Sur la paille
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Comme j'en avais marre de l'extension du domaine de la lutte des prix, je décidai de prendre la poudre d'escampette. On pourrait penser que je suis un vendu. Détrompez-vous ! C'est justement parce que je ne suis pas un krach, que de mauvais placements m'ont mis en difficulté financière et que Lagardère n'est pas venu à moi pour me venir en aide que je préférai prendre le large.
Ma destination était toute trouvée. Je quittai ma patrie qui n'était plus depuis des décennies un pays de cocagne. Arrête ton char, Leclerc, me dis-je. Je pris la route vers la ville réputée pour être le paradis du hard-discount. A nous deux Bakou ! Je me sentais l'âme d'un mousquetaire.
Arrivé dans la capitale de l'Azerbaïdjan, je spéculai quant à la raison qui me poussa sur les rives de la mer Caspienne. Si on pouvait a priori tout s'acheter pour des radis, je ne trouvai dans les magasins au merchandising soviétique que des patates, des choux et des prunes qui, très vite, évitèrent que je me la coule douce en dehors des toilettes à l'hygiène douteuse et qui me firent craindre que je n'attrape la dysenterie.
Bref, j'étais sans arrêt dans le besoin. Mais, je fis contre mauvaise fortune bon cœur. Je rencontrai Anastasia, une Russe expatriée en manque de fruits défendus et qui criait famine pour que je la fournisse en liquidités. Elle n'avait pas tiré le bon numéro. Bien que je ne manquasse pas de ressources, je me retrouvai à sec.
C'était une bonne fille. Pour sauver notre couple de la banqueroute, elle s'engagea dans un casino fréquenté par les potentats locaux. On tenta bien de monnayer ses talents mais elle tailla des croupières alors que l'on était prêt à lui offrir des bijoux de famille issus de l'argent sale. Fort heureusement, ma dulcinée se refusa à être leur jouet et à se transformer en pompe à fric.
Comme vous avez pu le comprendre, je suis d'un naturel emprunté. Je vous fiche mon billet que les accusations d'extorsion qui nous valurent notre extradition ne valent pas un kopeck. C'est ainsi que nous finîmes par atterrir en Côte-d'Or. Mon trésor adoré me fut encore d'un grand secours. En s'inspirant d'une recette traditionnelle de sa terre natale, elle créa son entreprise de produits spécialisés en blanchiment de dents à base d'oseille. Quand elle se présentait auprès des acheteurs des centrales de référencement, elle ne payait pas de mine. Elle en ressortait pourtant toujours gagnante, soutirant même des sourires à ces marchands du temple de la consommation pourtant avares à montrer leurs sentiments.
Ce n'était pas encore le Pérou mais, par le passé, j'en avais tellement encaissé que le petit pécule amassé grâce aux ventes de la camelote de ma pépète suffisait à notre bonheur. Nous ne nous contentions plus de bouillie d'avoine. Heureux de sortir de la gêne, nous passions notre temps libre à profiter du blé de notre voisin céréalier. Nous nous dépensions à la tâche dans ses champs pour profiter du paradis fistcal. Anastasia s'offrait sans s'épargner et sans bourse délier, fière de me présenter ses écus qu'elle portait fièrement en pendentifs. Je pouvais toucher au grisbi et encaisser son pactole sans qu'elle n'en fît un foin. Certes, nous n'étions pas les rois du pèze, mais nous n'étions plus fauchés.
Je vous ferai l'économie de vous conter la somme de notre bonheur avec mon bijou. Je me contenterai de vous écrire que rien ne remplacera jamais l'amour précieux de sa compagne. La vie est une loterie et il faut savoir en profiter quand vous avez décroché le pompon.
Toute belle histoire possède son revers de la médaille. Un jour, un cheik sans provisions se présenta au seuil de notre porte. Pris de compassion, nous lui offrîmes le gîte et le couvert. Il s'agissait en réalité d'un roublard, nom qui est donné en langue slave pour désigner les combinards. Ayant acquis notre confiance, il nous eut à l'usure, nous laissant sur la paille. La rançon de notre générosité est que nous sommes faits virer par des créanciers sans scrupule et que nous n'avons même plus une brique. Nous en sommes réduits au système D pour acheter des pâtes chez Système U.
Je te trouve très malicieux et fort inspiré ;)
· Il y a presque 2 ans ·marielesmots