* The Devil Knows My Name *

Alice Liddell (Falling Cards)

Telle une mère qui veille son enfant malade, j'ai tenté de protéger ma jeunesse. La si petite et frêle étincelle de ma raison. Telle une mère assise au chevet d'un enfant, à caresser son triste corps brûlant de fièvre. J'ai caressé son front en feu, rafraîchi les flammes de l'enfer dévorant peu à peu sa vie. J'ai protégé ses mains fébriles au sein des miennes... Et je suis tombée dans un triste et profond sommeil.

Pendant ce temps ma jeunesse était morte. Je dormais éveillée. Mais plus je dormais plus j'étais éveillée. Mon enfance et son parfum de sourire était morte et triste dans ce lit étroit. La chemise blanche mortuaire mettait en valeur la pâle beauté de son visage, son cou de cygne... Ses yeux d'un noir si pur, presque magnétique... Fermés à jamais. Les quatre cierges de cire vierge brûlaient et crépitaient en silence. Lorsque la lumière se faisait discrète, les ombres vacillaient, glissaient, des caresses de serpent sur son visage fixe. J'ai alors pris le dernier cierge qui n'était pas allumé. Je voulais écrire une lettre. Un mot, une mémoire, un souvenir. L'émotion que me provoquait ce pur parfum me faisait trembler. Ma jeunesse, mes plus beaux sourires, ma plus belle beauté était morte. Un petit cadavre que j'allai alors porter à jamais. A qui pouvais-je écrire à cette heure, en ce jour si sombre sinon à moi même.

C'était ce jour là que j'ai su que j'étais morte. Je me savais mortelle, si fragile. Je la haïssais !
Nous étions invités par les hommes d'église à une messe, la première messe de l'hiver. Elle venait d'avoir treize ans. Une petite fille du nom de Kristina chantait avec une si belle voix que l'assemblée toute entière était sous le charme. La noblesse ne tarissait pas d'éloges sur la petite Kristina. Elle avait la voix d'un ange. En ce jour, l'église reçut quantité de don des aristocrates.
Kristina. Un petit ange. Frêle créature divine, semblait si humble face aux louanges... Elle ne fixait pas l'assemblée qui pourtant ne la quittait pas du regard. Un conglomérat d'yeux rivés sur une gamine pâle. Sa voix avait porté les cœurs jusqu'aux hauteurs divines.

Mon compagnon semblait sous le charme aussi. Elle pleurait. Fines et pures, ces larmes cristalines, ambrosiaques peut être, roulaient sans fin sur sa peau lisse et ferme. Le Seigneur, si généreux dans le don qu'il lui avait octroyé aurait lui même succombé à la scène.

C'est pour cela que je l'ai faite tuer. Elle incarnait la beauté mon passé. Rien de plus. Si, elle le méritait. Elle méritait de mourir, ce jour là elle avait chanté... Les moines sous l'influence de sa divine voix auraient pu enterrer ses pêchés... Ils n'auraient fait que planter les graines mortes de la fatalité. Elle venait de tuer quelque chose en moi.

Ce soir là, en ce dernier jour d'automne j'étais simplement accablée par ma vie. En rage face au temps et la trahison de mes traits, salissant mon visage. J'étais... D'une tristesse inconsolable, je venais de perdre ma jeunesse face à un Ange mort... Personne n'avait pu être spectateur du cirque sadique de la vie, personne n'avait assisté à ma transformation... Triste ironie de la vie, la larve devenait papillon, et moi je devenais morte.
Mes miroirs eux, avaient tout vu. Ils savaient mon passé, mon présent, mais ils ne sauraient jamais mon futur. Car il n'y en avait déjà plus. Les domestiques avaient reçu l'ordre de détruire tous les miroirs dans la cours, sous mes yeux. Ils voyaient ma lente avancée vers la mort, je faisais de même, car c'était de bonne guerre.

La neige tombait depuis quelques jours déjà. Elle avait emporté avec elle le parfum de mon enfance mêlé à la joie que m'aurait autrefois, apporté cette neige qui déposait, insouciante, son doux manteau blanc sur cette terre morte.

Les domestiques en robe noire courraient dans la cour, dans leurs bras les miroirs qu'elles laissaient tomber dans la neige. Le ciel de nuage et de glace se reflétait dans ces surfaces froides, froides comme mortes.
De ma fenêtre, elles ressemblaient à un petit nuage de corbeaux, c'est alors que je donnais l'ordre. Détruisez le fruits de la vanité... A coup de pelle, les femmes en noir brisaient chaque miroir, frénétiquement jusqu'à ce qu'elles reçoivent l'ordre de quitter les lieux. Et de ne plus y retourner jusqu'à ce que la neige ait recouvert jusqu'à la dernière parcelle de ces cadavres de verre...
La neige tombait toujours, infatigable et laide... Elle n'avait plus qu'aujourd'hui l'effet sur moi qu'une pluie de fiente... Je passais mes doigts sur mon visage, je devinais chaque crevasse que le temps aidait à rendre plus profonde. Ce jour d'hiver était une tombe. Celle du trépas de ma beauté humaine.

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