Tambour battant
Joan Ott
TAMBOUR BATTANT
Auteur : Joan OTT
Courriel : joanott@compagnie-ladoree.fr
Tél : 06 24 97 10 48
Genre : comédie dramatique
Durée : 1 heure
Public : adultes et adolescents
I
Les personnages
Jacques : 30 - 40 ans.
Clotilde – Jeanne : 30 – 40 ans.
Clotilde : De préférence, la même que Clotilde – Jeanne.
Le décor
Il pourra évoquer un no man’s land improbable : caisses et cagettes (éventuellement recouvertes de tissu noir), tapis de danse noir, pendrillons noirs, une entrée placée où l’on voudra : fond, jardin, cour, au choix du metteur en scène ou selon les possibilités offertes par le lieu.
Si l’on préfère en revanche un intérieur « petit bourgeois», il serait bon qu’il y ressemble à s’y méprendre.
Les accessoires
Un vieux canapé et un guéridon (ou des caisses en bois et des cagettes), un tambour, une mappemonde, une bière, un paquet de chips, un pistolet.
L’époque
Contemporaine.
Les costumes
Au choix du metteur en scène, ils pourront être : soit décalés, soit exagérément neutres.
Il serait sans doute bon que les costumes de Clotilde – Jeanne et de Clotilde soient identiques, à quelques détails près.
La mise en scène et la direction d’acteurs
Selon la volonté et la pratique du metteur en scène.
Cependant, l’auteur - issu du théâtre gestuel - préconise des gestes et des postures extrêmement précis : il s’agit en effet de créer l’effet de distance qui donnera au texte son relief.
La musique
Battements et roulements de tambour par intermittence, maladroits, faibles, étouffés. Presque inaudibles le plus souvent, ils gagnent parfois en volume. Libre au metteur en scène de les placer là où il les jugera utiles.
La lumière
Scène 1 : trop crue ou blafarde… de quoi installer si possible une atmosphère étrange, glacée.
Scène 2 : plus « réaliste ».
Scène 1
Jacques / Clotilde-Jeanne
Jacques est vautré dans un vieux canapé, une bière à la main, un paquet de chips éventré sur ce qui sert de table basse. Il regarde un match de foot (ou bien il est plongé dans la lecture de l’Equipe).
Bruit de clé dans la serrure, porte qui s’ouvre et se referme.
Clotilde - Jeanne depuis la coulisse.
Ouf ! Ce que ça peut être encombrant, ces machins-là !
Jacques
Tu es encore allée chiner !
Clotilde - Jeanne
Et alors ?
Elle entre, un tambour en bandoulière, une mappemonde serrée dans ses bras comme un enfant qu’on berce. D’un coup d’œil, elle jauge la scène : l’homme vautré, la bière, et les miettes de chips au sol.
Elle a d’abord une moue dégoûtée qui se transforme peu à peu en un large sourire un peu forcé.
Après un long moment d’immobilité, Jacques, qui la lorgne du coin de l’œil depuis son arrivée, éteint la télé (ou replie son journal) d’un geste exagérément maîtrisé. Il daigne enfin la regarder en face, pour lui assener sur un ton parfaitement calme, voire satisfait :
Jacques
Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire !
Clotilde – Jeanne pose le tambour et la mappemonde sur la table du salon et les contemple, ravie.
C’est joli, tu ne trouves pas ?
Jacques
Parce que tu trouves ça joli, toi !
Clotilde - Jeanne
Ben oui…
Jacques
Surtout qu’on en a déjà plein la cave et le garage. A croire qu’il n’y a que ça dans les brocantes. Tous les dimanches, c’est pareil. Tu pars en disant : « Promis juré, cette fois, je ne rapporte rien ». Résultat : plus moyen de caser une seule bouteille de pinard et l’auto dort dans la rue.
Clotilde - Jeanne
Il n’y a jamais eu que de la bière, dans cette baraque. Et l’auto, elle a plus de vingt ans, alors…
Jacques
Le vin, c’est pour quand on a des invités. Ca fait bien, d’ouvrir une bonne bouteille, figure-toi. En tout cas, c’est ce qui se fait quand on a un minimum de savoir-vivre et d’éducation.
Clotilde - Jeanne
Oui, bon… mais des invités, on n’en a jamais.
Jacques
A qui la faute ?
Clotilde
Ils salissent tout, pire que toi. Il faut tout nettoyer à fond à chaque fois. Je ne supporte pas. Quant à l’auto…
Jacques
L’auto, c’est justement parce qu’elle n’est plus toute neuve qu’elle aurait besoin d’être un peu dorlotée. Mais toi, toi…
Clotilde - Jeanne
Quoi : moi ?
Jacques
Qu’est-ce qu’on va en faire, hein ? Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir en faire, de tout ce bric à brac ?
Clotilde - Jeanne
Ben rien… Je t’ai dit : c’est joli. Ca te va comme ça ?
Jacques
Non, ça ne me va pas. D’ailleurs… il n’y a pas que tes tambours et tes mappemondes.
Clotilde - Jeanne
Ah bon ?
Jacques
Figure-toi que j’en arrive à me demander aussi…
Clotilde - Jeanne
Quoi donc ?
Jacques
Toi… j’en arrive à me demander ce que je vais bien pouvoir faire de toi.
Clotilde - Jeanne
De moi ?
Jacques
Tu as très bien entendu !
Clotilde - Jeanne
Ben… Je ne sais pas, moi...
Jacques
Ca m’aurait étonné !
Clotilde - Jeanne
Mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ! Je suis comme eux : jolie. C’est ce que tu répètes à longueur de temps. Et ce qui est joli n’a pas besoin de servir à quelque chose. C’est juste là. Ca fait plaisir à regarder…
Jacques
Plaisir à regarder !
Clotilde - Jeanne
Et puis, c’est rond, c’est doux… agréable au toucher…
Jacques
Dans la cave ou au garage, alors.
Clotilde - Jeanne
Pardon ?
Jacques
Et pourquoi pas ? Tu serais avec tous tes trucs que tu trouves si jolis, tu pourrais les regarder à loisir, et moi, quand j’en aurais envie, je viendrais te regarder, toi.
Clotilde – Jeanne
Je ne suis pas une… une chose !
Jacques
Pourtant, à t’entendre…
Clotilde – Jeanne vient se planter sous son nez, péremptoire et butée.
Je suis ta femme. Et tu me trouves jolie.
Jacques même jeu, nez à nez
Et tu ne sers à rien. Tu encombres. Alors : ouste ! Au garage ! A la cave ! Du vent ! Du balai ! Et que ça saute ! Tambour battant !
Clotilde - Jeanne
Tu ne m’as jamais parlé comme ça…
Jacques
J’aurais dû !
Clotilde - Jeanne
Tu es sérieux, là ?
Jacques
A ton avis…
Clotilde - Jeanne
Tu penses vraiment ce que tu dis ?
Jacques
Faut croire…
Clotilde - Jeanne
Bon… si c’est comme ça, je déménage.
Jacques
Où donc ?
Clotilde - Jeanne
A la cave, comme tu m’as dit.
Jacques
Chiche ?
Clotilde - Jeanne
Chiche !
Jacques
Tu ne peux pas me faire ça !
Clotilde - Jeanne
Ah non ? C’est ce qu’on va voir !
Jacques
Clotilde !
Clotilde - Jeanne
Quoi : Clotilde ! Fallait pas me provoquer.
Jacques
De toute façon, il n’y a plus de place, à la cave. Et au garage non plus.
Clotilde - Jeanne
Ne t’en fais pas. Il y en aura toujours assez pour moi.
Jacques
Clotilde !
Clotilde - Jeanne
Rien du tout !
Jacques
Je plaisantais, voyons !
Clotilde - Jeanne
Pas moi. Je fais ma valise et tu me la descends.
Jacques
Clotilde !
Clotilde - Jeanne
Encore ? Tu ne sais donc dire que ça ?
Jacques
Chérie…
Clotilde - Jeanne
Tiens, une variante ! Tu descendras aussi le lit de camp et le duvet.
Jacques
Mon amour…
Clotilde - Jeanne
Ah ça, ça faisait longtemps !... Trois repas par jour, s’il te plaît.
Jacques
Avec des légumes frais et des fruits, oui, oui, je sais…
Clotilde - Jeanne
Et la lessive une fois par semaine. La mienne aussi, bien évidemment.
Jacques
Mais…
Clotilde - Jeanne
La poussière chaque matin, l’aspirateur tous les deux jours. Et les vitres. N’oublie surtout pas les vitres, tu sais que j’y tiens : au moins une fois par mois, les vitres. Et plus, s’il pleut.
Jacques
Le ménage ? Moi ? Jamais !
Clotilde - Jeanne
Oh que si ! Au besoin, tu prendras quelqu’un. Je m’en fiche, pourvu que tout soit propre et bien rangé.
Jacques
Tu sais ce que ça coûte, une femme de ménage ?
Clotilde - Jeanne
Pas un centime, quand on a bobonne qui s’occupe de tout. Mais là… Enfin, tu t’organiseras, hein !
Jacques
Et Lucien ?
Clotilde - Jeanne
C’est toi qui le voulais !
Jacques
Tout de même…
Clotilde - Jeanne
Je lui laisse un tambour et une mappemonde dans sa chambre. Avec ça, c’est bien le diable s’il n’arrive pas à quelque chose dans la vie.
Jacques
Un enfant a besoin de l’affection de sa mère pour se construire.
Clotilde - Jeanne
Il aura celle de son père, ce sera bien suffisant.
Jacques
Tu es complètement folle, Clotilde !
Clotilde - Jeanne
Vous serez comme des coqs en pâte, mon chéri. Imagine un peu : les matches de foot à la télé, la bière et les chips, et plus d’emmerdeuse pour râler à cause des miettes sur le tapis du salon.
Jacques
Le foot et les chips, je veux bien, mais la bière…
Clotilde – Jeanne
Quoi, la bière ?
Jacques
Il a neuf ans.
Clotilde – Jeanne
Et alors ? Devenir un homme, ce n’est pas une mince affaire : ça aussi, tu le répètes à longueur de temps. Il n’est jamais trop tôt pour s’atteler à la tâche.
Jacques
Clotilde…
Clotilde - Jeanne
En matière de virilité, tu t’y connais. Alors je te fais confiance : je compte sur toi pour mettre ton fils sur la bonne voie.
Jacques
Notre fils.
Clotilde - Jeanne
Il te ressemble bien plus qu’à moi.
Jacques
Qu’est-ce que j’y peux…
Clotilde - Jeanne
Je suis sûre qu’en père célibataire, tu seras parfait.
Jacques
On fait la paix. N’est-ce pas ? Viens, viens là mon amour, on fait la paix…
Clotilde – Jeanne brandissant la mappemonde, prête à la lui casser sur la tête s’il ose approcher.
Bas les pattes !
Jacques
Une bise, juste une ! Et on fait la paix…
Clotilde - Jeanne
Ne me touche pas !
Jacques
Mais qu’est-ce que tu as, à la fin, tu vas me dire ?
Clotilde - Jeanne
Ce que j’ai ? Ce que j’ai ? Tu oses me demander ça à moi ?
Jacques lui reprend la mappemonde et va la poser hors de portée de l’enragée. On ne sait pas s’il s’adresse à la femme ou à l’objet.
Mon amour…
Clotilde - Jeanne
Tu m’envoies vivre à la cave, et tu me demandes ce que j’ai ?
Jacques
C’était pour plaisanter, voyons ! Tu me connais, pourtant…
Clotilde - Jeanne
Justement. Trop bien. J’en ai ma claque, figure-toi.
Jacques
Tu n’es pas heureuse avec moi ?
Clotilde - Jeanne
Tu as de ces mots !
Jacques
Tu n’es pas heureuse…
Clotilde - Jeanne
Comme si ça voulait dire quelque chose ! Mais je m’en fous, d’être heureuse, figure-toi ! Je voudrais juste avoir la paix !
Jacques
Et c’est à la cave que tu comptes la trouver.
Clotilde - Jeanne
Pourquoi pas.
Jacques
C’est humide. Il y a des rats.
Clotilde - Jeanne
Ce n’est pas humide du tout. Et j’ai toujours aimé les rats.
Jacques
Tu t’ennuieras.
Clotilde - Jeanne
Pense-tu ! En tout cas, pas plus qu’ici.
Jacques
Tu t’ennuies donc tant que ça ?
Clotilde - Jeanne
Mais qu’est-ce que tu crois ? J’avais un métier, moi ! Un métier que j’aimais ! Une carrière, si ça se trouve !
Jacques
Caissière à Carré d’As, voilà ce que tu étais ! Et bien contente quand je t’ai sortie de là !
Clotilde - Jeanne
Ce n’est pas vrai ! Ca me plaisait ! Je voyais des gens. Parfois, ils me souriaient. Et quelquefois, même, ils me parlaient.
Jacques
Tu parles d’une satisfaction ! Ah le beau bonheur !
Clotilde - Jeanne
C’était le mien.
Jacques
Ma pauvre puce…
Clotilde - Jeanne
Je n’étais pas à plaindre et je ne me plaignais pas. Bien au contraire. C’était vivant, au moins, ça bougeait !
Jacques
Coincée derrière ta caisse sept heures de rang, cinq jours par semaine, tu appelles ça bouger !
Clotilde - Jeanne
Parfaitement ! Mais il a fallu que tu débarques avec tes chips et ton pack de bière, oui, toi ! A ma caisse, et la bouche en cœur, et le sourire qui allait avec ! Et pareil le lendemain, et tous les autres jours ensuite, une semaine entière, il a duré, ton manège, et moi, gourde, qui ne me méfiais pas…
Jacques
Tu aurais voulu quoi ?
Clotilde - Jeanne
Rien ! Je ne voulais rien ! Je ne demandais rien, moi ! J’étais bien !
Jacques
Il suffisait de dire non.
Clotilde – Jeanne
C’est que je suis polie, moi ! Et puis, qu’est-ce que je risquais… Ah ! Si j’avais su…
Jacques
Tu aurais fait la même chose. La même chose exactement ! Parce que ça te flattait.
Clotilde - Jeanne
Un panaché au bistrot du coin, c’est flatteur !
Jacques
Et notre première nuit…
Clotilde - Jeanne
Si ç’avait pu être la dernière ! Mais non, dès le lendemain : « Je t’aime, marions-nous », et hop ! Emballé, c’est pesé !
Jacques
Tu étais bien contente ! Oui, bien contente, tu étais !
Clotilde - Jeanne
Et toi donc ! Une cuisinière et une femme de ménage à l’œil pour le restant de ta vie, tous les jours que le bon dieu fait ! Et vite, vite, un môme, histoire que je moufte plus jamais. Si c’est ça le bonheur…
Jacques
Ca aurait pu l’être…
Clotilde - Jeanne
Avec la télé, les chips et la bière. Alors que moi, je rêvais de voyager.
Jacques
Alors, les mappemondes, c’est pour ça ?
Clotilde - Jeanne
Peut-être… je ne sais pas.
Jacques
Et les tambours ? Les tambours, c’est pour quoi ?
Clotilde - Jeanne
Je ne sais pas… je ne sais pas…
Jacques
C’est bien là le problème. Tu n’as jamais rien su. On te pose une question, tu réponds invariablement : « Je ne sais pas ».
Clotilde - Jeanne
Je sais une chose, pourtant.
Jacques
Sans blague !
Clotilde - Jeanne
A t’écouter, j’ai les oreilles qui fanent.
Jacques
Mais ça ne veut rien dire !
Clotilde – Jeanne
Oh que si ! Ca veut dire que je ne veux plus de tout ça.
Jacques
De tout ça, quoi ?
Clotilde - Jeanne
Je ne veux plus de toi, Jacques. Ni de moi avec toi. Voilà.
Jacques
Eh ben ça, au moins, c’est dit !
Clotilde - Jeanne
Et je peux te le redire : je ne veux plus de nous deux. Et ton fils, tu te le gardes, je n’en veux plus non plus. De toute manière, ça ne changera pas grand-chose : je n’en ai jamais voulu.
Jacques
Tu ne partiras pas !
Clotilde - Jeanne
Je ne pars pas : je descends à la cave.
Jacques
Ni à la cave, ni au garage, ni ailleurs. Tu restes ici. Avec moi. Et avec ton fils. C’est ta place. Tu n’en as pas d’autre. Tu n’iras nulle part. Tu restes. C’est un ordre.
Clotilde - Jeanne
Un ordre ! Il ne manquait plus que ça ! Non mais tu t’entends ? Tu es pathétique ! Pire qu’à la télé !
Jacques
Clotilde !
Clotilde - Jeanne
Jacques !
Jacques
Clotiiiilde !
Clotilde - Jeanne
Jaaaaacques !… Non mais tu mesures un peu le ridicule ?
Jacques
Je t’aime !
Clotilde - Jeanne
Moi pas.
Jacques
Mais tu m’as aimé.
Clotilde - Jeanne
Même pas…
Jacques
Mais si ! C’est obligé !
Clotilde - Jeanne
Si c’est obligé… Alors oui, peut-être… je t’ai aimé.
Jacques
Tu vois bien !
Clotilde - Jeanne
Je ne vois plus rien. Je ne veux plus rien voir. Jamais.
Jacques
Si tu pars…
Clotilde - Jeanne
Si je pars ?
Jacques
Il sort un revolver de sa poche et tire. Elle s’effondre. Il se précipite sur le tambour, qu’il vient placer sous la tête de la blessée puis il prend ses mains dans les siennes.
Jacques
Tu ne me quitteras pas. Tu es à moi.
Clotilde - Jeanne
Jacques…
Jacques
Ma chérie…
Clotilde - Jeanne
Dans mon cercueil…
Jacques
Oui ?
Clotilde - Jeanne
Une mappemonde et un tambour. Promets-moi !
Jacques
Mais pourquoi, le tambour ? Pourquoi ?
Clotilde - Jeanne
Je ne sais pas, je ne sais pas… mais promets-moi.
Jacques
C’est promis. Ton tambour, ta mappemonde, tu les auras. Il prend la mappemonde et la met entre les bras de l’agonisante.
Clotilde - Jeanne
Jacques…
Jacques
Oui ?
Clotilde - Jeanne
Tu m’aimes ?
Jacques
Je t’ai toujours aimée. Je n’aimerai jamais que toi.
Clotilde - Jeanne
C’est bien…
Jacques
Clotilde !
Clotilde - Jeanne
…
Jacques
Merde, Clotilde ! Tu ne peux pas me faire ça !
Clotilde – Jeanne se relève d’un bond.
T’as eu la trouille, hein !
Jacques
Tu n’as rien ?
Clotilde - Jeanne
Un flingue chargé quand on a un gamin, non mais quelle idée ! C’est tout toi, ça !
Jacques
Alors…
Clotilde - Jeanne
Alors, je m’en vais, Jacques.
Jacques
Oui.
Clotilde - Jeanne
Et surtout, ne t’excuse pas pour tout à l’heure.
Jacques
Mais…
Clotilde - Jeanne
Tu m’aimes, c’est entendu. Mais on ne vit pas avec un assassin.
Jacques
Tu es vivante !
Clotilde - Jeanne
Ce n’est pas grâce à toi.
Jacques
Je te demande pardon. A genoux. Là, tu vois ? Je suis à genoux devant toi. Pardon, mon amour. Je t’en supplie, pardonne-moi.
Clotilde - Jeanne
Encore ! Répète !
Jacques
Je te demande pardon.
Clotilde - Jeanne
Plus fort ! Je n’entends pas !
Jacques
Pardon ! Pardon ! Pardon !
Clotilde - Jeanne
Ca ne marche pas. On n’y croit pas. Essaie encore.
Jacques
A plat ventre, alors. Regarde. Je te demande pardon à plat ventre. Qu’est-ce que tu veux de plus ? Que je lèche les semelles de tes souliers ?
Clotilde - Jeanne
Si tu te voyais… Mon pauvre Jacques ! Ridicule, voilà ce que tu es ! Même pas capable de tuer ta femme proprement.
Jacques se relève péniblement.
…
Clotilde - Jeanne
On tourne en rond, là. On s’enferre…
Jacques
Tu n’avais qu’à ne pas mettre des balles à blanc.
Clotilde - Jeanne
C’est vrai…
Jacques
Agacé, presque irrité, il fait un geste de la main pour lui signifier de poursuivre.
Clotilde – Jeanne
Hésitante : Bon… Elle retrouve le fil, et d’une voix très assurée : Je vais faire ma valise, là.
Jacques soulagé.
Tu n’as nulle part où aller.
Clotilde - Jeanne
Ne t’en fais pas pour moi. Je me débrouillerai. Tu as jusqu’à demain pour vider la cave et le garage. J’enverrai quelqu’un avec une camionnette. Je te laisse tout le reste.
Jacques
Toute la maison ?
Clotilde - Jeanne
Tout. Je te laisse tout.
Jacques
Et Lucien ?
Clotilde - Jeanne
Même ça.
Jacques
Ca !! Non mais tu t’entends ? C’est de ton fils, que tu parles ! Et tu le laisserais avec un assassin ?
Clotilde - Jeanne
Puisqu’il te ressemble…
Jacques
Tu dis des horreurs.
Clotilde - Jeanne
Oui. Et j’aime ça. Toi aussi, d’ailleurs.
Jacques
…
Clotilde – Jeanne change de ton.
Je crois que c’est bon là, non ?
Jacques
Déjà ?
Clotilde - Jeanne
Vingt minutes. C’est ce qui était convenu. D’ailleurs, on est presqu’à trente, là.
Jacques
C’est passé si vite… C’est toujours un tel plaisir, avec vous…
Clotilde – Jeanne
Drôle de plaisir…
Jacques
C’est le mien.
Clotilde – Jeanne
Et ce n’est pas à moi de juger, n’est-ce pas?
Jacques en sortant un chéquier de sa poche.
En effet… Combien je vous dois ?
Clotilde – Jeanne qui tend la main vers le chèque, impatiente.
Comme d’habitude. Mais dépêchez-vous, votre femme ne va plus tarder, maintenant.
On entend un roulement de tambour toujours aussi étouffé, mais un peu plus fort que les autres.
Jacques lui tend le chèque qu’il fait mine de reprendre, le donne enfin.
Vous avez raison. Voilà. Je vous laisse mettre l’ordre, n’est-ce pas ?
Clotilde - Jeanne
C’est quoi, ce qu’on entend ?
Jacques
Ca ? Oh rien… c’est le petit.
Clotilde - Jeanne
Il est là ?
Jacques
A la cave.
Clotilde – Jeanne qui ne sait pas trop quoi en penser.
Ah bon…
Jacques
C’est vrai qu’il me ressemble beaucoup, mais c’est le physique seulement. Pour le reste, c’est tout sa mère. Les tambours, surtout…
Clotilde – Jeanne
Mais les rats ?
Jacques
Quels rats ?
Clotilde – Jeanne
Les rats, à la cave !
Jacques
Il en fait son affaire.
Clotilde – Jeanne
Ah…
Jacques
Il les dévore tout crus. Il adore ça.
Clotilde – Jeanne de plus en plus effarée.
Il…
Jacques
Je plaisante, voyons ! Rassurez-vous, je lui ai aménagé un bel espace, une salle de jeu rien que pour lui.
Clotilde – Jeanne vaguement soulagée.
Ah bien… bien…
Jacques
Vous avez vraiment cru que ?...
Clotilde – Jeanne
L’espace d’un instant, j’avoue…
Jacques
Une forme d’humour un peu spéciale, oui, je sais. Vous vous y ferez. Même ma femme a fini par s’y habituer, c’est dire…
Clotilde – Jeanne tend l’oreille.
On n’entend pas grand-chose… pas de quoi faner une oreille, en tout cas…
Jacques très fier de lui.
C’est que j’ai tout bien isolé. Les meilleurs matériaux ! Sans compter le temps que ça m’a pris…
Clotilde - Jeanne
C’est bien fait...
Jacques
Merci. A la semaine prochaine, alors ?
Clotilde - Jeanne
Mais oui.
Jacques
Le texte, je vous le mailerai.
Clotilde - Jeanne
Comme d’habitude…
Jacques
Libre à vous de broder un peu. Je vous fais confiance, vous êtes vraiment douée pour ça.
Clotilde - Jeanne
C’est gentil. Mais pas au dernier moment, n’est-ce pas ? Cette fois, c’était un peu juste. C’est que je n’ai pas que vous.
Jacques
Dans trois jours, ça ira ?
Clotilde - Jeanne
Parfait. J’y vais, alors.
Jacques
Clotilde ?
Clotilde - Jeanne
Jeanne. Je m’appelle Jeanne.
Jacques
C’est vrai… Pardonnez-moi… c’est que vous lui ressemblez tellement.
Jeanne
Tant mieux. C’est ce qu’il faut.
Jacques
Dites, Jeanne…
Jeanne
Oui ?
Jacques
Pour de vraies balles, vous demanderiez combien ?
Jeanne
Mais vous êtes complètement fou !
Jacques
Du sang, alors ! Au moins un peu…
Jeanne
Et les taches sur le tapis, vous y pensez ? C’est votre femme qui apprécierait !
Jacques
Oh elle… tant qu’elle a ses colifichets…
Jeanne
Dans ce cas… mais ce sera un peu plus cher.
Jacques
Tous les plaisirs se paient.
Jeanne lui fait un sourire, lui passe la main dans les cheveux comme on ferait à un enfant, et va pour sortir.
Jacques
Les accessoires, Jeanne !
Elle ramasse tambour et mappemonde restés au sol et va pour sortir.
Jacques
Et vous penserez à prendre votre clé, n’est-ce pas ? La fois où vous l’avez oubliée, c’était moins bien…
Jeanne
Complètement raté, même…
Jacques
Je n’irai pas jusque là, mais…
Jeanne
Soyez tranquille : je n’oublierai pas.
Elle sort : Bruit de porte qu’on ouvre puis referme à clé.
Il retourne se vautrer dans le canapé, se frotte les mains et soupire d’aise.
Le tambour étouffé, après avoir pris du volume et un rythme de battement de cœur, se tait enfin.
Jacques reste là un instant dans le silence qu’il savoure, rayonnant.
Il va pour caresser sa braguette, quand…
Scène 2
Jacques / Clotilde
Nouveau bruit de clé dans la serrure, porte qui s’ouvre et se referme.
Jacques remet vivement de l’ordre dans sa toilette.
Depuis la coulisse, on entend la voix de la « vraie » Clotilde.
Clotilde
Ouf ! J’en peux plus… Jacques, tu es là ?
Jacques
Au salon, chérie !
Clotilde
Tu t’enfermes, maintenant ?
Jacques
Un moment de distraction, sans doute…
Clotilde
C’est tout toi, ça… Ce que ça peut être encombrant, ces machins-là !
Jacques
Ne me dis pas que tu es encore allée chiner…
Clotilde
Et alors ?
Entre Clotilde : est-ce bien la même femme que précédemment ? Peut-être. Sans doute. Certainement.
Clotilde campée, les mains aux hanches.
Le petit ?
Jacques
A sa place, comme toujours.
Clotilde
Tu as pensé à le nourrir ?
Jacques on sent bien qu’il ment, mais le mensonge laisse Clotilde indifférente.
Mais oui…
Clotilde
C’est bien. Bonne journée ?
Jacques
Mais oui…
Clotilde sur un ton distrait, pendant que son regard fait le tour du salon.
Tant mieux, tant mieux…
Elle se met à le regarder très attentivement, le détaillant de haut en bas.
Jacques mal à l’aise.
Qu’est-ce qu’il y a, chérie ?
Clotilde
Rien, rien…
Jacques
…
Clotilde vient rejoindre Jacques sur le canapé.
Sans le regarder : Tu as vraiment passé une très bonne journée, n’est-ce pas ?
Jacques de plus en plus mal à l’aise.
Mais oui, chérie… une journée… excellente…
Clotilde très convaincue.
Tu sais que je t’aime, toi ?
Jacques
Soulagé, lui prend la main : Moi aussi, chérie. Moi aussi.
Clotilde retirant sa main.
C’est bien… C’est bien…
Jacques sur un ton hésitant qui se voudrait anodin.
Tu sais… la cave…
Clotilde
Eh bien quoi : la cave ?
Jacques
Elle est un peu humide… J’ai même croisé un rat. C’était un très gros rat.
Clotilde calme et très sûre d’elle, comme pour exprimer une évidence.
Qu’est-ce que tu vas inventer là ! Il n’y a jamais eu de rats dans notre cave. A-t-on idée ! Elle est parfaitement saine. Tout comme nous. Tu vas me faire le plaisir de passer l’aspirateur.
Jacques
Oui, chérie.
Clotilde
Tout de suite !
Jacques
Oui, chérie.
Il sort.
Clotilde
Pour elle-même, sur un ton parfaitement réjoui : Ces miettes, j’adore…
Fort, très maîtresse d’elle-même, et détachant chaque syllabe : Toutes ces miettes, sur le tapis, c’est insupportable. Tu ne peux donc pas faire un peu attention ?
Jacques sa tête apparaît derrière un pendrillon.
Laisse-moi deviner : une mappemonde et un tambour, c’est ça ?
Tandis que les roulements de tambours reviennent, plus forts cette fois et peut-être en crescendo, on voit rouler sur la scène, envoyés depuis la coulisse : un très gros ballon au décor de mappemonde et un énorme tambour. Ils rient aux éclats tous les deux, tandis que peu à peu se fait le
Noir.
II
Les personnages
Lui : la soixantaine bien entamée.
Elle : même âge.
Le décor
Le plus abstrait possible : l’espace peut être nu. Prévoir une entrée-sortie, où l’on veut.
Les accessoires
Un tambour, une mappemonde.
L’époque
Contemporaine.
Les costumes
Lui : culotte courte et chaussettes faisant tulipe.
Elle : tailleur strict.
La mise en scène et la direction d’acteurs
Liberté totale, à condition toutefois de ne pas tomber dans le vaudeville. Quoique...
La musique
Lui : sur scène, bat du tambour.
A la fin, sonnerie aux morts enregistrée.
La lumière
Selon les possibilités offertes par la salle et la créativité de l’éclairagiste.
Dans la mesure du possible, une ambiance chaude, une ambiance froide : chaude au début, puis de plus en plus froide.
On peut finir dans l’obscurité presque totale.
Lui tourne au pas militaire autour d’une mappemonde placée sur un guéridon, centre scène. Il accompagne d’une voix de fausset en tapant sur un très vieux tambour d’enfant sa réplique scandée à la manière d’un slogan de manifestation.
Quand je serai grand
je serai tambour
je f’rai le tour du monde
en chantant en chantant
Quand je serai grand
je serai tambour
ferai le tour du monde
en chantant en chantant
Quand je serai grand
je serai tambour
ferai le tour du monde
en chantant en chantant
Quand je serai grand…
Elle même âge, fait irruption telle une virago, en tailleur strict, secouant un chiffon à poussière. Elle l’interrompt.
Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre !
Lui toujours battant tambour
En bateau, le tour du monde. Oui, en bateau.
Elle
Arrête un peu de faire l’enfant !
Lui
Peuh !
Elle
Et arrête ce vacarme ! C’est à n’y pas tenir.
Lui
Achète-toi des boules en cire, si ça te gêne.
Elle
Comment peux-tu… A plus de soixante ans…
Lui
J’ai l’âge de mon tambour !
Elle
C’est dire !
Lui
Tu n’a jamais eu aucune notion « du ».
Elle
Moi ? C’est moi qui n’ai pas la notion « du » ?
Lui, voix d’enfant, en accompagnant la phrase scandée à grand renfort de roulements de tambour
L’a pas la notion « du » ! L’a pas la notion « du » !
Elle
Pourtant, il passe. Et nous avec.
Lui
Pas pour moi. Je le tiens. Je m’y cramponne ferme. Il ne m’échappera pas.
Elle
C’est incroyable, cette peur de vieillir. Regarde-moi : est-ce que j’ai peur, moi ?
Lui
Tu crèves de trouille. Comme tout le monde. Mais tu la boucles. Tu caches ta peur comme une maladie honteuse, derrière tes crèmes antirides et tes onguents.
Elle
Tu dis n’importe quoi. C’est toi qui crèves de trouille, comme tu dis si élégamment. Pas moi.
Lui
Chantonnant : Parole, parole, parole ! Parlé : Non mais tu t’es vue ? Un hamster, voilà ce que tu es devenue. Un hamster, parfaitement ! Qui grignote, qui accumule dans ses bajoues. Regarde-toi : les mêmes, toutes pareilles, les mêmes, exactement.
Elle
C’est gentil, ce que tu me dis-là.
Lui
Mais oui. C’est joli, les hamsters. C’est doux.
Elle
Et ça fait tourner sa roue à longueur de...
Lui
Il chante Aznavour : Le temps, le temps, le temps et rien d’autre, le temps, le temps…
Elle
Ce n’est pas permis ! Tu n’as pas le droit !
Lui.
Si. En chantant, on peut. Ce n’est pas écrit qu’on ne peut pas, alors on peut. On peut tout dire, en chantant.
Elle
Non !
Lui
C’est toi que j’aimais.
Elle
Parce que maintenant…
Lui
Je t’aime toujours autant.
Elle
Une vieille habitude, c’est tout.
Lui
C’est bon, les habitudes. Imagine un peu, si je n’étais plus là… ou toi !
Elle
Je préfère ne pas y penser.
Lui
Tu vois bien. La trouille, la trouille, toujours la trouille. Peur de la séparation, peur de vieillir, peur de la mort…
Elle
Tais-toi !
Lui
Et peur de…, aussi.
Elle
Ecoute, à nos âges on a rangé les outils.
Lui
Toi peut-être. Pas moi : plus vert que jamais !
Elle
Vantard !
Lui
Et puis, ça n’a rien à voir.
Elle
C’est vrai.
Lui
De toute façon, tu n’en as jamais voulu.
Elle
Si. Un. J’avais dit : « Un, pas plus ».
Lui
A l’époque, ça m’était égal.
Elle
Tout t’était égal, à cette époque-là. Ca n’a pas beaucoup changé, d’ailleurs.
Lui
Va-t’en savoir…
Elle
On en a eu un. Un deuxième, qu’est-ce qu’on en ferait ? Tu peux me dire ?
Lui
On ferait comme les autres.
Elle
Les « autres », comme tu dis, en général, ils sont deux.
Lui
Nous aussi, nous sommes deux !
Elle
Deux ? Je vois ça d’ici : « S’il te plaît, s’il te plaît » ! Et bon : admettons que je cède…
Lui battant des mains
Oh oui ! Oh oui !
Elle
J’ai dit « admettons » ! Et puis après, qui est-ce qui s’en occupe ? C’est exactement comme ça que ça s’est passé, la première fois. Tu l’as voulu, et je l’ai eu.
Lui
Et bien contente. Dès le premier jour, il n’a plus été qu’à toi. C’est pour ça que j’en voudrais un autre. Il serait peut-être un peu à moi, celui-là.
Elle
Huit jours. Une semaine tout au plus. Et puis tu te lasserais. Comme tous les enfants.
Lui il chante en tapant sur son tambour, imitant Brel
Devenir vieux sans être aduuulte…
Elle
Voilà, c’est ça. Tout à fait ça : un vieux beau en culotte courte qui bat du tambour.
Lui
Avant, ça te faisait rire. Je te faisais rire.
Elle
Oui.
Lui
Tu ris de moins en moins souvent.
Elle
Et pour cause !
Lui
Tu ne me reprochais jamais rien, avant.
Elle
S’il te plaît ! On avait dit…
Lui
Pardon, mon aimée. Pardon. Il scande en s’accompagnant au tambour : Jamais plus ne le ferai, jamais plus ne le ferai, jamais plus…
Elle
Tu vois… Tu plaisantes encore. Tu plaisantes toujours. Même de ça.
Lui
Je fais des efforts, pourtant. Je te jure que j’en fais. Mais on ne va pas contre sa nature.
Elle
La tienne…
Lui
Ben oui, quoi ! La mienne, c’est d’être heureux.
Elle
Et derrière ton rire, il y a quoi ?
Lui
Le plaisir : le plaisir de rire, de m’amuser, de vivre, de jouer du tambour en faisant le pitre et même tour du monde, si ça me plaît.
Elle
Le tour du monde !
Lui
De cette fichue mappemonde, si tu préfères. A défaut de mieux.
Elle
Ne parle pas de ma mappemonde sur ce ton. Tu sais ce qu’elle représente pour moi.
Lui
Toute ton enfance ! On le saura ! Tu parles d’une enfance…
Elle
Ni pire ni meilleure qu’une autre, mais c’est la mienne. Elle m’appartient, avec mes souvenirs et tout le reste. Alors, ma mappemonde…
Lui
Oui, oui…
Elle
…
Lui
Tous les plaisirs. Tous, tu entends ?
Elle
Quel gamin !
Lui
Et le plaisir de t’aimer. Le bonheur de t’aimer, oui.
Elle
Tu m’aimes donc tant que ça…
Lui
Plus encore. Tu es la plus jolie, la plus gentille…
Elle
Malgré mes bajoues de hamster.
Lui
Pas malgré : à cause ! Je les aime, tes bajoues, je les aime ! Et tes dessous de bras qui font flop-flop, et tes genoux qui se fripent et tes cuisses qui ramollissent, et…
Elle
Suffit ! Comment peux-tu rire de ça aussi ? Ce n’est pas drôle, vraiment pas !
Lui
Je peux rire de tout, parce que je t’aime. C’est comme ça.
Elle
Mais moi, je…
Lui
Toi tu, toi tu, toi tu, turlututu chapeau pointu !
Elle
Tais-toi ! Moi, je…
Lui
Toi, tu te laisses aimer, et puis c’est tout. Et lui, tu l’oublies.
Elle
L’oublier… Alors que toi, tu es là, à me le rappeler sans cesse !
Lui
Forcément, je suis là. Où voudrais-tu que je sois ? Pas dans ma tombe, tout de même !
Elle
Quelle horreur ! A t’écouter, j’ai les oreilles qui fanent.
Lui
Achète-toi des boules, si tu ne veux plus m’entendre. Je te l’ai dit mille fois. Mais non,
tu restes là à m’écouter, parce que…
Elle
Parce que j’aime bien t’entendre malgré tout...
Lui
Ca, c’est bien les bonnes femmes : savent jamais ce qu’elles veulent.
Elle
C’est vrai. Je n’ai jamais rien su, sauf...
Lui
Un à la fois, ça ne fait pas deux. Tu me suis ? C’est logique, non ? Alors, un deuxième, ça ne ferait pas deux ! Et toc !
Elle
Toi et tes paradoxes ! De toute manière, on est trop vieux.
Lui
Trop vieux ! A soixante ans !
Elle
Soixante-trois.
Lui
Quand bien même ! La voisine en a plus de quatre-vingts et elle n’a pas hésité, elle, quand sa petite fille lui a laissé le sien parce qu’elle partait vivre au Mexique. Elle savait qu’en disant oui, elle en aurait au moins pour dix ans. Ca ne l’a pas empêchée.
Elle
Elle fait ce qu’elle veut, la voisine. Moi, j’ai dit non. Une fois pour toutes. On ne revient pas là dessus !
Lui
Bichette…
Elle
Il n’y a pas de Bichette qui tienne !
Lui
Ca me ferait tellement plaisir !
Elle
Oh là là…
Lui
Chantant en s’accompagnant de son tambour : Oh là là troulala oh là là troulala…
Parlé : Ca me ferait tellement, tellement plaisir, Bichette, ma Bichette à moi !
Elle
Si tu savais comme j’en ai ma claque, de t’entendre ressasser à longueur de temps.
Lui
C’est toi qui l’as dit, cette fois.
Elle
Une fois de temps en temps, c’est permis.
Elle
Et de deux. Trois, même.
Elle
Autant que je veux. C’est toi qui ne dois pas le dire.
Lui
Ah ! bon… tu changes les règles, maintenant ?
Elle
Et pourquoi pas ?
Lui
Alors, moi aussi, je peux ?
Elle
Non. Les règles, c’est moi.
Lui
Zut ! Tu n’es vraiment pas drôle !
Elle
Tant pis.
Lui
Et de quatre ! Mais tu as raison : on ne peut pas être drôle tous les jours que le Bon Dieu fait. Surtout toi…
Elle
Laisse le Bon Dieu là où il est ! Pour ce qu’on en a à faire… Si je disais oui, je serais morte de peur à l’idée que…
Lui
Tais-toi ! Tu sais bien que je n’ai pas fait exprès.
Elle
Il ne manquerait plus que ça, que tu l’aies fait exprès !
Lui
C’est le frein à main qui a lâché.
Elle
Tu ne l’avais pas serré assez fort.
Lui
Peut-être, oui, peut-être bien…
Elle
Et avec la pente du garage…
Lui
Tu le garderais à la maison, bien enfermé, tout près de toi, dans tes bras. Chaque fois que je sortirais ou rentrerais l’auto, tu le garderais près de toi. Comme ça, il ne risquerait rien, rien du tout…
Elle
Jusqu’au jour où…
Lui
Mais arrête d’imaginer le pire tout le temps !
Elle se bouchant les oreilles
Encore !
Lui en hurlant
Tout le « TEMPS » !
Elle
S’il te plaît… arrête !
Lui
On l’appellerait autrement !
Elle
Et ça changerait quoi…
Lui
Tu oublierais. Tu l’oublieras…
Elle
Jamais.
Lui
Mais pense un peu au plaisir ! Pense un peu au bonheur que ce serait !
Elle
Sans lui…
Lui
Il n’est plus là. Il ne sera plus jamais là.
Elle
Plus, plus, plus jamais.
Lui
On finira tous comme lui.
Elle
Mais pas comme ça ! Pas comme ça !
Lui
Qu’est-ce que j’y peux, s’il s’est jeté sous les roues ?
Elle
Le frein à main, voilà ce que tu y peux !
Lui
Tu ne me pardonneras donc jamais ?
Elle
Je ne sais pas. Un jour, peut-être… mais là, tout de suite, non. Je ne peux pas.
Lui
Parce que tu ne crois pas que je m’en veux, à moi aussi ?
Elle
Si tu t’en voulais tant que ça, tu n’en voudrais pas un autre. Pas maintenant, pas tout de suite, en tout cas.
Lui
Ca fait plus de dix ans, tout de même.
Elle
Quinze. Ca fera très exactement quinze ans après-demain…
Lui
Si tu veux… Mais dix ou quinze, c’est long. Bien trop long. Tu devrais consulter, peut-être.
Elle
Consulter ! Tu as de ces mots ! Tu me crois folle, c’est ça ?
Lui
Pas folle à enfermer, non, mais ce chagrin, ce chagrin qui ne passe pas…
Elle
…
Lui
Si on avait eu des petits à nous, on n’en serait pas là. Mais ça non plus, tu n’en voulais pas.
Elle
Tu l’as toujours su. Et tu t’en fichais.
Lui
J’avais tort. Si j’avais su…
Elle
Tu en aurais épousé une autre ?
Lui
Non, bien sûr que non : je n’ai jamais aimé que toi.
Elle
Ce sont les femmes qui font des enfants dans le dos des hommes, pas le contraire. Surtout maintenant, avec les moyens qu’on a.
Lui
Je ne t’aurais jamais fait ça, tu penses bien !
Elle
Tu m’aimais trop pour ça. Tu me respectais.
Lui
Et tu ne t’en plaignais pas.
Elle
Je ne me plaignais jamais de rien. Ca, c’est ma nature à moi.
Lui
Toi, tout ce que tu voulais, c’était être aimée. Et du plaisir.
Elle
J’étais égoïste, c’est ça ?
Lui
On était deux. Je l’étais tout autant que toi. Jusqu’au jour où…
Elle
Ca n’a rien à voir.
Lui
Rien à voir ? Du jour où il est arrivé, tu n’as plus voulu de moi. Et tu n’as plus voulu tout court...
Elle
Il avait besoin qu’on s’occupe de lui. Malade comme il était…
Lui
Des nuits entières ! Des nuits entières, tu passais près de son couffin. Alors que lui, il ronflait à poings fermés.
Elle
L’épilepsie, ça se déclenche n’importe quand.
Lui
Tu n’avais qu’à le laisser dormir avec nous.
Elle
Ca ne se fait pas. Ce n’est pas hygiénique.
Lui
Toi et ton hygiène !
Elle
Ce n’est pas moi qui étais allergique.
Lui
Je n’ai jamais été allergique. C’est toi qui as décrété ça. Il a suffi que j’éternue une fois.
Elle
Tout le temps, tu éternuais !
Lui
Cette mauvaise foi !
Elle
Oh !
Lui
Tu ne voulais pas le partager, voilà tout !
Elle
C’est bien pour ça que je n’en voulais pas. Je me connais, figure-toi.
Lui
Tu étais pareille avec moi : tout à toi, tu me voulais.
Elle
Oui.
Lui
Et moi qui n’ai jamais regardé que toi !
Elle
Jusqu’au jour où il est arrivé.
Lui
Oui.
Elle
Ce jour-là, c’est lui que tu as regardé.
Lui
Et ça, tu ne l’as pas supporté.
Elle
Arrête ! Tu sais que ça me fait mal.
Lui
Et moi ? Ca ne me fait pas mal, à moi ?
Elle
Non. Toi, tu es heureux : tu chantes, tu bats du tambour, toujours content.
Lui
Toujours heureux, toujours content, oui, c’est ce que j’étais. Avant.
Elle
Et maintenant encore.
Lui
Maintenant…
Elle
Tu n’es plus heureux ?
Lui
Si, bien sûr que si, mais… tu me manques.
Elle
Je suis là. Vingt-quatre heures sur vingt quatre, avec toi.
Lui
Vive la retraite !
Elle
Plains-toi !
Lui
Je ne me plains pas.
Elle
Et donc, je ne peux pas te manquer, puisque je suis là. Et toc ! Moi aussi, je peux être logique à mes heures, tu vois.
Lui
Mais ce n’est plus comme avant.
Elle
Arrête de parler d’avant. Il n’y a jamais eu d’avant.
Lui
Tu ne te souviens même plus…
Elle
Non. Je ne me souviens pas.
Lui
Tu ne veux pas te souvenir !
Elle
Non. Je ne veux pas.
Lui
Sauf de lui. De lui, tu te souviens parfaitement.
Elle
Comment l’oublier...
Lui
Tu m’oublies bien, moi !
Elle
Il était si doux, si doux… et son sourire…
Lui
Moi aussi, j’étais doux.
Elle
Ce n’est pas pareil.
Lui
Non, évidemment.
Elle
Lui…
Lui
Lui ?
Elle
Il ne jouait pas du tambour. Et ma mappemonde, il lui fichait la paix.
Lui
Moi aussi, avant.
Elle
Oui, mais lui…
Lui
Du jour au lendemain, il a été tout pour toi. Moi, je n’étais plus qu’un meuble.
Elle
Tout de même pas…
Lui
Très juste ! Je te rapportais mon salaire. Un très bon salaire, chaque mois.
Elle
Pour ce que j’en avais à faire…
Lui
C’est vrai. Même ça… Avant, tu sortais, tu t’achetais des robes, des colifichets, des falbalas. Mais dès qu’il a été là, fini, tout ça !
Elle
Je n’avais plus besoin de plaire. Enfin plus besoin de plaire ! Et surtout, plus besoin de te plaire à toi. Tu peux comprendre ça ?
Lui
Même à moi ?
Elle
Surtout plus à toi.
Lui
Alors lui, c’était juste pour ça ?
Elle
…
Lui
Ta première ride, je m’en souviens comme si c’était hier ! Cette crise ! Et des larmes, des larmes à n’en plus finir… C’est ce jour-là que tu as dit oui. Tu as dit : « D’accord, je veux bien ». C’était pour ça, hein ?
Elle
Arrête !
Lui
C’était pour ça, avoue !
Elle
Tu es fou !
Lui
Pas du tout ! En tout cas, pas plus que toi !
Elle
Tais-toi ! Laisse-moi !
Lui
Non ! Tu vas le dire une bonne fois pour toutes !
Elle
Non !
Lui
Allons, un petit effort ! Après, ça ira mieux.
Elle
Non !
Lui
Tu vas le dire, bon sang de bois ! Lui, c’était pour ça !
Elle
Oui ! Oui ! Oui ! Et oui mille fois : lui, c’était pour ça. Tu es content, là ?
Lui
Mais tes rides, je m’en fichais bien ! Je t’aimais, et tu le savais !
Elle
Tu m’avais aimée… jusque là.
Lui
Et j’ai continué à t’aimer et je t’aime encore et je t’aimerai toujours ! Une ride, deux rides, mille rides, un million, qu’est-ce que ça change ? Rien ! Rien du tout ! Je t’aime, toi, comme tu étais, comme tu es, comme tu seras. Tu es ma femme et puis c’est tout. Je t’aime. Voilà ! Mais comment faut-il donc que je te le dise, pour que tu me croies ?
Elle
Il n’y a rien à dire. C’est juste que c’est comme ça. Je n’y peux rien.
Lui
Tu es malade, ma pauvre vieille ! Malade ! Voilà, ce que tu es.
Elle
Oui. De vieillesse. La vieillesse : la voilà, ma maladie.
Lui
Mais nous ne sommes pas vieux !
Elle
Oh que si ! Tu viens de m’appeler « ma pauvre vieille ». Si ce n’est pas une preuve, ça…
Lui
C’était un mot d’amour.
Elle
Cause toujours ! Il y a des mots qui ne trompent pas. Je suis vieille et tu es vieux. Avec lui, je n’étais plus vieille. Il s’en fichait bien, de mes rides.
Lui
Mais moi aussi, je m’en fichais! Je m’en fiche encore, et je m’en ficherai toujours !
Elle
Moi, je ne me fiche pas des tiennes.
Lui
Je n’en ai pas tant que ça…
Elle
Que tu crois ! Tu t’imagines que je ne te regarde plus ? Détrompe-toi ! Chaque jour, je te regarde vieillir. Et c’est insupportable.
Lui
Il y a plein de vieux qui s’aiment. Pourquoi pas nous ? Même dans les maisons de retraite, ils se fiancent. Et parfois même, il y en a qui se marient.
Elle
Et ils font des petits, aussi, peut-être ? C’est pitoyable. Tu les imagines, dans un lit ?
Lui
Et pourquoi pas ?
Elle
C’est tout simplement dégoûtant.
Lui
Tu aimais ça, pourtant ! Oh oui, tu aimais ça ! Et comment !
Elle
Nos corps jeunes, nos corps beaux, oui, je les ai aimés.
Lui
Et tu ne les aimes plus.
Elle
Non. Plus maintenant.
Lui
Ce que c’est que d’avoir été « Miss Cerise » à seize ans…
Elle
Arrête avec ça ! Ca n’a rien à voir !
Lui
Oh que si ! Tu aurais été miss de rien du tout, tout aurait été beaucoup plus simple.
Elle
Tu dis n’importe quoi !
Lui
Et je vais même te dire une chose ! Une chose que je n’ai jamais dite, ni à toi, ni à personne : c’est ta deuxième dauphine, qui m’avait plu, ce jour-là. Mais elle n’a pas voulu, alors c’est toi que j’ai invitée à danser. En désespoir de cause.
Elle
Quoi ?!
Lui
Parfaitement, mon amour : en désespoir de cause.
Elle
Elle est raide, celle-là !
Lui
Pas plus que je ne l’étais ce soir-là.
Elle
Et grossier, en plus ! C’est complet !
Lui
Grossier, vulgaire, tout ce que tu voudras ! Mais ce soir-là, je t’ai tenue dans mes bras, et c’est toi que j’ai aimée. Tout de suite, je t’ai aimée. Alors que je ne te trouvais pas belle. Même pas jolie.
Elle
Goujat !
Lui
Une histoire de phéromones, sans doute…
Elle
Quelle horreur ! On n’est pas des fourmis !
Lui
On est comme tous les êtres vivants. Dans la plupart des cas, les phéromones sont volatiles. Mais pour ce qui est de moi, de toi, de nous, c’est resté là. On appelle ça l’amour, figure-toi. Alors lui, lui… quand il est arrivé, et que ses phéromones à lui ont pris le dessus, tu comprends bien que je n’ai pas supporté.
Elle
Alors, le frein à main…
Lui
Mais non !
Elle
Oh que si !
Lui
Mais non…
Elle
Arrête de mentir ! Tu ne l’as pas serré. Et tu l’as fait exprès.
Lui
Non !
Elle
Tiens donc ! Tu peux me le répéter, les yeux dans les yeux ?
Lui
…
Elle
Tu vois bien : tu l’as fait exprès. Avoue. Après, ça ira mieux.
Lui
Oui, là ! Tu es contente ? Tu as enfin ce que tu voulais ?
Elle
Tu m’aimais au point de…
Lui
Idiote ! Je ne pouvais pas me passer de toi !
Elle
Je te conseille de prendre un bon avocat.
Lui
Ah bon… et pourquoi faire ?
Elle
A ton avis ?
Lui
On ne divorce pas à nos âges !
Elle
Et pourquoi pas ?
Lui
Parce que c’est ridicule. Voilà pourquoi.
Elle
Ridicule, on l’est de toute façon. Alors mieux vaut l’être chacun de son côté.
Lui
Mais je t’aime, moi !
Elle
Moi plus. Il faut croire que ta théorie est juste et avérée.
Lui
Je n’ai jamais eu de théorie !
Elle
Mais si ! Les phéromones qui se volatilisent…
Lui
C’était une image !
Elle
Non. Tes phéromones à toi se sont volatilisées. Définitivement.
Lui
Et tu comptes faire quoi, quand le divorce sera prononcé ? Avec tes bajoues de hamster et ton cou de dindon, ça m’étonnerait que les prétendants se précipitent…
Elle
Mon cou de dindon ! Tu vois bien…
Lui
Mais je l’aime ton cou, pauvre dinde ! Trouves-en un autre qui l’aimera autant que moi !
Elle
Les candidats ne manqueront pas, crois-moi.
Lui
Heureux les innocents : le paradis des vieilles les attend !
Elle
Tu n’étais jamais blessant, avant. Si tu t’entendais, tu crèverais de honte…
Lui
Je suis blessant parce que je suis blessé. Et parce que je t’aime.
Elle
Tant pis pour toi.
Lui
Et ce sera qui, ce sera quoi, tes prétendants ?
Elle
J’en prendrai un autre.
Lui
Quoi ?!
Elle
Parfaitement.
Lui.
Un bichon alors. C’est tout petit et ça ne perd pas ses poils.
Elle
Un bichon ! Quelle idée !
Lui
Mais oui, un bichon tout propre, tout blanc ! C’est toujours heureux, toujours content, ça vous saute aux genoux - pas plus haut, parce que ça ne peut pas, mais ça sourit de toutes ses babines, et ça vous lèche le visage à longueur de temps. Beurk !
Elle
Tu peux bien faire ton dégoûté.
Lui
Tu auras l’air fin, avec un machin de trois kilos et demi tout mouillé.
Elle
Un bichon ! Ca te plairait bien, hein ? Mais ça ne risque pas, crois-moi !
Lui
Dommage ! Ca m’aurait fait bien rigoler !
Elle
Le même. Le même, exactement. Mais je l’appellerai autrement. Ce nom d’insecte…
Lui
C’est qu’il avait le poil dur ! Il piquait de partout, le bougre… On n’aurait pas pu trouver mieux, comme nom. C’est même toi qui l’as baptisé comme ça.
Elle
Quelle importance, de toute façon…
Elle prend sa mappemonde dans ses bras et sort.
Lui
Va, mon amour, va ! Bon débarras et… autant en emporte le Taon...
Il rit. Un temps.
Fort, vers la coulisse ou elle vient de disparaître : Deux jours ! Une semaine, tout au plus, et tu seras de retour !
Un temps.
Marie-Jeanne ?
Elle
…
Lui
Marie-Jeanne !
On entend la porte qui claque. Il réagit comme s’il venait de recevoir une gifle puis se reprend et fanfaronne :
Deux jours. Une semaine tout au plus… le temps d’en trouver un autre, et elle sera de retour.
Un temps.
Et bien sûr, qu’elle l’appellera pareil ! « Taon Bis », ou « Taon Pis », ou même « Taon Pisse », si ça se trouve. Parce que ce sera un garçon, évidemment. Cette manie qu’ils ont, de lever la patte à longueur de temps, tu parles d’un plaisir ! Une vraie dégoûtation, oui…
Un temps. De plus en plus déboussolé :
Moi, ce que j’en disais, hein… un autre et tout ça, c’était pour elle, pour la voir sourire encore…
Un temps. Résolu :
Parce que moi, les clebs, les toutous, les ouaf-ouaf… les mâles, surtout… j’ai toujours détesté ça.
Il reprend son tambour et accompagne la sonnerie aux morts enregistrée.
Noir