Plus près des étoiles.

Hadrien Fiere

Voyage aux frontières de l'ambition humaine.


Le 18 mars 2024


J'aimerais que vous puissiez être là.

J'aimerais trouver les phrases, les images qui sauraient rendre justice à l'incroyable panorama offert à mes yeux. Que vous soyez à mes côtés pour partager cette grandeur. Malgré mes années d'expérience, mes décennies passées à vous partager ma vision du monde, je me trouve enfin confronté à la plus grande peur du journaliste. Pour la première fois, les mots me manquent.

C'est une chance incroyable qui m'a été donnée, il y'a six mois de cela. Être l'heureux élu, être le représentant national de ma profession dans ce nouveau monde. Etre envoyé pour raconter cette expérience si distante de ce que nous avons pris pour acquis, et si proche des rêves que nous avons pu faire lorsque, enfants, nous fixions les étoiles en espérant un jour les voir d'un peu plus près. Et aujourd'hui la vision, l'ambition folle d'un homme nous permet une nouvelle fois d'effleurer cet âge d'innocence. Aujourd'hui j'ai l'honneur et la chance d'être le premier français à pouvoir raconter cette nouvelle étape de l'aventure humaine. D'être le premier à vous écrire depuis le nouveau Monde.


Le Premier Roi.


La vision d'un homme. D'un être hors du commun, qui hier matin venait devant nous pour inaugurer cette ville nouvelle. Steve Jobs a fait bien du chemin depuis la création d'Apple dans un garage de Californie. Un long voyage pavé d'idées et d'innovation, et d'une quête constante de l'excellence, dépassant les frontières des possibilités technologiques. Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à cette nouvelle merveille. J'aimerais que vous puissiez voir ce que l'univers offre à mes yeux. Le ciel à la couleur indescriptible, aux teintes de métal rougi, hostile et si attirant. Et loin de moi cette lueur, pointée par l'écran intelligent sur la vitre me séparant de l'atmosphère. La Terre. À 291 millions de kilomètres de distance, selon l'assistant domotique iHome équipant les demeures des premiers installés.

Nous aurions du nous y attendre, prévoir l'étendue de la soif de conquête de Jobs dès l'annonce en 2018 du partenariat technologique exclusif liant Appel au programme “Mars Now” monté par Elon Musk, fondateur de PayPal et Space X. Savoir que l'ambition dépassait la simple volonté de découverte scientifique, objectif annoncé lors des premiers envois de sondes privées sur la planète rouge. Et c'est dans le secret que Jobs, entouré d'une équipe d'ingénieurs et de spécialistes de l'exo-exploration, a bâti ce rêve, cette utopie uniquement accessible à son génie: être le premier homme à gouverner hors des limites de notre atmosphère. Le premier roi d'une nouvelle planète.

Nous sommes six mille, aujourd'hui. Six mille à vivre ici - chercheurs et logisticiens, cuisiniers et agriculteurs - pour former cette nouvelle microcivilisation. Chaque poste est rempli, chacun tient un rôle spécifique pour faire fonctionner cette expérience avec la fluidité à laquelle les produits issus de Cupertino nous ont habitué ces quarante dernières années. Une fluidité appliquée cette fois à l'humain, dans une cohésion communautaire utopique, presque étrange. Une unité à laquelle la vie sur Terre ne nous avait pas réellement préparée.


iHearts & Golden Tickets


Cette unité est également liée par une volonté de partage des ressources et des informations permettant à chacun de profiter d'un sentiment d'équilibre, d'égalité tout aussi innovant. Chaque maison, chaque habitant est lié à l'unité centrale - le surpuissant iCore, surnommé “iHeart” par les habitants, connecté à chacun d'entre nous et à chacune de nos smarthomes, recevant et traitant pour nous toutes les données nous concernant, stockant chaque bit de notre nouvelle vie. Une façon pour notre nouvelle civilisation d'exister au même rythme, d'être tenu au courant en temps réel des mouvements de nos amis, collaborateurs et interlocuteurs, mais aussi de contrôler la vie de nos nouveaux domiciles avec la même précision que la notre. Prêt à tout pour atteindre l'excellence, Steve Jobs gouverne - d'une main de fer mais dans la confiance absolue de sa société.

Pour autant, le fondateur d'Apple semble déterminer à continuer d'exister dans le coeur de ses clients et de ses fans restés derrière. En témoigne l'opération “Golden Ticket” menée prochainement dans vos villes : pour fêter cette nouvelle étape dans l'histoire de la compagnie, Apple ressortira ainsi, en édition limitée, l'iPhone original - adapté aux réseaux 5G/LTE-A et compatible avec l'ensemble de la gamme Connected Devices de la marque - avec une incentive nouvelle : 10 terminaux seront vendus accompagné d'un Golden Ticket, passeport qui permettra à 10 familles d'embarquer sur le prochain vol Mars Now et de nous rejoindre pour s'installer dans une nouvelle ruche, qui devrait être inaugurée à la fin du mois.

Car sous les scintillements de l'acier et de l'aluminium blanc, sous les idéaux égalitaires et les discours aspirationnels transparait une volonté plus sombre, une réalisation partagée à mi-mots par les habitants. Sous l'utopie prometteuse et controlée apparait une facette - historiquement oubliée - qui définit les ambitions de Jobs: celle d'une adhésion, complète et indiscutable, à un discours, à une philosophie de l'excellence, de l'exclusivité unifiée dans la parole du fondateur. En menant ses disciples au plus près des étoiles, en promettant un paradis industrialisé, Jobs se positionne comme étant plus qu'un Homme. Plus qu'une figure médiatique, politique, économique dominant la concurrence, Jobs est en train de devenir un empereur, un guide pour une société d'élus, choisis comme les pièces d'une expérience idéaliste et presque terrifiante. Grâce à ses moyens virtuellement illimités, Jobs est aujourd'hui en train d'appliquer à l'humanité le même idéal de perfection qui a, au long de sa carrière, guidé ses choix pratiques, technologiques et esthétiques. Nous sommes aujourd'hui la première version d'une iSociété bâtie sur un caprice. La première pierre sur laquelle sera bâtie un monde imaginé par les excès d'une seule et unique personne.


Nouvel Empire.


J'aimerais que vous soyez à mes côtés, afin que je puisse partager ces quelques mots, ces quelques phrases avec la certitude qu'ils trouvent un auditoire. Avec l'assurance que mes inquiétudes soient partagées. Nous avons donné à une âme la possibilité de gouverner nos choix, nos avis et nos besoins. Et aujourd'hui cette liberté se retourne contre nous. Contre les habitants d'un nouvel empire, et contre tous ces Hommes qui se pressent à ses portes sans savoir que le bonheur que les attends sera teinté des exigences d'un dogme construit par une figure d'abord prophétique, aujourd'hui prétendument divine.

Nous sommes allé trop loin, à tous les sens du terme.

Il faudra vingt-cinq minutes à cet article pour atteindre la Terre. D'ici là, il aura sans nul doute été déjà stocké sur les serveurs communs de notre camp, son contenu sémantique traité et disséqué. D'ici là j'aurais peut-être déjà été convoqué pour expliquer mes propos. J'espère que ce document sera tout de même publié à son arrivée à destination. Steve Jobs a tant contribué à la construction des modèles d'information modernes que nous utilisons au quotidien, et je ne peut que prier pour que cet article soit partagé et consulté sur autant d'iPad, iPhones ou iGlasses que possible. Je ne sais pas réellement quels sont les risques encourus. A vrai dire je ne sais même pas s'il existe de réels risques. Pour être franc, je me demande surtout ce qui pourrait passer par la tête de Steve Jobs s'il était amené à entendre mes critiques.

Alors c'est à vous, monsieur Jobs, que je vais m'adresser dans ce dernier paragraphe. Vous êtes devenus un modèle, une figure aspirationnelle pour notre société. Vous disposez aujourd'hui d'un pouvoir plus grand qu'aucun humain, qu'aucun gouvernement avant vous. Alors je ne peux que vous prier, monsieur Jobs, de garder avec vous votre humilité, d'ecouter les postures humanistes de messieurs Gates, Schmidt et Zuckerberg et de penser à nous, de penser à votre planète natale où il reste aujourd'hui tant à faire, tant à découvrir. Ces quarante dernières années, vous avez changé notre façon de communiquer, de consommer, de nous comporter. Vous avez affronté le cancer et regardé la mort dans les yeux pour vous relever, plus fort que jamais. Et aujourd'hui vous nous avez conduit plus près du soleil qu'aucun humain auparavant. Attention, alors, à ne pas vous brûler les ailes.

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