(suite) Les déambulations de Bartholomé Marlouf

Francis Fried

à la suite de Bartholomé et Fulgur

Dans la rue, les pas de Bartholomé sur son petit nuage étaient cependant sonores : Tchique plouf plaf, tchique plouf plaf, c'est que la pluie s'était mise à tomber de haut. Ce temps était tout à fait au goût de Fulgur qui bondissait gaîment en évitant les gouttes et les flaques.
Ils s'engagèrent sur le pont des dames fait en bois de flamboyant entièrement fleuri de pourpre, Bartholomé fit un bouquet qui allait lui servir pour la confection d'une invitation dans les formes à l'attention de ce phénomène de Philomena. Il flottait sur la rivière comme le parfum d'un petit bonheur. Alors, Bartholomé se mit à chanter dans la douce lumière humide de cette fin de journée :
« Moi mes souliers ont beaucoup voyagé, moi, mes souliers ont passé dans les prés, moi, mes souliers ont piétiné la lune, puis mes souliers ont couché chez les fées et fait danser plus d'une. » (1)

Fulgur qui devait pour le suivre accélérer les pas pattes, s'amusait de ce que son maître en souliers le prenne pour un chat botté. Ils s'engagèrent dans la rue pavée de notre-dame des philosophes, ils croisèrent une procession de professeurs en toques à la recherche d'un esprit supérieur, ils tournaient en rond depuis quelques jours dans le quartier, ce soir on ne distinguait plus qui tournait après l'autre.

Rue des harmoniques Bartholomé et Fulgur dépassèrent la maison du facteur de piano comme il était écrit en grosses lettres sur la devanture, on pouvait le voir oblitérer en musique des Yamaha, Steinway, et même un Pleyel à queue en forme de clé de sol. Ils s'arrêtèrent une minute devant le joueur d'orgue de barbarie, c'était un Semnopithecus à clochettes venu tout droit des Indes, il s'était spécialisé en musique langureuse. Dans la rue, des couples s'étaient formés et dansaient langoureusement en faisant des mouvements complètements impossibles avec les mains. Fulgur était intrigué par ce singe Langur musicien, il avait lui, une maîtrise en cha cha cha.

Ils traversèrent ensuite la rue des rousses-pêteuses, c'était en fait une rue remplie de restaurants qui proposaient tous des menus gratuits d'haricots en grains et autres fèves pour les rousses. Elles étaient reconnues pour cette particularité, la ville prenait en charge les prix des repas et ces dames repartaient avec une petite bouteille de gaz à remplir. Le méthane servait par la suite à alimenter les loupiotes.

Tchique plouf plaf, tchique plouf plaf, ils arrivèrent à temps place de la grimpette pour le funiculaire de dix-huit heures vingt-trois minutes, Fulgur se percha sur le bord d'une fenêtre et son maître s'installa à l'étage décoré en canopée de bambous. De temps en temps, Bartholomé passait la tête à travers le feuillage et malgré le spectacle intermittent de la pluie, il pouvait voir passer les loupiotes volantes, elles parcouraient la ville comme des feux follets et pétaradaient. Elles avaient remplacées depuis quelques années les lampadaires.

(1) La chanson « Moi mes souliers » de Félix Leclerc

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