Sur les Mers de Paris II

L'échange de regards était intense, on pouvait y lire toute l'incompréhension qui se dégageait à la fois du capitaine et de son second. Les deux autres matelots étaient déjà remontés sur le pont, avec les autres, pour admirer la découverte annoncée.

Ce fut le capitaine qui parla le premier:
- Comment as-tu osé?
- Vous... vous mentiez, je l'ai vu, vous mentiez à propos de la carte.

Le capitaine se remit à jouer avec sa moustache comme il l'avait fait lorsqu'il avait parlé de la carte et de sa main libre, il sortit une de ces vieilles feuilles de papier blanc et rectangulaire que l'on utilisait autrefois. Il la mania avec beaucoup de précautions pour que les bords ne se détériorent pas davantage.

Le second avait les yeux encore plus écarquillés que lorsque l'Astéroïde était entré en collision avec la tour de fer. Le capitaine lui sourit:
- Il fallait que je sache si je pouvais te faire confiance, savoir si tu étais capable de garder un secret.
- Mais ça fait trois ans que je suis votre second, vous auriez pu me faire confiance sans cet.. ce stratagème.
- Trois ans ne sont qu'éphémères lorsqu'on navigue depuis des décennies sur ces eaux.

Le capitaine avait repris son assurance, il sortit de la geôle restée ouverte, y poussa le traître et referma la porte. Il s'assit face à la grille et posa la carte à même le plancher, l'ancien second, fasciné, se rapprocha pour pouvoir mieux voir.

Le papier avait jauni avec les siècles et l'encre était à peine visible, mais on pouvait quand même reconnaître la fameuse Tour de Fer grossièrement représentée au centre de ce qui semblait être un vieux plan de Paris, d'autres monuments étaient présents, mais, le temps faisant, plus personne ne savait ce qu'ils représentaient.

Tout en bas, une phrase était écrite, elle était toujours bien visible et contrastait avec le reste de la carte. Le capitaine, en voyant que son prisonnier était intrigué, lui confia que ces lignes avaient été écrites il y a une dizaine d'années à l'encre de seiche et que cette encre ne s'effacerait jamais. Il lut la phrase à haute voix:

"C'est en haut de la Tour de Fer que l'on trouve la lumière que seule l'Étoile de jour va révéler."

Le capitaine se leva et rangea la carte dans sa sacoche, baissa les yeux sur son ancien second resté assis et lui dit:
- Je te laisse ruminer cette phrase dans ta prison et tant que tu y es, réfléchis un peu à ta trahison. Prends ton temps, de toute façon ce navire sera ton linceul!

Fier de lui, il tourna les talons et remonta rejoindre le reste de l'équipage sur le pont. Dans l'euphorie de la découverte, tout le monde semblait avoir oublié la mutinerie quinze minutes plus tôt.

Sa présence sur le pont suffit à calmer tous les matelots, seul restait celui qui avait été à la vigie, il était maintenant parcouru de spasmes et repartait dans ses divagations en criant toutes les deux minutes: "Terre en vue!!"
-Matelots! Je suis très déçu, mais je vous comprends, vous pensiez que je vous avais menti.

Il sort alors la carte.
- Voici la carte dont vous avez tant entendu parler. Si je vous l'ai cachée, c'était pour savoir si vous aviez confiance en votre chef. Malgré cette mutinerie, je sais que je peux vous faire confiance, car vous avez été trompé, non pas par moi, mais par celui qui se disait le plus loyal de mes matelots. Sachez qu'il ne sortira plus jamais de nos cales!
Dorénavant, je peux vous le promettre, nous sommes sur le point de découvrir le plus titanesque des trésors.

Une acclamation retentit sur tout le pont suivi d'un : "Terre en vue!!" auquel plus personne ne faisait attention.

Le capitaine s'approcha de la tour qu'un des marins avait pensé à relier au bateau avec une corde. Il tendit la main pour la toucher du bout des doigts, le métal était bouillant, exposé au soleil toute la journée... le soleil? mais oui! la seule étoile visible le jour! Il courrut chercher une paire de gants en cuir dans sa cabine et entreprit l'ascension de la Tour de Fer.

Une fois en haut, après à environ deux cents mètres au-dessus du niveau de la mer, il prit quelques secondes pour reprendre son souffle. Le soleil n'était plus très haut dans le ciel, mais toujours très lumineux. Le capitaine regarda à l'horizon dans toutes les directions jusqu'à ce qu'un reflet lui tape dans l'oeil et il comprit. Toutes ces légendes sur le trésor du Louvre et il y en avait au moins une de vraie, la pyramide de verre qui garde l'entrée. C'était sa pointe qui sortait encore de l'eau qui reflétait la lumière du soleil.

Du haut de la Tour de Fer, il cria à son équipage
"Nous avons un cap!!!"

Alors qu'il commençait à redescendre, une bourrasque risqua de le faire tomber. Il se rattrapa de justesse et prit quelques secondes pour se remettre. Dans son champ de vision, entre les trous de la Tour, de gros nuages gris approchaient, il lui fallait se dépêcher s'il ne voulait pas que son navire sombre dans cet ouragan qui se préparait, surtout pas maintenant qu'il était sur le point de trouver le plus gros trésor du monde.