autre lieu ; les premiers écoutent avec attention un guide raconter l'histoire de la ville, les suivants suivent, tête en l'air en silence, les derniers trainent essayant de discuter entre deux remarques.

 

-          Ça me saoule, ces vieilles pierres, je ne vois pas à quoi ça sert, on s'en bat les couilles de savoir pourquoi la rue machin est vieille et sale.

-          Pareil, rien à foutre, je me barrerais bien mais l'autre vieille chouette va nous pécho.

-          Ça craint !

 

Arrivée sur une petite place, la troupe s'arrête pour apprendre comment ce lieu est devenu culte suite à une bagarre entre révolutionnaires des années plus tôt, des années ou le terme révolution avait d'ailleurs encore un sens.

 

Mais Kévin et Malik s'en moquent, d'une part parce qu'il n'est pas évident de motiver une classe d'adolescents de 18 ans à aller visiter une ville, à aller serpenter plusieurs heures durent des ruelles parfois sombres, à découvrir quel endroit était un coupe gorge, quel poète vivait dans cette maison ou quel ancien maire couchait au premier avec une de ses maitresses. D'autre part, parce qu'ils s'en moquent, tout simplement !

 

Pour les deux potes, cette sortie est une énième moquerie, un foutage de gueule dans les règles. Insertion, réinsertion. On prend des jeunes sans qualification, sans envies ni avenir et on leur fait miroiter que quelques mois dans un centre leur permettront de trouver un emploi. Oui, c'est bien ça qu'on leur promet : à Momo, alcoolique qui empeste le blanc dès le matin, à Jeff toxico tout frêle et bourré de tics ou à Marie récemment sortie de prison pour violences diverses oui encore à Jérem petit dealer dans la cité et Elsa retournée vivre chez papa maman parce qu'elle ne peut plus survivre dehors. Tellement caricatural. Tellement vrai. Tellement d'exemples.

Les deux compères y ont pourtant presque cru au début, le premier jour quoi, ensuite on a essayé de les faire lire et écrire. Encore des trucs de vieux, à croire qu'ils n'ont pas internet les professeurs.

Et le jour d'après, c'en était fini de leurs espérances, il fallait juste venir le matin, histoire de conserver les aides et être payés. Bon après, pour être honnête, c'est quand même bien mieux de se balader en ville que de rester quatre heures assis dans une salle à s'entrainer à compter ses pièces quand on vous rend de la monnaie.

-          Yo, Schumi, t'es là ?

-          T'as pas pris ta Ferrari aujourd'hui ?

 

Martial dit Marty par ses parents, Marty par ses amis et Schumi par Malik et Kévin, pourquoi ? Parce que Marty est en fauteuil : simple, bête et efficace ! Rien à ajouter. Après forcément, il est plus simple de se moquer d'un handicapé moteur que de reconnaitre qu'on a du mal à lire les mots écrits sur les panneaux et puis d'abord Marty ne répond presque pas, il parle peu, timide, gêné presque, alors les deux amis en profitent et en abusent dès qu'ils en ont l'occasion.

-          T'as gagné la course dimanche ?

-          Avec les petits vieux de l'hospice ?

-          Ha ha ha !

-          Et tu arrives à nous suivre ?

-          Haaa imagine s'il y a des escaliers !

-          Bon, les enfants, on va prendre les escaliers et on se retrouve en haut dans deux minutes. OK ?

-          Vous, Martial, vous prenez la route à droite puis deuxième à gauche puis tout droit sur 100 mètres puis à gauche et là vous montez et on se retrouve en haut dans une heure. Trop drôle !

-          Ho, laissez-moi tranquille !

-          Ho sinon tu vas faire quoi ? tu vas appeler ta mère ? Maman, y'a des méchants qui ont touché mon fauteuil, tu peux leur dire stop s'il te plaît ?

-          Ou alors, il va pleurer dans les jupes du professeur, ouin ouin, Madame Kévin et Malik, ils m'ont mal parlé, vous pouvez les gronder s'il vous plaît ?

-          Bon, je te laisse cinq minutes Schumi, mais ne te barre pas en courant d'accord ?

-          Trop drôle, t'es vraiment trop con mon pote !

 

Après la Place révolutionnaire, les étudiants se dirigent maintenant vers une église, vestige d'un temps où on fourguait dans la religion tout ce qu'on ne comprenait pas et où on faisait en même temps croire aux gens qu'un Dieu le faisait pour nous. Simple, bête et efficace !

 

De là, on surplombe toute la la ville, la vue agréable fait comprendre que ceux qui vivaient là avaient beaucoup plus d'argent que ceux qui ont bâti l'église.

 

-          Et voilà, on va devoir se taper un détour alors qu'on pourrait redescendre directement par là !

-          Allez toute le monde, on se regroupe. on va visiter l'intérieur.

-          On arrive, on arrive.

-          Je ne peux pas moi, Madame, c'est contre ma religion.

Une fois encore un des jeunes se fait remarquer. Quand ce n'est pas une excuse de religion, c'est un pseudo-malaise, une envie pressante ou simplement un manque de motivation. A chaque fois, il faut argumenter, expliquer, tolérer ou dans ce cas précis, céder.

-          Ha ok restez dehors, on revient bientôt. Vous restez devant et je compte sur vous pour bien vous conduire ok ?

Alors que la majorité des élèves sont entrés dans l'église, Kévin, Malik et Marty se retrouvent dehors.

-          Pourquoi t'es pas rentré Schumi, c'est ta religion ?

-          Pfffffff, y'a des marches !

-          Des marches ? trop fort ces catholiques, ils disent qu'ils aiment tout le monde, mais pas d'handicapés chez eux.

-          Tu aurais dû me demander et je t'aurais aidé bien sûr.

 

Kévin prend alors les poignées du fauteuil et le fait aller d'avant en arrière.

-          Vroom, vroom, prêt Schumi ?

Kévin s'élance et fait le tour du parvis en poussant le fauteuil. Le jeune Marty, ne sait que dire ou que faire et il subit ce tour de piste sans broncher.

-          Vas-y Schumi encore un tour ! t'es en tête te laisse pas doubler !!

 

Kévin s'arrête ralentit se déporte sur le côté et s'arrête net.

 

-          Vite, changement de pneus !

 

Il mime les pistolets visseuses, le montage des pneus, les mécaniciens bas en l'air et redémarre alors en trombe. De là, il saute un petit dévers et lâche le fauteuil qui roule tranquillement sur deux trois mètres.

 

-          Et voilà, prêt à accomplir des grands exploits champion ! tu roules tout seul !

-          Arrêtez ! ça me fait mal !

-          Ça te fait mal ? tu crois que ça ne nous fait pas mal à nous, qu'on soit obligés de faire des détours à cause de toi ?

-          Kévin, vas-y ! le garde pas pour toi tout seul passe le un peu, moi aussi je veux le faire rouler.

 

Kévin pousse Marty qui rejoint Malik qui pousse Marty qui rejoint Kévin, et petit à petit, les garçons s'écartent et poussent le fauteuil de plus en plus loin.

 

-          Arrêtez, vous me faites vraiment peur maintenant!

-          Peur ? ça, ça fait peur !

 

Kévin tourne le fauteuil et le dirige vers les escaliers, il le pousse doucement puis le rattrape avant la première marche, il le remonte vers Malik.

 

-          Alors, ça tu vois, ça fait peur pour de vrai !

-          Allez Kév, mets-toi en face et fais rouler, je te le passe de loin.

 

Malik se recule et prend son élan et pousse Marty très fort, le fauteuil prend de la vitesse en direction des escaliers.

 

-          Haaaaaaaa !!!!!!!!!!!!!!

 

Le fauteuil démarre avec la poussée puis prend rapidement de la vitesse ; Marty essaie tant bien que mal de le ralentir mais les freins ne semble d'aucune utilité. Kévin est là, prêt à le réceptionner, sauf que le fauteuil est lourd et que le jeune homme ne peut que le toucher, mais certainement pas le stopper. Marty crie, son bolide roulant saute sur la première marche sous les regards surpris de Kévin et Malik.

Marty et son fauteuil rebondissent sur les marches suivantes, sautillent quelques instants et dégringolent ensuite. Puis tout explose une quinzaine de mètres plus bas, le fauteuil cède, les roulettes s'envolent et Marty s'éclate au sol dans un bruit sourd.

 

Du haut des marches, Kévin et Malik, qui l'a rejoint, regardent. Hypnotisés, ne sachant que faire.

 

-          Ho Schumi, ça va ? T'as rien ?

-          Putain qu'est ce qu'on fait ?

-          S'il nous balance à la prof on nous supprime nos aides et on va être dans la merde !

-          Alors, cassons-nous ! on dira qu'on était déjà parti et qu'on n'a rien vu.

-          Tu crois ?

-          Ben allez, c'est clair qu'on va se faire gauler, de toute façon, il dira rien machin.

 

En bas, le garçon ne bouge plus. Aucun mouvement. Etendu sur le sol, la tête sur une marche, du sang coule lentement derrière sa nuque. Ses jambes semblent accrochées aux repose-pieds du fauteuil, le reste étant disséminé sur plusieurs mètres.

 

-          Bon, on fait quoi ?

-          On le laisse comme ça, je te dis, on n'a qu'à partir et on dira qu'on était au courant de rien, au pire on se fera engueuler pour s'être barrés ?

-          Ok !

-          On n'a qu'à aller boire un coup, ça fait genre on était là-bas si on nous demande.

-          Ok, c'est loin ton truc ?

-          Le Four Star ? non tout près !

 

 

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