Sous le Cerro - 1 - L'antre du koala

raphaeld

Potosi c'est une ville paumée, collée à flanc de montagne, qui crame lentement dans sa cuvette. On y arrive en bus après des zigzags incessants dans l'altiplano bolivien. On vous lâche dans un terminal gigantesque et vide, qui résonne creux des voix des chauffeurs… « Sucre ! Sucreeee ! » « La Pa-La Paz ! » Les terminaux de bus en Bolivie ressemble à des marchés aux poissons. « Cochabambaaa ! » « Iquique Iquique ! » Avec l'odeur en moins. Enfin ça dépend.

Dehors il est onze heures et ça tape déjà. Des cabots partout qui se reniflent le trou du cul, jouent dans la poussière… Des taxis à la queue leu-leu pour transporter les voyageurs au centre-ville. « Hola gringos ! » Tout le monde est friqué en Bolivie, tout le monde sauf les natifs. On est frustrés avec ça, le fric, alors on se dit qu'on fera la route à pied. On a largement les moyens de se payer un taxi… Même quatre, un chacun… On pourrait passer nos journées dans des taxis ! Mais on cache nos billets et nos cartes bancaires comme des cicatrices honteuses.

Le trajet en bus m'a foutu la nausée… Et ce soleil ! Ce vent, cette poussière ! Et le manque d'oxygène ! Et les chiens qui pissent sur le bas-côté ! Je me traîne… titube… Je chavire… J'appelle un taxi à mi-chemin. Mes trois compagnons m'y enfoncent comme on fout de la poussière sous le tapis… Faut comprendre, ça ternit leur image… Eux, c'est des durs…

-          El Koala Den, calle Sucre… Por favor… Burps.

J'enfonce la tête dans mon sac. Il est frais, ça fait du bien… Le type voit que je suis mal en point… Que je baragouine l'espagnol, et encore avec peine… Il insiste pas. Il fonce dans des ruelles que je ne regarde même pas.

J'ai découvert le centre de Potosi par l'intérieur de mon auberge. Comme tout backpacker qui se respecte, au Koala Den l'intérieur est cool. Des couleurs cool, des bouquins cool, des plantes cool, mais surtout des posters et des bibelots très cools. Un type rapplique au comptoir. Lui aussi a l'air on ne peut plus cool. Je me sens pas vraiment à la place… J'ai essayé de l'être, cool, mais les gens n'ont jamais été vraiment dupes. J'ai jamais su y mettre les formes… Peut-être parce que j'y ai jamais cru.

-          Qué nombre ?

-          Raphaël D.

-          Un momentito, Raphaël.

Il fouille dans son répertoire… Sur les étagères c'est un bordel monstrueux. L'accueil donne directement sur la salle commune où trois filles se concertent autour d'un Lonely Planet. De là où je me tiens on voit tous les quatre étages… Cette salle c'est en fait un genre de patio avec un toit. Des jeunes voyageurs vont et viennent dans cette fourmilière…

-          No hay.

-          No hay qué ?

-          No hay Raphaël D.

Y'a pas de Raphaël D.

-          Mission Potosi ? je lui dis…

-          Oooh !

Ça Mission Potosi, il connaît. Faut que je vous explique. C'est une association d'une école de commerce parisienne qui envoie des étudiants avides de bonnes actions faire le bien avec de l'argent récolté tout au long de l'année dans les Franprix. Je ne vais pas vous refaire un historique de Potosi mais son grand problème c'est que c'est une ville minière. Et qu'il n'y a plus grand-chose à tirer des mines. Pauvreté, travail infantile… Vous connaissez la chanson. Et les blancs bienfaisants qui viennent aider tout ce petit monde. Je me suis dit : « Pourquoi pas ? Même si c'est avec un assoce d'une autre école… On verra bien ce que ça donnera… » Je viens d'arriver c'est pas le moment de faire du mauvais esprit.

Tout ça pour dire que Mission Potosi n'est pas inconnue au Koala Den. On y est des habitués. Le type me serre la paluche et me file une clé. Un dortoir de six personnes. Trois fois deux lits superposés. Je balance mon sac dans un coin et m'enfonce dans le lit du bas, au milieu… Je cherche pas plus loin. La flemme, la nausée… Je me saucissonne dans les couvertures. J'ai encore mes pompes. Je sombre.

Dans mon sommeil y'a des chiens dans des bus qui filent à cent à l'heure entre les sommets. De l'air froid qui s'engouffre par les vitres à moitié ouvertes. Tout au fond du bus y'a Simon et Garfunkel qui chantent leur version d' « El condor pasa »… On s'arrête brusquement… Un trou d'air ! On sent qu'on perd de l'altitude… Des masques à oxygène tombent du plafond… Mais c'est pas des masques à oxygène, c'est des flûtes de pan…

-          Raphaël ?

Le lit est trempé… Merde, j'ai encore l'impression de zigzaguer… C'est Jérôme avec sa bonne bouille…

-          Tout le monde est arrivé, y'a réunion dans cinq minutes !

Merci Jérôme… Ok j'émerge et j'arrive. Jérôme c'est un des trois potes avec qui j'ai entrepris le voyage. Enfin quand je dis pote… On se connaissait pas vraiment avant. Mais les voyages ça tisse des liens. Voilà. Il est de la même école que moi… On est des OVNI ici. On l'a bien vu aux premières réunions parisiennes. On est pas du même sang que les autres. Faut comprendre. Y'a les écoles de commerce puis y'a les écoles d'ingé… Chacun le plouc de l'autre. Chacun plus cool que l'autre. C'est comme ça.

Enfin, j'arrive tant bien que mal à la salle à manger… Y'a déjà plus de place autour de la table. Je me case dans un coin de la pièce, contre une bibliothèque. Ben oui, dans les backpackers, y'a des bibliothèques dans les salles à manger.

-          Bon ça y est on est au complet ? lance un type sous sa mèche… Il a l'air d'être le meneur…

-          On va commencer par une mise au point pour tout le monde et puis on se séparera par centre. Vous vous rappelez tous du centre que vous avez choisi ?

Ouais, je me rappelle que j'ai pris le centre d'accueil le plus proche de l'auberge. Par contre son nom… Alors là…

-          Alors, les grands projets de cette année…

Bla, bla, bla. On se lance dans une revue systématique des petits fantasmes bourgeois envers leurs – encore plus – petits pauvres. Des choses simples, qui nous paraissent insignifiantes et naturelles à nous européens privilégiés, mais qui coulent pas de source pour ces malheureux habitants du tiers-monde. L'eau courante, l'eau chaude… Le gaz, l'électricité… Un peu d'amour pour les enfants… On est entre bien-pensants alors on se parle en bisounours. C'est à qui ronronnera le plus fort. Un dégueulis de rose se répand dans la pièce… Un à un ils chient leurs arcs-en-ciel par la bouche. Je ferme ma gueule. Je pourrais proposer des cours de poterie avec de la crotte de chien, c'est du recyclable et du créatif… Sûrement que ça plairait…

J'ai repéré une grande brune, plutôt pas mal. Elle a l'air d'être dans son élément. Elle parle de peinture avec les mains, de jeux-chansons… Des yeux noirs qui pétillent d'impatience. Encore plus enthousiaste que tous les autres réunis. Elle est dans le même centre que moi. Elle est numéro un sur ma liste.

  • Bon ce soir j'suis bourré donc mes yeux suivent mieux la rive. Et la rive elles est cool. Nan sérieux mec t'as un putain de style. Des bon riffs avec un flow acide. Et pour le "chacun plus cool que l'autre" je comprends très bien. Pour avoir fait un détour dans des études de com', ouais je vois très bien... Des envies de tirer un peu partout. Ton texte, top de chez top. Je lirai la suite très vite !
    ps : y'a quand même des putains de plume sur le site

    · Il y a environ 10 ans ·
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    mark-olantern

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