Souvenirs Glacés

Florian Lapierre

Une mystérieuse cabane trônant au sommet d'une colline perdue au milieu de la nature. Voilà le lieu de destination des pèlerins en quête de pardon, de rédemption et d'oubli. Couverture: Louisa B.

Le ciel s'échappait dans un dégradé de clair obscur, fuyant l'épidémie sombre et inquiétante qui se propageait depuis l'horizon. Les arbres vides de couleurs, étaient repérables par leur écorce marron qui contrastait avec les teintes grisâtres du paysage. Les branches immobiles se tenaient là, au dessus du sol terreux. L'épaisse couche de nuage anthracite s'étendait de part et d'autre du plafond céleste, sans jamais trahir le début d'un déplacement. Aucun mouvement, aucun sifflement. Il manquait quelque chose à la vie.

L'humaine se déplaça, simple tache dans ce paysage mort, se dirigeant sans lancer un regard autour d'elle, vers le sommet de la colline. La nature ne lui évoquait rien, bien qu'un lointain souvenir complètement perdu. Elle se souvenait de son passage en ces terres, du service quémandé, mais pourtant un fossé incroyable l'envahissait. Tout ce qui l'avait auparavant animé s'était envolé. Contournant un arbre massif qui gênait son chemin, elle déboucha dans un champ. Les hautes herbes et plantes frottaient contre ses jambes nues, ce qui lui fit réprimer un grognement de mécontentement durant sa traversée menant à la colline.

La montée interminable sur les hautes marches l'essoufflait et quand la toiture de la cabane fut enfin visible, elle n'en revint pas. Elle se souvenait d'une charmante maisonnette perdue dans la nature, ne faisant qu'un avec la végétation. Mais sa vision lui renvoyait une toute autre réalité.

Le bois fendu était en train de se mourir tandis que le sol en pierre était fissuré en son centre, laissant des morceaux épais de roche s'échapper. Le lierre envahissait les murs comme un parasite s'installant sur sa victime. Cette maison se mourrait, lentement et indubitablement.

L'air était lourd et les nuages sombres, annonçant un orage proche. Jetant un coup d'œil au ciel menaçant de s'écraser à tout moment, elle entra sans plus de conviction dans ce taudis.

À l'intérieur, la pièce était vide et seulement habitée en son fond par un bureau avec une chaise rangée en dessous, une grande commode à sa droite et une chaise supplémentaire dans le coin. En s'approchant, elle remarqua qu'il n'y avait personne, mais aussi qu'une porte était fermée à sa gauche. S'introduisant sans aucune discrétion dans cette habitation, elle tenta d'ouvrir la porte, en vain. Elle s'avança au niveau du bureau où plusieurs papiers étaient éparpillées. La plume posée sur le pot d'encre noire était encore imbibée de cette sève littéraire. Plusieurs écrits incompréhensibles traitaient de sentiments et de couleurs. La jeune femme ne comprit pas la moitié de ce qu'elle lisait, freinée par l'écriture parfois indéchiffrable, ainsi que par des comparaisons qu'elle trouvait futiles, écrites dans le seul but d'embellir le récit sans apporter une once de logique.

Pourtant, elle ne pouvait se détacher de ces feuilles au teint beige, recouvertes de phrases, de mots, d'un langage absorbant et obnubilant ses capacités à réfléchir. Elle plongeait littéralement dans ce monde de couleurs et d'émotions. Ce monde à la frontière du réel et de l'imaginaire, où nos cœurs se perdent et nos sentiments s'entre-mêlent, s'attachent, se lient. Un univers aux teintes indescriptibles et aux histoires incroyables. Un long rêve où l'on ne différencie plus la réalité et l'imagination.

Ses yeux fixés sur les notes qu'elle tenaient refusaient de se fermer. Un vent de panique souffla en son sein lorsqu'elle se sentit envahie par la vie de cette inconnue qui s'engouffrait dans cette brèche qu'elle avait créée. La colère vive et intense la brûlait et elle voulut crier pour échapper à cette souffrance. Puis, un chagrin sourd et pesant l'écrasa sur le sol, les mains toujours accrochées à la vie de cette personne. Les larmes lui montèrent aux yeux, ensuite, une vague de tristesse la submergea et inonda sa gorge l'empêchant de respirer. Elle se sentit perdre connaissance lorsqu'elle une dernière rafale de souvenirs s'enfouit en elle, remplissant tout les zones imprécises de son âme. Enfin, elle sombra dans un sommeil sans repos, où elle revécut son amour, sa douleur.


Son esprit et son corps s'étaient calmés, la mettant hors de danger. Ses sentiments étaient revenus et une lueur jusque là disparue de son regard s'illumina de nouveau. Elle ressentait un chagrin profond, venant de se réveiller à la suite d'un long sommeil. Toutefois, sa peine lui prouvait qu'elle vivait bien et l'ancrait fermement dans cette immense océan de nature. Jetant un regard autour d'elle, ce fut une pièce nouvelle qui s'offrait à sa curiosité. Allongée sur un lit simple au bord d'une fenêtre, elle contemplait ce qu'elle présumait être l'antre de cet homme.

Une senteur sucrée et douce attira tout de suite son attention. Dans des petits pots d'argiles aux reflets terreux se trouvaient installées là des fleurs au mille et une couleurs. Des pétales aussi grandes que sa paume de main et aux courbes parfaites, étaient dorées par le soleil, sublimant leurs éclats carmins, ce qui marqua instantanément la rétine de la femme. De minuscules fleurs violettes au teint prune à l'ombre, décoraient le rebord de la fenêtre, qui surplombait la vaste plaine envahit par les épis de blés qui s'étalaient à perte de vue.

Son ouïe fut ensuite stimulée par les sons mélodieux de la nature. Les oiseaux chantant à cœur joie leur amour en cette journée, eux qui avaient bravé un ciel sombre et un temps orageux. Le sifflement léger du vent dans les brins d'herbes, secouant les branches feuillues des vieux arbres qui somnolaient ça et là autour de la colline.

Après une longue absence au milieu du bois chaleureux et de la faune sauvage, elle décida de se recentrer et d'en apprendre plus sur son hôte en jetant un long coup d'œil sur ses possessions. Des livres traitant de toutes sortes de thèmes habillaient une modeste bibliothèque d'un bois foncé et verni. Ses doigts effleurèrent les couvertures en cuir aux écritures dorées qui protégeaient deux grands ouvrages allongés devant d'autres tomes alignés. Sur l'un était marqué Alchimie des Minéraux et sur l'autre juste en dessous Ésotérisme et Exotérisme. Suite à une brève lecture qui intrigua son être, elle se rendit compte que ces œuvres devaient dater d'une époque bien lointaine, car la calligraphie était très différente, la langue plus soutenue, plus riche, et enfin l'état de ces livres pouvait à lui seul garantir de son utilisation depuis de nombreuses décennies, voir de nombreux siècles.

Le temps s'était effectivement écoulé, car elle entendit le grincement de la porte qui s'ouvrit, révélant une silhouette. Aussi droit qu'il put se tenir, il observa de ses yeux argents la forme féminine qui était figée en pleine action. Gênée d'avoir été surprise en train de fouiller la vie de son hôte, elle ne put réprimer le sourire qui masqua sa peur et son malaise. Elle tenta maladroitement de reposer le bien de l'homme, mais le fit tomber, le poids des mots étant trop lourd pour elle. Tout en prononçant un tas d'excuses inutiles aux oreilles de l'écrivain, celui-ci, en se courbant difficilement, ramassa le pesant ouvrage afin de le remettre à sa place. Tous ces mots, toutes ses formules étaient beaucoup trop inconnues pour quelqu'un non préparé à accueillir ce savoir.

La jeune fille ne sut trop quoi faire, embarrassée, ne sachant que dire, que montrer. Ce fut alors à lui de prendre la parole.

—Tu as retrouvé la partie manquante de toi même. Chercherais-tu encore quelque chose ici ?

À peine étonnée par ce qu'elle ne pouvait cacher à cet homme, elle tenta de trouver une réponse en accord avec ses pensées incertaines. Que faisait-elle en effet ici ? À vouloir en apprendre plus sur cette personne, cette énigme vivante. Elle ne le comprenait pas et cherchait les clés qui pourraient l'aider à décrypter le langage étranger qui débordait de son regard. Alors elle essaya, elle essaya de lire à travers les joyaux, à travers les pierres. Voir au-delà de ce miroir qui lui renvoyait sans cesse son propre reflet.

Plongeant impétueusement et sans précaution, elle s'arma de son âme, pleine et certaine, afin de franchir les eaux brillantes d'un gris neige. Le blizzard l'entraîna toujours plus loin, découvrant à tout moment des fragments glacés et des bourrasques inattendues. Les nombreuses émotions étaient figées ensemble dans un énorme bloc qui ne bougeait nullement. Les couleurs emprisonnées à l'intérieur luisaient faiblement, laissant transparaître quelques nuances rebelles à cette prison de froid. À ce moment, elle sut enfin qui se trouvait devant elle. Elle ne comprenait pas ce qui le poussait à envelopper son âme si durement, mais elle connaissait à présent une vérité évidente à son égard. Le fait qu'il capturait les émotions afin de les enfermer en son sein, les rajoutant à sa propre essence.

Tandis qu'elle s'apprêtait à tenter de briser l'épaisse barrière qui maintenait la précieuse gemme du tailleur, une violente décharge la repoussa hors du corps qu'elle avait envahie. Dans un hoquet de douleur elle revint dans son enveloppe physique, face à un homme déconcerté par la tournure des événements. Il ne s'était visiblement pas attendu à ce que les rôles soient inversées et qu'il soit pour la première fois, fouillé au plus profond de lui.

Après cela, il détourna ses yeux diamants de la jeune femme qui peinait à récupérer ses forces. D'un simple geste, il indiqua la sortie à sa non invitée, demandant plus qu'expressément son départ. Comprenant son erreur, bien qu'elle ne la jugeait pas tout à fait comme telle, elle sortit de sa propriété.

Le ciel était clair, l'orage était passé et le crépuscule s'annonçait au loin. La lumière rosée du soleil couchant inondait l'espace qui miroitait au dessus d'elle. Le chant nocturne de la nature emplit l'air qui était suspendu autour d'elle. L'odeur humide et épicée des herbes sauvages recouvrit les senteurs boisées qui flottaient partout dans ce paysage. Alors, elle fit une promesse à son cœur. Elle se promit de pouvoir faire en sorte que ce jeune homme puisse, un jour, sentir de nouveau toute cette vie qu'il avait perdu. 

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