Tant de cerveaux disponibles, La Gueule de Bois de Sistelios

Jaime De Sousa

Des filles en maillot deux pièces faisant du topless; des playboys musclés aussi souples que des playmobils; des couleurs criardes, vives et agressant la rétine...la vache!!!

Non, je ne suis pas à la plage, je suis juste obnubilé par toutes les couvertures de magasines «people» étalés devant moi, près de la caisse d'une librairie de banlieue parisienne.

«1,30 euros s'il vous plait.»

La vendeuse, au charisme prolétarien, m'arrache à la contemplation de cet amas de déchets fait de papier glacé.

Tout en réglant le quotidien de gauchistes payant l'ISF et qui, pour ne rien arranger m'informera de manière totalement subjective (non, je ne nommerai pas Libération...), je demande à la commerçante si les Closers et autres Oops se vendent.

«Oui..Comme des petits pains.»

Le journal des mecs de droite se faisant passer pour des mecs de gauche en poche, je m'attarde quelques minutes dans le magasin. Je décide de faire un inventaire rapide de ce qui s'y vend.

Sur un tourniquet, différents magasines: les éditions Del Prado continuent à nous proposer des maquettes qui ne seront jamais complètement montées, les Men Health et autres Elle persévèrent dans leur volonté de transformer toute la population française en mannequin, le tout en moins de 90 pompes par jour; et enfin toute une série de magasines nous proposent 10 façons de kiter sa voiture, sa moto, son scooter ou ses abdos à moindre frais, avec en prime des filles à poils toutes les deux pages.

Je ne m'étais jamais rendu compte à quel point la presse poubelle avait pris tant de place dans l'univers de l'information papier.

En quittant la boutique, je tombe sur un magasine expliquant comment réussir le barbecue parfait. Cela me donne envie de prendre mon briquet et de réduire en cendres tout le magasin (en ayant bien entendu au préalable lu quelques conseils dans PyroMag et son formidable dossier «A l'aise avec les braises».).

Je sors de la boutique, le cerveau remplie d'inutilité, de filles en bikini et de Peugeot 206 GT série limitée 200...

Quelques heures plus tard, je me retrouve chez mon frère et sa petite amie.

Venu pour décoller le papier peint de leur nouveau domicile, je les aide en buvant une bière confortablement installé sur un pouf.

La télé est allumée, branchée sur MTV, la chaine des jeunes hystériques. Une nouvelle émission commence, Ma maison de ouf

Ce programme nous emmène à la rencontre de cinq adolescents américains vivant dans des maisons surréalistes. Terrain de basket, salle de cinéma, abri anti-ouragan (ressemblant d'ailleurs plus à un bordel qu'à un abri) se côtoient dans différentes villas ou même les salles de bain sont plus spacieuses que mon studio. Les piscines, chauffées, sont prises d'assaut par une bande de mini-biatch pré-pubères, la voiture de golf est garée en double file près du jacuzzi en ébullition, la fête bat son plein dans les différentes habitations.

Montage alléchant, musique entêtante, voix off (qui aurait dut le rester) énervante ; le tout est bien rodé. Je suis complètement lobotomisé, mon frère ne parle plus, sa copine en a arrêté le nettoyage du mur. MTV a pris le contrôle, faisant sienne la doctrine de TF1, laquelle est d'exploiter le temps de cerveau disponible de chaque téléspectateur. Nous faisons une belle bande de moutons, nous mériterions de finir sur une tourneuse de kebab.

Le coup fatal vient des parents: «On a construit cette maison pour que nos enfants n'aient pas à sortir pour s'amuser et qu'ils se sentent en sécurité quand leurs amis viennent». Belle mentalité en vérité, leur vie sociale est mal barrée.

J'ai envi de jeter la télé par la fenêtre. Mais bon, ce n'est pas la mienne et vu que mon frère et sa copine habitent un RDC sur rue, je risquerai de blesser quelqu'un. Je passe donc le reste de l'émission à pester contre le programme, radotant comme une personne du 3ème age, possédé par l'Abbé Pierre car répétant inlassablement «Mais ce n'est pas possible».

Cette journée m'a définitivement déçue, j'ai compris que nous avions perdu face à la toute puissance de la superficialité. J'essaie d'en comprendre les raisons, réalisant rapidement que nous en sommes les premiers responsables.

Depuis notre tendre enfance, on nous ressasse que la Vie, la vraie, consiste à se lever tous les matins pour aller travailler, rentrer le soir à 19h, et attendre tous les lundi le vendredi suivant. Le schéma se reproduisant ainsi jusqu'à une éventuelle retraite, récompense d'une vie bien remplie. Énoncée comme telle, cela n'a rien de séduisant. Alors, pour éviter de réfléchir à la médiocrité de cette vie, pour oublier le train-train quotidien qui s'annonce, morose et monotone, nous recherchons les divertissements qui nous permettront l'espace de 50 minutes de «penser une autre vie», de s'évader. Le tout avec un consentement à faire pâlir d'envie un dictateur, la nette impression qu'on se fout bien de notre gueule mais que finalement, cela nous fait du bien. La lobotomisation sociétale est en marche et personne ne pourra l'arrêter; Après tout, il y a tant de cerveaux disponibles.

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