Sous le signe du lien

mylou32

Signes de vie, signes en vie , signes de mort, signes encore...

Mireille était en pleine organisation du départ de toute la famille pour l'Espagne, elle attendait avec impatience sa soeur Céline pour lui donner les dernières instructions pour la maison qu'elle habitera pendant quelques temps et surtout pour aller voir leur père à l'hôpital; Mireille l'accompagnait et à la demande pressante de son mari et des enfants, elle laissait à regret son père malade à l'hôpital pour emmener tout son petit monde en vacances à Salou sur la côte méditerranéenne. Son mari avait tout prévu et son frère espagnol les attendait dans un camping. Il avait une caravane où les enfants dormiraient et Mireille et son mari dormiraient dans une tente. Céline arrivait et toutes les recommandations fusaient déjà: "Tout pour faire la cuisine créole et mijoter des petits plats à papa qui maigrissait à vue d'oeil, c'est important qu'il mange bien pour faire face à sa maladie"; Mireille raconta à Céline comment le médecin lui avait annoncé que leur père n'avait plus que 6 mois à vivre et qu'il fallait l'accompagner au mieux. Céline n'avait pas envie d'entendre, et le lendemain, toutes les affaires chargées, la petite famille partit pour l'Espagne. Dans une dernière recommandation Mireille dit à Céline sur le pas de la porte:"Vas voir papa tous les jours, il y a des plats cuisinés dans le frigo pour commencer, et puis tu as ma voiture, cela ne te coûtera rien j'ai fait le plein hier" "oui, oui" répondit Céline, "Vas, ne te fais pas de soucis et profites de tes vacances" Mireille partait à regret mais son mari avait insisté et parfois lourdement:" je travaille toute l'année, j'ai besoin de ces vacances, mon frère a tout organisé, les enfants seront bien avec leur cousins, et puis toi aussi tu es épuisée, et nous n'aurons pas l'occasion de partir comme cela à moindre frais!" et dernier argument " De toute façon , si tu ne veux pas , j'y vais tout seul avec les enfants" ce qui avait fini par décider Mireille "Quinze jours, pas plus" s'était elle dit, elle avait réussi à s'arranger avec Céline pour son père et sur la route du sud, se détendait un peu en appréciant le paysage. Ils furent accueillis à bras ouverts et un soleil de plomb invitait les enfants au bord de la piscine surveillée. Les deux frères parlaient espagnol et Mireille comprenait très bien quand ils ne parlaient pas trop vite, et quand les paroles s'accéléraient elle comprenait qu'ils ne voulaient pas qu'elle saisisse le sujet de leur conversation et au fil des heures, la fatigue aidant, un profond malaise se réveillait chez Mireille, comme s'il avait toujours été là et qu'elle le savait. Au début elle n'y prêtait pas attention, et une première nuit passée dans la tente fut blanche, les bruits extérieurs et inconnus l'empêchaient de dormir. Des personnes passaient très prés de la tente et parlaient fort, les talons des filles claquaient sur le pavé et faisaient sursauter Mireille. Au lever du jour elle sortit de la tente pour prendre l'air, un bon café ne lui aurait pas été de refus mais tout le monde dormait encore. Le soleil marquait le ciel bleu et les traces blanches des avions mettaient en exergue les couleurs, une tristesse indéfinissable l'envahissait et même les clowneries de son petit dernier qui se réveillait et passait la tête par la fenêtre de la caravane par intermittence, ne la faisait que sourire. Son coeur se serrait, un mal être indéfini la submergeait. La nourriture et l'odeur de cuisine lui donnaient la nausée, depuis son arrivée elle ne mangeait presque plus et fumait cigarette sur cigarette. Pour surmonter son blues elle dit à son mari son intention de s'inscrire à l'élection de miss camping, histoire de passer à autre chose, elle l'avait dit en français et quand il traduisit tout le monde éclata de rire, vexée et humiliée Mireille décida de faire un tour à la mer et bien évidemment son mari et ses enfants la suivirent. Au retour un mal de tête l'empêchait de réfléchir à ce qui se disait autour d'elle, Mireille s'isola dans la tente mais la chaleur étouffante de la fin de journée la chassa vite de son abri. Elle se sentait mal de plus en plus, sans pouvoir mettre des mots dessus, elle picorait dans son assiette quand tout le monde parlait avec volubilité et voix fortes, elle ne se traduisait même plus ce qui se disait!, la nuit approchait et un monstre qu'elle savait tapi dans l'ombre était revenu, un monstre qui venait de loin , Mireille faisait tout pour ne pas y penser, elle demandait à faire la vaisselle, nettoyer, ranger mais son hyper activité n'y faisait rien, le soleil se couchait et les ombres fantasmagoriques commençaient à se dessiner, partout autour des lampadaires qui balisaient les chemins autour des parcelles. Des voix se faisaient étouffées, des chuchotements inhabituels lui parvenaient et cette fois-ci semblaient venir de partout et de nulle part à la fois, mais des fois très près de la tente et cela lui semblait tellement proche qu'elle ne pouvait s'empêcher d'ouvrir brusquement la fermeture éclair de la tente pour regarder d'où cela pouvait venir. Son mari et son frère discutaient devant un dernier verre, à la table pliante à deux pas de là où elle était, quand même ils auraient vu s'il y avait des plaisantins autour d'elle! Voyant sa nervosité, son mari vint s'allonger auprès d'elle et lui s'endormit sans plus attendre après lui avoir dit bonsoir du bout des lèvres. Elle lui avait signifié qu'elle avait envie de rentrer, qu'elle ne se sentait pas bien, mais dans une vive dénégation, il lui avait fait comprendre qu'il était hors de question! il se retourna pour s'endormir en éteignant la lampe qui les éclairait, laissant Mireille seule avec son désespoir et son fantôme qui rodait de plus en plus prés, l'angoisse lui étreignait le coeur, mais elle était irraisonnée  à côté du monstre qui la lacérait à l'intérieur, de ses griffes, elle arrivait à peine à respirer, lapant l'air par à-coups pour ne pas hurler, son coeur battait à cent à l'heure, sa tête allait exploser tant la migraine refaisait surface, elle avait pris un antalgique mais rien n'y faisait. elle essayait de fermer les yeux et respirait à grands coups pour calmer les battements de son coeur. Toute la nuit, elle tournait et retournait , son mari ronflait à côté et quand il s'est réveillé Mireille avait une tête épouvantable, des cernes bleus mangeaient son visage et il ne la reconnaissait pas, ses joues semblaient creusées et comme mangées de l'intérieur, ses yeux noisettes habituellement vifs étaient éteints, les pupilles dilatées. Deuxième nuit blanche et toute la journée, Mireille supplia son mari de rentrer, elle ne donnait plus aucun argument, son leit-motiv était:" Je ne me sens pas bien! je veux rentrer!" elle avait des nausées en permanence maintenant et il n'y avait que l'air et le café soluble qui passait dans sa gorge. Elle avait l'impression qu'on lui avait passé un noeud coulant et que chaque minute passée dans ce camping, la corde se resserrait un peu plus , elle suivait le groupe que faisait sa petite famille et ne lâchait plus son mari et dés qu'elle croisait son regard, lui suppliait à voix basse de rentrer; inexorablement il détournait la tête et le regard, ignorant sa détresse par maints éclats de rire avec son frère parlant de plus en plus vite espagnol pour empêcher Mireille de comprendre, mais elle n'était plus là, n'était plus présente, passant son énergie à essayer de juguler le monstre qui s'était réveillée depuis la veille au soir, la nourrissant de souvenirs lointains pour la tenir éloignée et l'empêcher d'être sa proie (petite, sa nounou lui avait appris) elle sentait pourtant au fil des jours sa volonté se craqueler, se morceler comme un miroir brisé qui tient encore debout mais qui morceau par morceau se détachait de son cadre pour se fracasser par terre , lentement, inexorablement, elle mordait ses joues à l'intérieur pour ne pas hurler la seule volonté qui lui restait: rentrer chez elle , loin du bruit, loin de la foule, loin de tout ce charabia qu'elle ne voulait plus traduire, loin de cette nourriture trop grasse, de ces regards ironiques quand elle parlait. Elle savait son accent à couper au couteau mais son beau-frére lui avait dit qu'elle parlait espagnol comme dans un livre. Le soleil descendait à l'horizon et l'idée d'une autre nuit blanche se dessinait  mettant Mireille dans une agitation qui ne dépareillait pas des soirées espagnoles; le soir il fallait se doucher, s'habiller de ses plus beaux atours et marcher! Mireille appelait cela errer car sans but précis, juste se montrer, s'arrêter pour boire un pot et repartir prendre la voiture pour aller plus loin, et refaire la même chose pour revenir au camping et c'est dans la voiture que Mireille profitait pour supplier encore et encore de rentrer. Elle avait l'impression de s'adresser à un mur, ses larmes coulaient sans qu'elle les retienne, son mari lui répliquait:"Tu ne vas pas gâcher les vacances de tes enfants et mes vacances! les premières de toute l'année, je m'amuse un peu, je retrouve ma famille, mes frères et toi par tes caprices tu veux rentrer!" Mireille se mit à hurler comme jamais , la bête qui était en elle sortait au fur et à mesure de ses paroles:"Je veux rentrer chez moi, je n'en peux plus, ce ne sont pas des caprices! je veux retrouver mon père qui est en train de mourir!" puis elle s'est tu , elle était secoué de violents sanglots , seules ses épaules bougeaient, une grosse boule dans la gorge l'empêchant de discuter plus avant . De retour au camping , elle s'isolait sans plus de cérémonie, le repas se passait sans elle et personne n'était venu la chercher, de toute façon elle n'avait pas faim et ses maux de tête revenaient le mal pulsait dans ses tempes et remontait dans sa tête par la nuque , la crispant davantage, tout son corps avec, comme une étrange paralysie. Les bruits étaient multipliés et lui faisaient résonance, elle était aussi tendu que la peau d'un djembé. Son mari passait la tête par l'ouverture de la tente: "Ca va? " pour toute réponse elle lui tourna le dos, sa respiration rapide trahissait son désir de faire croire qu'elle dormait. "Si demain cela ne va pas mieux, nous partirons, mais tu es une belle garce de nous gâcher à tous nos vacances!" Sa réponse fut des larmes, elle pleurait par à-coups réguliers, libérant un flot de larmes qui ne l'apaisait pas pour autant, il se mit à pleuvoir, même le ciel était triste!, la pluie tombait de plus en plus drue sur la tente amenant des éclairs rapprochés allumant le jour dans le petit espace où ils étaient. Une peur incontrôlée la fit secouer son mari qui s'endormait:" As-tu mis les patates sur les piquets?" elle avait appris dans les livres que pour éviter la foudre dans une tente il fallait mettre des pomme-de terre sur les piquets et son obsession au fur et à mesure que l'orage s'abattait sur le camping, était la certitude que son mari n'était pas ressorti pour les mettre! elle était électrifiée elle même ! la peur d'être foudroyée la tenaillait et par moments réveillait son mari pour lui demander ces fameuses patates sur les piquets! il ne répondait rien et la regardait étrangement , puis se retournait, essayant de se rendormir. Au petit matin il retrouva sa femme en pleurs toujours, les pupilles si dilatées qu'on ne voyait plus la couleur de l'iris, des pleurs la secouaient par vagues, sans un mot pour elle il sortit de la tente pour prévenir sa famille qu'il partait, il rentrait et capitulait devant l'état de sa femme qui ne pouvait plus s'empêcher de pleurer, il avait même l'impression qu'elle avait maigri dans la nuit. Mireille s'en allait du camping sans un regard sur tout ce qui l'entourait, elle dit au revoir à sa belle famille du bout des lèvres, sans s'excuser, absente, dans une sorte de cauchemar intérieur, répété et sans fin. Elle se sentait faible, sans force aucune pour parler aux enfants, animer le trajet retour comme elle avait fait à l'aller, cela lui semblait bien loin, les arrêts momentanées sur les aires de repos la mettaient dans de terribles angoisses , elle se sentait mourir à petit feu, les larmes coulaient maintenant sans discontinuer.  Quand Céline ouvrit la porte à sa soeur, elle ne la reconnut pas tout de suite ne les attendant pas avant une semaine, comme une automate Mireille s'est dirigée sans un mot vers le tas de courrier qui trônait sur le comptoir de la cuisine, fébrilement elle s'est mis à chercher quand une enveloppe blanche bordée de traits rouges attira son attention, en tremblant elle l'ouvrit et lut un courrier de la soeur de sa nounou qui lui disait qu'Odette était partie au ciel après trois derniers  jours de coma mais que la dame qui l'avait élevé, s'était alitée depuis une semaine! Pendant tout son séjour en Espagne la personne qui avait le plus compté pour elle s'éteignait à l'autre bout du monde! s'en était trop pour elle! elle niait les faits et sans crier gare, partit en courant chez une amie à elle, "puis-je me servir de ton téléphone?" dans l'état où elle était son amie ne répondit que par un hochement de tête, Mireille se précipita sur le téléphone et une voix éraillée à l'autre bout du monde lui répondit "Mais oui Odette est bien morte , pleures pas ma fille, elle repose en paix maintenant"elle voulait cette confirmation, car ce qu'elle avait senti tout le long de son voyage en Espagne, la-bas et au retour était bien de la disparition de sa nounou , elle l'avait mis sur le compte de la maladie de son père mais tous les signes que l'univers lui avait envoyé ne lui avait pas laissé présager de cette horrible nouvelle, elle rentra chez elle et s'effondra sur le canapé, sa soeur lui donna un cachet blanc de forme allongée et un verre d'eau, la suite c'est son entourage qui lui raconta bien plus tard, son mari, le lendemain, l'emmena à l'hôpital où les médecins prirent sa tension elle était à cinq lui assurant qu'ils n'avaient jamais vu cela de leur vie, qu'en dessous de six on était mort, elle avait perdu aussi beaucoup de poids , ignorant son poids de départ, ils ont fait dormir Mireille, lui faisant oublier ce que son coeur et sa raison refusaient d'admettre et tous les signes envoyés la rendaient folle d'angoisse mais sans jamais pouvoir mettre des mots sur ce qu'elle savait ...peut-être... déjà. Son corps parlait, sa raison niait tous ces signes évidents, et qui les envoyait ces signes? la nature? Odette? qui voulait la prévenir qu'elle partait? et elle était si loin , dans l'hémisphère sud de la planète! que les liens tissés avec sa Nounou étaient forts pour la prévenir! lui dire qu'elle allait mal, se faisant sentir mal Mireille il y a un proverbe qui dit :" Loin des yeux , loin du coeur" Mireille n'y a jamais cru...

  • Beau texte. Emouvant et tellement vrai.
    Par contre, vous avez laissé passer une Mylène à la place de Mireille.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Au rayon des livres

    chloe-n

    • bel acte manqué!, je pense que tout le monde a compris que pour écrire ce texte il fallait que je prenne une certaine distance d'où l'ersatz Mireille! merci de me le dire, je l'ai rectifié.on dira que j'ai accouché de ce texte!

      · Il y a presque 9 ans ·
      Image pixelmator 465

      mylou32

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