Souvenir

yl5

Ancien texte


 

Chauffagiste passionné par l'architecture militaire en pierre de l'âge de Fer, je m'étais rendu pour mes vacances et d'excellent matin dans le Midi prospecter un site propice armé d'une carte d'état-major réformée.

Arrivé sur place, je trouvai sous un climat torride une nature exubérante, ignorant les chemins. Des épineux vigoureux dressaient une muraille étanche barrant le seul côté accessible de ce bastion déserté.

Que faire, avec une paire de bras pelés contre une mer de barbelés ?

Je décidai de regagner mon gîte en roulotte et de revenir avec une machette ou toute scie pour ouvrir une voie par la gorge menant au plateau.

Dans la nuit, un vacarme assourdissant dérangea cet espace classé pauvre en bruit. Une noria de Canadairs combattait un gigantesque incendie qui illumina l'éminence en dévorant les gardiens de l'inaccessible citadelle approchée la veille.

Après le passage des promoteurs à essence, des flammes, des pompiers, et avant celui des chasseurs, je pus m'adonner à la quête de structures fraîchement dégagées par le feu. Au point le plus élevé se dressait légèrement saillant un podium, dont un des socles venait d'éclater sous l'effet de la chaleur. A l'aide de la machette j'écartai le bloc ébréché et découvris un escalier recouvert de limon adhérent à d'antiques degrés taillés dans la roche.

Un débat interne s'instaura, continuer seul où déclarer tout cela aux autorités compétentes ? Au risque de s'entendre dire avoir découvert ce qui est connu de tous les amateurs y compris les spécialistes, je décidai alors de descendre car ma lampe de poche marchait.

M'inclinant derrière la lumière, je descendis, croisant les parois en moellons aux joints occupées par les racines agonisantes.

Environ six mètres plus bas, un couloir interminable au plafond constitué de monolithes gréseux gravés de spirales, m'amena à une large salle ressemblant à un colossal boyau, fossile d'un lit de torrent. Un courant d'air attira mon attention, et une toile d'araignée ondulante en révéla l'origine : Une pierre en équilibre obstruait une ouverture, qui dégagée, laissa apparaître la vallée en contrebas. La lumière du soleil ressuscita une galerie de peintures endormies depuis des stocks de lustres. Des personnages réalistes semblaient avoir été dessinés par un artiste aborigène ayant séjourné à l'atelier de Salvador Dali, les corps enlacés présentant des dos tatoués de scènes lascives de dos eux-mêmes tatoués.

Le vent traversant une légère anfractuosité située juste sous le dôme assurait une ambiance musicale envoûtante. Au centre un bassin circulaire aux parements revêtus de geysérite multicolore formait un jacuzzi naturel en captant une source bouillonnante d'eau chaude enrichie. Je plongeai un orteil puis deux, et tout le corps dans les vapeurs parfumées qui alliées au massage gazeux diluèrent toute sensation de pesanteur corporelle. Une douce ivresse m'envahit mais un bruit me tira de mon abandon et je vis saoul venir sur le rebord de la baie libérée un grand-duc, ou plutôt une. Elle venait de Vienne, si, si, se nommait Noémie, et souhaitait cet été jouir au jour le jour. Intrigué par cet étrange volatile ventriloque et volage, je l'invitai pour rire si le corps lui disait à me rejoindre, tout en restant attentif car souvent dans les grandes cuvettes les gens de Vienne deviennent fous. Le noble oiseau acquiesça et en se posant sur la margelle du grand bain se transforma en cygne.

J'applaudissais à ce prodige mais quand l'animal commença à me faire les yeux doux, je fus à deux doigts de paniquer, j'étais en pleine mythologie, devais-je l'embrasser ? Et où, pour espérer une ultime métamorphose délivrant une princesse voire un drag-queen de son enveloppe actuelle ?

J'optais pour la première solution, et avançai ma bouche telle une baguette de sorcier. Mais Léda la coquine me pinça le nez.

Ceci me réveilla et je me rendis compte qu'une cane habile du bec avait ouvert la porte de ma roulotte et s'amusait à m'asticoter les doigts de pied qui dépassaient d'une couche sans drap. En voulant me lever, je glissai et tombai lourdement, ce qui m'extirpa de mon vrai sommeil, car en réalité, je gisais seul, baignant dans ma sueur sur la moquette antistatique de la permanence de SOS chauffage dont la climatisation venait de tomber en panne.

Je me mordais pour savoir si j'étais vraiment revenu au réel, la pendule thermomètre publicitaire avec sa pin-up à plumes maquillée en tôle émaillée sur fond de maquis me souriait, il était midi, dix degrés, le thermomètre devait retarder.

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