Souviens-toi des belles choses

Fanny Finet

Le quotidien perturbé d'un enfant de cinq ans à l'école.

Dans la poche de son pantalon, Rémi triture un petit soldat en métal. Il ne le sort pas, la maîtresse leur a interdit d'amener des jouets en récréation. Jouets prêtés. Parfois volés. Quelquefois cassés. Alors Rémi reste à l'écart des autres. La main, dans la poche, il triture le soldat au métal tout chaud. Les autres enfants courent dans tous les sens. Ils sont rouges, essoufflés, les cheveux noyés de sueur. Rémi a froid, il observe la vapeur d'eau qui sort de sa bouche dans l'air glacial de cette matinée d'hiver. Enzo hurle « loup » en touchant l'épaule de Chloé. Rémi les regarde, impassible. On pourrait croire que son regard passe à travers eux. Il ne joue plus au loup, depuis qu'il porte des lunettes. C'est trop fragile des lunettes pour jouer au loup, a répondu Rémi quand la maîtresse tentait de le faire jouer avec les autres. Alors, il attend, prés du préau, perdu dans ses pensées. Rémi se sent comme une grande personne depuis qu'il porte des lunettes.

Soudain, la sonnerie retentit. La récréation est terminée. Il est déjà devant la porte de la classe, prêt à rentrer, prêt à se réchauffer. Les enfants sont rangés derrière lui, ils le bousculent et il entre le premier. Sous l'effet de la chaleur, les carreaux de ses lunettes s'embuent. Lisa se moque. « Rémi, t'as les yeux pleins de fumée maintenant ! »

Il sursaute mais ne dit rien. Les grandes personnes ne parlent pas pour rien dire. Il la regarde avec dédain. Lisa, elle comprend rien. Avec son collant tout déchiré et son genou écorché, elle est pas assez grande pour porter des lunettes. Il retire délicatement les siennes et les essuie avec le revers de son t-shirt.

L'après midi, c'est l'heure du sport ! Mais Rémi est dispensé. C'est pas facile de faire des roulades avec des lunettes sur le nez, maîtresse ! a rétorqué Rémi quand la maîtresse a voulu le faire participer aux jeux de lutte. Alors il reste dans un coin. Assis en tailleur, il a posé ses coudes à terre et sa tête bien calée sur ses mains. Parce que, quand il penche trop la tête, ses lunettes glissent et c'est énervant à la fin. Rémi soupire, pas facile de porter des lunettes quand on a cinq ans.

Un jour, une dame vient le voir à l'école. Ce n'est pas la maîtresse. Elle est très gentille quand même, pleine de sourires et elle parle doucement, comme la maîtresse. Elle continue à parler en lui caressant les cheveux, et Rémi sent sa gorge se serrer au fur et à mesure qu'il entend le flot de ses paroles.

Elle lui a demandé de retirer ses lunettes, parce qu'elles sont trop grandes pour lui et qu'elles vont lui abîmer la vue. Elle lui a aussi dit qu'il n'avait pas besoin de porter les lunettes de son père pour se souvenir de lui. Parce que les souvenirs, c'est dans la tête parait-il, et dans le cœur tout au fond, tout au chaud.

Signaler ce texte