Sot-l'y-laisse

christinej

defi 34 http://jetez.l.encre.xoo.it/index.php Ecrire un episode d'une serie (tv, film,livre..), l'histoire doit se derouler en huit clos

La maison transpire une sueur sombre que la nuit colporte au gré d'un vent morose.

Les seuls bruits qui osent murmurer, viennent du dehors, par à-coup, comme hésitant à casser le silence fragile des lieux.

Il y a juste le cœur de la maison qui bat à un rythme régulier, il frémit, trésaille puis sonne minuit avec la grandeur d'un Big Ben miniature.

Une clé tourne dans la serrure, dans un cliquetis squelettique. Des talons claquent et martèlent le sol, trainant une journée de travail harassante dans son sillage.

La porte entrebâillée, accentue le bruit des voitures qui passent dans la rue.

Un sac échoue sur le sol, les clés sont jetées sans force dans un réceptacle récalcitrant à les recevoir.

D'un souffle résigné et fatigué, la porte est poussée, raclant le sol et la poussière.

Déjà pressés d'aller voir ailleurs, les pas, entrainent loin de l'entrée, la personne qui est négligente et peu attentive, au fait que la porte ne se ferme pas. Qu'il y a une main qui est venue la stopper.

Des pas feutrés et légers font irruption.

Après tout va très vite.

Un coup sec, le souffle coupé par la surprise, un corps qui s'effondre avec toute sa lourdeur sur un carrelage froid.

La porte claque, le verrou est tiré. Une respiration s'accélère, l‘excitation est à son comble.

Le corps est trainé dans une autre pièce. Une chaussure est abandonnée derrière comme un dommage collatéral.

Le salon est éclairé par intermittence, par les phares des voitures.

Un homme, jeune d'apparence, se tient au-dessus d'une jeune fille inconsciente.

Il l'admire.

Un sourire aiguisé se détache clairement sur son visage, il est heureux de sa prise.

Il ne fait pas attention qu'on l'observe dans le plus parfait silence.

Un fauteuil tiré dans un coin sombre du salon, un homme y est assis, immobile, contemplatif.

Il laisse faire, il veut voir l'œuvre du jeune homme, la partition qu'il va écrire.

L'ouverture était un peu brutale, un peu brouillon, à son gout, il préfère l'exactitude du métronome, d'un ciselage parfait. Il espère que la pièce de résistance sera de meilleur facture.

L'excitation du premier acte est retombée. Le jeune homme se déplace maintenant en douceur, mesurant chaque mouvement. Il pose son oreille sur la poitrine de la jeune fille, encore inconsciente, pour écouter ce qu'il désire.

Il est là, attentif, dévorant les battements comme des entremets gourmands.

Il ressent alors comme un picotement à la base de sa nuque.

- Qui est là?

Il ne panique pas, ne force pas sa voix. Il se redresse simplement en attendant une réponse.

- Je suis désolé, je ne voulais pas vous déranger. Je vous en prie, continuez.

Un silence électrique plane dans la pièce.

- Qui êtes vous?

- Est-ce que cela a vraiment de l'importance? Je ne suis qu'un simple spectateur, admiratif de votre Œuvre.

- Vous n'êtes pas là pour m'arrêter?

- Je ne suis pas un homme qui empêche les autres de réaliser leurs désirs, ou aller à l'encontre de leur volonté. Je ne veux, en aucun cas, retirer de votre main la nourriture sacrée que vous désirez. Vous le désirez, n'est-ce pas, ce qu'elle cache en elle. Ce qui donne à son cœur ce chant si particulier.

- Et ce gout!

- Ce gout?

- Oui celui du bonheur, ce gout sucré avec un peu de cannelle. C'est suave et chaleureux.

L'homme assit dans le fauteuil se contente de sourire. Un sourire compréhensif, un brin carnassier.

- Vous êtes comme moi n'est-ce pas?

Le jeune homme tout en parlant inspire profondément.

- Comme vous?

- Oui, vous avez cette odeur, celle du prédateur, de celui qui mord dans la chair fraiche, de celui qui se trouve en haut de la chaine alimentaire.

- Disons que je fais attention à ce que je mange.

- Vous allez me tuer?

- Allons, allons Grégoire, une chose à la fois. Finissez votre travail, ensuite…on verra.

- Qui êtes vous? Que cherchez vous ici?

- Je vous l'ai dit, je ne suis qu'un simple admirateur de votre travail.

- Si vous le dites.

En fait, il ne voulait pas en savoir d'avantage. Il n'a qu'une envie finir ce qu'il a commencé.

Découper sa peau si fine.

Faire craquer ses os d'un coup sec.

Sentir l'odeur de la vie qui s'échappe, du sang qui se répand.

Enfin tenir dans sa main, sa convoitise, sa gourmandise, le cœur, rempli de ce bonheur qu'il désire tant.

Ensuite le dévorer, l'engloutir, le fondre en lui.

 

 

La douceur du soleil joue parfaitement avec les accords de Rachmaninov et son prélude en Ré majeur.

Hannibal a déjà choisi la recette, celle du cœur de veau farci.

Il prend les deux cœurs, les fend dans toute leur longueur. Minutieusement, il les passe sous l'eau pour retirer tout les déchets et autres impuretés.

Ensuite délicatement il les éponge, avec douceur et respect.

Dans une sauteuse il fait revenir dans du beurre, un oignon et de l'ail, il y rajoute un peu de viande, puis un œuf sans oublier du persil haché, du sel et du poivre. Avec une cuiller il remplit les cavités de ce mélange, puis entreprend de coudre les deux parties des cœurs ensembles avec la dextérité d'un chirurgien. Dans une grande cocotte en fonte, il fait chauffer un peu de beurre et d'huile afin de les saisir.

Il prend une bouteille de vin, qu'il porte à son nez pour y cueillir l'arome enivrant de ce nectar. Il verse une rasade de ce divin millésime, puis porte à ébullition. Ensuite il y ajoute un fond de “veau” et un peu d'eau. Avant de mettre le couvercle, il n'oublie pas d'additionner une feuille de sauge et de laurier.

Apres une heure il y ajoute une carotte et des petits oignons nouveaux.

Pendant le reste du temps de cuisson il prépare des gnocchis et une salade avec le brio d'un grand chef.

Dans le salon, sur une grand table, un couvert est dressé, sans aucune fausse note. Une bouteille de vin sur son support légèrement penché, attend. Du pain frais sortit à peine du four, fume.

Hannibal peut enfin retirer son tablier, dans son assiette trône, un cœur tendre. accompagné d'un sauté de gnocchis au beurre roux, de carottes et d'oignons nouveaux. Sans oublier la sauce onctueuse et parfaitement assaisonnée du plat.

Puis vient le moment ou le couteau tranche la chair, libère les aromes incomparables d'un plat parfaitement cuisiné.

Quand la bouche s'ouvre pour accueillir ce délice.

Les dents qui viennent mâcher, malaxer, toutes les saveurs.

Voila ce qu'il aime, ce qu‘il apprécie.

- C'est vrai qu'il y a un petit gout de cannelle.

Hannibal sourit satisfait. Il lève son verre à la santé de celui qui lui a fait découvrir cette particularité.

 

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