Souvenir d'antan
justine_diot
J'ai cette impression parfois, plus depuis que je sens que celle-ci se raccourcir de jour en jour. Le temps m'emporte peu à peu et, qui sait si demain je serais encore des vôtres. Moi, non. Je devrais avoir peur. Mais c'est la mélancolie, le soulagement d'avoir vécu ce que j'avais à vivre qui dominent en moi. Je me sens soulagée, comme si on enlevait un poids de mes épaules.
Assise dans ma vieille chaise, je me balançais d'avant en arrière profitant des quelques rayons de soleil qui perçaient à travers les fenêtres. Sur mes genoux, était déposé un album. Toute ma vie réunit en quelques clichés. Je tournais une page de temps à autre, observant ces images, tentant de me rappeler. Seul le son du frottement de la chaise sur le parquet était perceptible, tandis qu'un flot de souvenirs refaisait surface derrière mes yeux. Alors, j'ai repensé à toute cette vie passée aussi vite qu'un rêve vous emporte ailleurs.
Je me suis souvenue de certaines odeurs propres à mon enfance, de gens que j'ai rencontré lorsque je suis partie faire mes études ou de cet homme qui a bouleversé ma vie et pris mon coeur. J'ai appris des autres, j'ai donné de ma personne, j'ai aimé, j'ai détesté. J'ai été heureuse. Parfois, j'ai souffert; mais qui ne souffre pas?
Mes doigts se posent sur cette première image, frôlant les traits de ces personnes. Elle semble fragile, jaunis par le temps. C'est si sombre; mes yeux cherchent chacun des détails qui les rappellent à ma mémoire.
J'habitais à cette époque dans la demeure de mes grand-parents maternels, une de ces vieilles bicoques où l'ambiance omniprésente vous englobez. La demeure s'élevait au milieu des champs, des arbres et des ruines. Une bâtisse de briques rouges plongés dans la verdure. Je me rappelle de ces poutres qui décoraient chacune des pièces, de l'unique poële qui réchauffait toute la maison, des petits plats qui y mijotaient embaumant à même mes vêtements, et de ces soirées passées au coin du feu à les écouter raconter leurs souvenirs d'antan.
La vie y était douce. Du moins, ce sont les souvenirs qu'il me reste de cette époque... Des souvenirs ensoleillés et doucereux du cocon familiale. La douce chaleur de ma grand-mère, la force de caractère de mon grand-père. Je n'avais jamais pu ressentir l'étreinte d'une mère qui console son enfant, ni voir la fierté briller dans les yeux d'un père. Mais, je les avait eu eux, malgré tout.
Quand je repense à ces moments, je me revoie, petite, gambader dans les champs, errer dans les bois à la découverte d'une nouvelle aventure, à m'imaginer vivre quelque chose de spectaculaire. J'étais jeune et insouciante. Et, pourtant, mon esprit était déjà envahie d'un tas de choses. Les prémisses de ma capacité à inventer des situations, à créer des scénarios extravagants... Comme le décor en arrière plan de cette photo en avait été l'objet.
Les maisons délabrées et inhabitées semblaient fleurir dans certaines contrées. Tout comme là. Je me demandais à cette époque ce qui pouvait se passer à l'intérieur de ces ruines, ce qui s'y était passé autrefois. Une monticule de débris jonchait l'intérieur des maisons. Des cendres s'éparpillaient parfois dans les recoins sombres. De l'après guerre, c'est tout ce qu'il nous restait pour nous rappeler cette bataille, ces corps sans vie...
Dans ce décor, on ne se sentait, non pas observé par les habitants du village voisin mais plutôt par la nature elle même. C'était un peu comme si elle voulait sonder notre âme, savoir si nous étions aptes à pénétrer les lieux. J'ai même souvent passé des nuits blanches avec la sensation que des esprits erraient, m'entourant constamment dans mes moindres faits et gestes. Heureusement, avec le temps, je m'étais rendue compte que rien de tout cela n'existait, que ce n'était juste que mon imagination débordante qui me faisait vaciller dans des peurs nocturnes.
Le cliché suivant était différent. Elle était à l'origine en couleur, mais celles-ci s'étaient peu à peu estompées. Je devais avoir 17 ans ou ça s'y approchait plus ou moins. J'avais quitté ma région natale pour tenter ma chance en ville, découvrir de nouveau horizon, et surtout apprendre. Je voulais me cultiver, essayer de trouver une place dans le grand monde. Alors, j'ai étudié. Beaucoup. Longtemps.
C'est aussi à ce moment-là que j'ai rencontré mon meilleur ami. Nous étions inséparable, et nous voguions tout deux sur les flots d'inventions, de chimères qui nous engloutissaient que trop souvent. Nos rêveries nous portaient parfois dans des endroits incongrues. On cherchait de nouveau axe sur lequel nous inventions une histoire. Parfois, j'allais jusqu'à poser nos pensées sur du papier.
Une fois, on s'était promené dans un cimetière situé à quelques rues de chez nous. Non pas que le lieu soit réellement effrayant mais il s'y dégageait une atmosphère peu rassurante et assez lourde qui me fascinait à l'époque. On avait erré à travers les allées, observant les tombes, on s'était aventuré dans un tombeau pour s'imprégner de cette odeur propre à la mort. On avait ensuite passé de longues heures, assis sur du marbre à rêver, à s'effrayer.
Les années sont ainsi passées. Tout s'était enchaîné rapidement. Mes délires d'enfance étaient devenus de véritable récit d'aventure. Des mots alignés les uns derrière les autres m'avaient ouverts la voie. La reconnaissance avait fait de moi une romancière. Une vie à inventer une vie ou le réécrire encore et encore.
L'amitié s'était transformée. Je m'étais retrouvée vêtue d'une robe nacrée. Je me voie encore me diriger vers l'autel, retenant mon souffle devant sa beauté. Il avait ses cheveux encore plus ébouriffés que d'habitude et son sourire en coin marqué, ce qui le rendait encore plus craquant qu'à l'origine. Je m'entends encore prononcer les mots qui m'unirent à cet homme. Rien n'avait plus d'importance à ce moment-là que le bonheur que je ressentais d'être devenue sa femme. Rien, mis à part les angelots qu'il m'offrit les années qui suivirent.
Les derniers clichés... une dernière larme perlait le long de sa joue, tandis que dans un dernier soupir, elle se sentit libérée de tous ses souvenirs. Elle allait enfin le rejoindre, les rejoindre tous, sa famille, son amour... Et, comme dans un ultime volume de sa vie, la dernière page fut écrite.