Supernova

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Il s'était crevé les yeux et les tympans. On le qualifia de fou et on l'enferma dans un centre psychiatrique. Comme cela ne lui suffisait pas, il parvint à récupérer une lame de rasoir, il se priva de la langue, il mit à nu ses phalanges et il guillotina son nez. En entamant son voyage introspectif, il s'accoutuma à ses râles, à ses palpitations et à ses borborygmes, uniques perturbateurs à sa réflexion, à moins qu'il n'ait choisi une solution radicale et irréversible. Ils seraient les mantras organiques de sa quête.

Durant trois à quatre semaines, il reconquit son corps et il s'habitua aux douleurs engendrées par ses soustractions physiques. Le rythme cardiaque se ralentit, il se familiarisa aux acouphènes et les phosphènes s'adoucirent. Jour après jour, sa connaissance du cosmos gagna en profondeur spirituelle. Le capharnaüm de mots qui auparavant encombrait son esprit prit un nouveau sens. Il n'avait pas prêté une attention particulière à leur étymologie. Désormais, il méditait chaque syllabe et il les mastiquait jusqu'à en atteindre l'essence. De cette bouillie en ressortirent les diphtongues primales.

C'est le serpent qui d'abord le visita. Perdu en son for intérieur, il ne sut dire s'il était réel ou s'il était le jouet des perfusions, ultimes liaisons avec l'extérieur mais qui, bourrées de substances morphiniques, orientaient ses pensées vers des paradis artificieux. Ils fréquentèrent les Aborigènes du Temps du rêve, explorèrent la forteresse cathare de Montségur, le caravansérail de Sa'd al-Saltaneh et la station antarctique Dumont d'Urville.

Un vieux sage Tahtan succéda à l'amphisbène. Il le guida sur les voies que l'Homme, dans son imprudence, n'avait pas empruntées. Au temps des ancêtres des ancêtres, il savait entendre l'arbre quand celui-ci, empereur en son écrin impénétrable de la forêt vierge, chantait la gloire de la férocité innocente. Il s'inclinait face à la nature, ne serait-ce qu'une brindille, conscient de n'être qu'un grain de sable parmi d'autres qui ne pouvait se prévaloir de s'arroger la préséance de son intelligence. Puis l'envie, la jalousie et la fatuité s'imposèrent. Il se vautra les pieds dans les tourbières en cachant sous le tapis ses ambitions qui pourrirent tout ce qu'il touchait.

En entrant dans un hôpital dédié aux aliénés, on est toujours surpris du calme qui y règne et des parterres de fleurs tirés au cordeau, d'une propreté maniaque. L'inquiétude croît en approchant des bâtiments. La cheminée, accolée à la buanderie en briques rouges, crache une fumée âcre donnant à ce lieu un air concentrationnaire.

Depuis un trimestre, l'établissement ne désemplissait pas. Au bas d'un chêne, il était assis, imperturbable. Ce sont deux infirmiers qui les premiers l'avaient oublié. Lorsqu'ils le récupérèrent, il était entouré d'une ribambelle d'oiseaux qui piaillaient. Le parallèle fut vite trouvé et rapidement on parla de saint François d'Asile. On s'interrogea sur la provenance du renard, du lynx et du faucon pèlerin qui devinrent des apôtres dévoués.

C'est la nuit que les phénomènes étaient les plus impressionnants. On jurait avoir discerné des paroles étranges, tant par leur caractère inconnu que par la facilité avec laquelle tout le monde les comprenait. On sentait des frôlements. Seule une brise printanière encore chargée de relents hivernaux venait faire frémir les échines. À l'aube, les fidèles, le front d'une blancheur spectrale d'avoir veillé, étaient remplacés par une cohorte curieuse d'être convertie aux vertus du silence.

Aujourd'hui, il semble que la sapience l'emporte. L'action Facebook a dévissé de 55 % lors des dernières séances de Wall Street. Ce sont près de 500 millions d'abonnés qui ont sabordé leur compte. Les cafetiers s'en réjouissent pourtant, l'ambiance n'est pas à la fête. On s'assied aux terrasses d'où l'on scrute le ciel dans un mutisme tapageur.

À la suite de l'apparition de l'étoile bleue, il n'est pas besoin d'être devin pour saisir que la fin est proche. Ce n'est pas la frayeur qui rend aphone. On se tait dans l'attente d'un signe.

Le concernant, il n'y a pas eu de transition. C'est à peine s'il perçut les radiations qui balayèrent la planète dans un halo dont personne ne put en admirer la sidérante beauté.

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