* Rossignol Roméo - Sasmira *

Alice Liddell (Falling Cards)

Bam. Bam. Bam.

Les trois coups résonnent dans la salle. Le silence enrobe peu à peu les rangs de spectateurs qui observent, l'œil attentif la scène qui se dénude lentement de trois épais rideaux de velours rouge.

Un crescendo de violon naît dans l'ombre de l'arrière de la scène. L'orchestre n'est pas visible, les pâles lumières éclairent uniquement les archets et les violons. La pénombre meurt, peu à peu, laissant place aux bougies qu'un homme revêtu d'une longue veste noire à capuche vient allumer. L'homme est de dos, et se retourne pour éclairer un candélabre posé sur une table. Au fur et à mesure, la lumière devient plus vive, et l'on commence à distinguer un sofa aux boiseries noires sobrement décorée. Une femme est allongée sur le tissu pourpre. Elle ne bouge pas. Elle dort. Sur son visage est enfin éclairé, le masque aux traits noirs et rouge laisse reconnaitre Rossignol.

L'homme se dévoile à son tour, enlève son vêtement et laisse également apparaître son masque : Roméo

Roméo observe le public, place son doigt devant sa bouche, incitant la foule au silence.
Au fond de la scène, une nouvelle lumière prend vie : éclairant de nouveaux instruments. Les tambours sont là. Battent, au rythme d'un battement de cœur. Roméo approche de Rossignol l'endormie, et dépose près d'elle une enveloppe.

La lumière se tait, les tambours s'abaissent. Roméo s'éclipse en silence de la pièce.

Rossignol se lève, s'empare curieusement de la lettre et l'ouvre pour la lire.

Elle s'avance, pathétique, dérobant la pose des femmes de la tragédie Grecque, elle exprime de la tristesse. Les spectateurs se taisent. Les violons grincent, un piano apparait. Les notes se mélangent et forment une mélodie lente. Un chœur se dévoile. Rossignol ne bouge plus, ne dit mot. Elle stagne seule, dans la musique en face de la foule docile et silencieuse.

Lorsque la musique berce les âmes, Rossignol parle, la voix brisée mais claire :

Rossignol - Comment vous croire, vous dites m'aimer, comment en être sûre ?
Que signifie exactement aimer pour vous ? Moi, je n'en ai pas la moindre idée. Aucune idée de ce que vous pouvez bien entendre par "l'amour" et d'autres idées usées et tristes que sont la romance et le désir. Affirmez, mon cher, que votre vœu et votre passion ne sont pas qu'un ancien principe de la nature physique de l'homme.

L'amour ? Vaut-il la vie ? L'eau que vous buvez et l'air que vous respirez ?
Maintenant permettez moi de vous mettre à l'épreuve. Déjà trop disaient aimer, être prêt à mourir pour moi, ici, maintenant. Dorénavant je n'en veux pas. Il est trop facile que de réaliser d'aussi tristes promesses.

Non mon cher. Voyez moi telle une fleur, entretenez moi, arrosez moi.
Aurez-vous la force de soutenir ma volonté ? De me protéger du monde, des médecins aussi influents que Dieu, et des prêtres peu scrupuleux ? De protéger ma personne de tout danger interférant ?


Rossignol laisse tomber la lettre, un son de clarinette perce le chant monocorde de la pièce, un violon se déchaîne de sa langueur et joue un air entrainant s'accordant à la clarinette. Rossignol prend délicatement le candélabre sur la table, et refait face au public.


Rossignol - Êtes-vous prêt à utiliser tout ce qui est en votre pouvoir et possession pour rendre cet amour vrai ? Pour répondre au triste appel solennelle d'une femme, impuissante, reniant la vie, mendiant la fin ? Si sur ce sofa je repose, et versant mes larmes suppliant les dernières minutes. Serez-vous là pour me sortir de cet enfer vivant ? Serez-vous assez confiant pour briser cette coquille de désarroi ?... Me délivrer de cet enfer vivant en veillant sur ma mort ?

Un mouvement trop brusque manqua d'éteindre la bougie, Rossignol se recroquevilla sur le candélabre, plaçant gauchement sa main pour empêcher la flamme de s'éteindre lors d'un mouvement de bras.


Rossignol - Maintenant dites-moi, êtes vous prêt ? Pouvez-vous faire ceci pour moi ? Respecter ma volonté, ma dignité et ma mort ?

Un rideau tombe lentement, la scène sombre peu à peu dans la noirceur jusqu'à ce que, le candélabre de Rossignol soit la dernière lumière, la musique s'apaise.

Rossignol - Car voilà pour moi, la vrai signification d'aimer.

La flamme s'éteint.
Rideau

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