Souvenirs

little-wing

La carcasse sombre de la maison se découpait sur le haut de la butte, avec en fond, le crépuscule tacheté de nuages et les ombres chinoises des arbres. Le vent faisait voler quelques feuilles mortes sur le terrain, déplaçant un peu de poussière qui gênèrent partiellement les deux visiteurs. L’un était grand, silhouette carrée et pourtant frêle, l’autre plus petit bien que de taille normal, les deux portaient de long manteau noir filiforme.

 

Ils avaient le visage levé sur l’ancienne masure qui tenait debout par on ne savait quel miracle ; le vent la faisait d’ailleurs grincée, le son retentissait jusqu’au bordure du portail où se trouvait les deux personnes. Depuis longtemps, la clôture grillagée entourant une partie la maison s’était défaite et les fils pendaient misérablement entre leurs poteaux de bois moisis, n’empêchant plus les voyous ou autres visiteurs inconnus d’y entrer. Le temps faisait des ravages pour qui n’y prêtait pas suffisamment attention et, manifestement, de l’attention, c’est ce qui manquait cruellement à la demeure décrépie.

 

- Et tu as vécu là-dedans ? s’étonna l’une des silhouettes, la plus grande.

- Pas vraiment, non, mais mes grands-parents, oui, répondit l’autre, indubitablement une femme. Avant, j’y allais pour les vacances et les grandes occasions. Elle est devenue ma maison seulement après la mort de mes parents, tu sais, quand j’avais 17 ans. Et encore ! Je n’y étais que le week-end puisque la semaine, j’étais à l’internat. A mes 18 ans, je suis partie à Londres faire mes études dans un petit appart. Tu vois, je ne peux pas vraiment la considérer comme « ma » maison même si là, j’ai pu…

- Recommencer une vie ? suggéra l’autre, voyant qu’elle hésitait.

- On va dire ça, oui.

 

L’homme hocha la tête, respectant le silence qu’avait adopté la femme en s’approchant du lieu. Leur regard n’avait pas quitté la maison, de taille modeste et qui avait dû être autrefois pleine de charme. Ils s’avancèrent lentement, comme pour une procession, et franchirent le petit portail à la peinture blanche écaillé qui ne tenait plus sur ses gonds. A mi-parcours sur l’allée de gravier, la femme s’arrêta et leva le bras, désignant une fenêtre aux vitres cassées au premier étage, du côté gauche de la maison :

 

- Ma chambre était là. On dirait pas comme ça mais elle fait tout le coin gauche de la maison de sorte que j’avais vu sur tout le paysage de ce côté-là, avec le village là-bas. Regarde, on peut voir un bout de l’église, ajouta-t-elle, appuyant ses dires d’un large geste pour englober le paysage aux collines basses.

 

Dans un creux, on pouvait effectivement apercevoir une partie du clocher du village Langletown, calme à cette heure-là. De nouveau, l’homme hocha la tête. Il sentait qu’elle disait cela pour retomber peu à peu en enfance, là où ses souvenirs étaient encore heureux, insouciants, si éloignés de la souffrance que la vie nous apprenait en devenant adulte.

 

Ils reprirent calmement leur marche. Malgré le vent, le bruissement des feuilles ou les cris des oiseaux, le silence installé entre eux était pesant. Pesant car la femme ressassait des moments joyeux qu’elle avait connu ici. Des moments qui, aujourd’hui, la faisaient souffrir tant son insouciance de l’époque lui manquait. Pesant car l’homme portait sur toutes choses un regard sombre, empli de curiosité.

 

De toute évidence, la vie avait dû être dure avec ces jeunes gens. Jusque dans leur démarche, on sentait le poids de choix difficiles, des sacrifices, des erreurs, des pertes qui les avaient façonnés. « On ne peut plus retourner en arrière » leur avait dit un jour une personne qui leur avait été cher. Ils traînaient leur vie comme les prisonniers traînent leur boulet. Non, pas des prisonniers, mais des fantômes. Là, tout les deux proches sans vraiment l’être, comme pour nier un besoin de chaleur pourtant évident en ce lieu lugubre, ils avaient plus l’allure blafarde de ces êtres ni tout à fait mort, ni tout à fait vivant. On pourrait facilement les imaginer revenir une éternité plus tard, avec le même visage, la même expression désabusée, les épaules encore voûtées, le pas lent de ceux qui portent les regrets en bandoulière.

 

Un semblant de vie illusoire. Ils avaient abandonné déjà, il y a quelques temps. Ils n’avaient même plus la force de se révolter contre les tempêtes douloureuses qu’ils devaient encore affronter. Eux-mêmes avaient honte d’être des lâches ayant préférés se laisser aller plutôt que de lutter.

 

Pourtant…

 

La jeune femme avait eu une sorte de besoin péremptoire de revenir aux sources. De venir voir d’elle-même ce que le temps avait emporté de son enfance. De sa vie d’avant.

 

Et maintenant qu’elle était en ce lieu qui lui avait été autrefois magique, elle ne savait plus si c’était une bonne idée ou non. Une foule de sentiment lui revenait en vague, que sa vision d’adulte ayant souffert altérait quelque peu. Oui, elle avait été heureuse mais, aujourd’hui, ce bonheur lui faisait mal. La beauté des choses se trouve dans leur instant éphémère, songea-t-elle alors qu’elle portait son regard sur une marre foisonnante de mauvaises plantes et autres petits insectes. Petite, elle s’amusait beaucoup à y mettre des têtards et prenait beaucoup de son temps pour tenter de les faire grandir plus vite. Elle finissait généralement boudeuse de ne plus retrouver les malheureuses grenouilles qui avaient réussi à survivre à ses traitements. Ce qu’elle ne savait pas à l’époque, c’est que son grand-père partait de temps en temps trouver des grenouilles déjà adultes dans la forêt et les ramenait dans la marre pour qu’elle croit que « ses » têtards n’étaient pas tous morts gelés.

 

Elle eut un petit, tout petit, sourire à ce souvenir. Pas de quoi réchauffé son visage, ni même son cœur, mais d’une certaine manière, cela la toucha. Elle jeta un coup d’œil à son compagnon mais celui-ci n’avait rien remarqué, il regardait toujours la maison, la détaillant dans les moindres recoins, des fissures au-dessus des fenêtres jusqu’au tuiles manquantes qui laissaient voir la charpente. Il notait tout et retenait tout dans un coin de son esprit. Il voulait imaginer ce que cela faisait de vivre ici, pour un gamin de 6 ans. D’avoir tout cet espace pour courir librement, sans entrave, sans avoir peur de gêner les voisins qui vous réprimandaient méchamment, de grandir à l’air de la campagne, sans le bruit des voitures ou de la télé trop forte du voisin d’à côté. Il imaginait un couple de personne du troisième âge qui gâtait leur petite-fille, un sourire aux lèvres et de l’amour à redonner après avoir élever leur propre enfant. Une famille aimante, chaleureuse, unie, heureuse…

 

Il grimaça. Depuis trop longtemps, ce cliché de la famille parfaite le poursuivait et malgré son âge, il ne cessait d’imaginer sa vie dans ce genre de famille. Un rêve utopiste qui lui avait laissé une cicatrice aussi bien physiquement que mentalement. Du coin de l’œil, il regarda la jeune femme et constata qu’elle le regardait aussi. Ils cherchaient à évaluer les émotions de l’autre tout en s’efforçant de cacher le plus possible les leurs mais ils se connaissaient si bien maintenant que ce petit jeu, qui n’en avait jamais été un, ne durait jamais longtemps. Ils rendirent les armes avec l’un soupirant, l’autre levant les yeux au ciel, gestes mille fois répétés et que sans doute ils répèteraient encore.

  • J'ai bien essayé de construire une vraie histoire mais à chaque fois, cela donnait quelque chose qui me hérissait le poil! Mais j'ai quand même voulu partager pour voir comment allait être reçu ce que je considère comme étant ma première nouvelle sur ce site alors merci Alinoë pour ton commentaire! ^^

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Jimi hendrix

    little-wing

  • Super! Juste un bémol: c'est beaucoup trop court! J'en veux encore!

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Vhrwx7 t 400x400

    Alinoë

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