T'aimer sans te parler

Lev Hamels

D'un côté d'une fenêtre, il y a une rue. Il y a une boulangerie, et un homme qui en sort avec une baguette sous le bras. Des effluves de pots d'échappement et de pain frais. De l'autre côté de la fenêtre, une maison. L'odeur entêtante du tabac et du café. Un désordre artistique, et dans ce désordre, une fille. Blonde, frêle, avec de grands yeux gris qui lui donnent des airs de poupée. Elle porte une robe rockabilly et fume en fixant l'homme. Elle s'appelle Amélia Lauramme, il s'appelle Théodore Le Brai. Elle est folle amoureuse de lui, il ne la connaît pas. Elle l'observe depuis 5 ans. Traductrice littéraire français-norvégien, Amélia a 22 ans. Lui, il en a 23 et suit des études de médecine. Il veut devenir psychiatre. Amélia resserre son bandana noir, avale son café froid d'un trait, prend son sac et sort. Elle suit Théodore sur ce chemin de sa routine qu'elle connaît maintenant par cœur : celui de l'université. Elle vérifie que sa fausse carte d'étudiante est dans son sac, puis pénètre l'enceinte de l'établissement. C'est le vendredi matin. Théodore va, comme tous les matins, casser la baguette en deux. Il en mettra une moitié dans son sac, puis cassera à nouveau en deux l'autre. L'un des quarts ira dans son sac, dont il sortira une tablette de chocolat. Il en cassera une barre, la mettra dans son pain, rangera le chocolat puis mangera ce casse croûte. A midi, il mangera une moitié de la baguette avec du thon, et mangera le dernier quart avec de la confiture d'orange amère en rentrant chez lui après les cours. Amélia sourit. Elle se souvient de sa rencontre avec Théodore. Elle était en Terminale, et lui, en 1ère année de licence. Elle accompagnait Evaleen, sa meilleure amie, aux portes ouvertes de l'université. Théodore était là, souriant, présentant son cursus et les options disponibles. Elle avait eu un coup de foudre. Quand elle avait hérité de sa grand mère, juste avant d'entrer à l'université, elle avait acheté cette maison tout près du studio de Théodore.

L'heure était venue pour lui d'aller en cours. Amélia continua sa traduction pour passer le temps. A 11h, elle acheta un sandwich au saumon dans une boulangerie proche. Elle le mangera en fixant Théodore, qui n'a pas conscience de son regard. Il retourne en cours. Elle traduit un poème. La journée se finit. Amélia frétille. Les vendredis soirs, Théododre sort en boîte avec ses amis. Elle lui parle souvent quand il est ivre. Elle rentre chez elle, vérifie vite fait ses demandes de traductions. Un roman sur un homme qui harcèle la fille dont il est amoureux. Elle sourit. Elle monte dans sa chambre pour se Changer. Son choix se porte sur une paire de bas noirs, une robe verte sans bretelles et des bottines de la même couleur. Elle se maquille, se coiffe, se sourit. Elle est prête.

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