Tes ailes de pigeon Californien (Once upon a time in L.A - part.2)

wic

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Chap.2


Au bout de quelques secondes, une autre question a supplanté celle de la perspicacité du degré de pigeonnerie me concernant. Une question beaucoup moins personnelle et surtout fort décalée vus le contexte et l'endroit.

En gros, cette interrogation était la suivante : le terme furibard était-il suffisant pour qualifier l'attitude du Vioque ?

Y répondre était loin d'être basique mais pourtant j'ai tout de même essayé. Car d'une part j'adore les exercices impossibles mais surtout, je n'avais rien de mieux à faire dans l'instant. Réellement.

A une petite cinquantaine de mètres de distance, engoncé au creux du siège en cuir élimé d'une Oldsmobile modèle 98 cinquième génération, ma réponse tenait en un mot : probablement. Et se trouvait même là une réponse largement suffisante parce qu'après plus de vingt berges à bourlinguer entre les couches sombres de la populace californienne, il ne m'avait encore jamais été donné l'occasion d'observer un octogénaire aussi remuant.

Des papys capables de mouvements similaires à cet âge, on en croisait certainement plein les hospices mais pour eux, la raison se résumait principalement en un patronyme : Parkinson.

Et mon Vioque à moi n'entrait nullement dans cette catégorie. Ou en tout cas, pas pour l'instant.

Un type capable comme lui, de tenir ses gars sur un territoire grand comme le delta du Mississipi, de narguer aussi bien le fisc que les cops de la DEA depuis autant d'années, et surtout apte à batifoler avec des gonzesses hors-catégorie telle celle qui baignait désormais dans son sang, bref, un type tel que lui ne connaissait encore aucun problèmes de disparition de neurones dans le locus-niger. Impossible.

Non, son seul blème apparent était immédiat et trouvait consistance dans l'immobilité d'une robe jaune entachée du sang de sa propriétaire, propriétaire que l'on venait de forcer à adopter définitivement la position horizontale.

Derrière les vitres graisseuses de la caisse de Mike, les sons extérieurs ne me parvenaient que partiellement. Mais par contre, je distinguais sans effort les mains du Vioque qui vociféraient comme un AmeSLaner et son mouloir qui fabriquait de splendides grimaces dans l'air sec de la nuit.

Je vous résume donc la situation en quelques mots qu'on pourrait presque slamer pour peu que l'on dispose d'une musique adéquate : sa poupée aperçue pétrifiée par les plombs, petit Pépé semblait avoir bien pété le sien, de plomb.

Au pied de l'immeuble, des costars bien sombres s'activaient. C'était désordonné mais personne n'aurait pu prétendre qu'ils restaient les bras croisés. Deux types essoufflés revenaient penauds d'une cavalcade désespérée derrière la voiture flingueuse pendant que les autres tournaient plus ou moins en rond, s'invectivant mutuellement sur la marche à suivre. Le lieutenant du Vioque a fini par débouler dans ce merdier et tout est rentré dans l'ordre, preuve s'il en est que pour aller quelque part, le nombre de pompes à $200 importe beaucoup moins que le doigt qui montre la direction.

L'agitation ambiante s'est alors repliée sur elle-même, aussi vite qu'elle s'était déployée au pied de la façade rouge. Le Vioque a réintégré ses appartements, poupée-canée a été déposée dans le coffre d'une Ford qui a disparu dans la seconde et juste le temps de m'apercevoir de ça que le silence régnait de nouveau en maître dans la rue. Au pied de l'entrée de l'immeuble, ne demeurait qu'une grande tâche brunie par l'éclairage publique gracieusement fournit par ce bon vieux Tom Bradley.

A cet instant précis, j'avoue que j'étais dans l'incapacité de confirmer si le chien-chien si discret du FBI avait ou non vu le spectacle qui venait de se dérouler dans la rue. Je me suis seulement fait la réflexion que se trouvant aux premières loges lui aussi, son œil de lynx avait surement tout enregistré. Et là, je me suis dit que pour un meurtre-surprise commis dans le désert d'une rue au cœur de la nuit angélique, ça faisait tout de même beaucoup de témoins...

Mais quand la grande porte de l'immeuble s'est refermée sur la clique armée du Vioque, quand mon regard est revenu sur le porche fédéral, j'ai pris conscience de la disparition de la gabardine. Et celle du feutre aussi d'ailleurs mais ça vous vous en doutiez j'imagine, car personne n'est sans savoir que chapeau et pardessus vont de pair dans le milieu fédéral, qu'il s'agit là d'une règle qui ne comporte que très peu d'exception. En passant, j'avoue qu'il m'arrive encore de me demander si la maitrise de tenue vestimentaire ne se trouvait pas être le principal critère de recrutement du Bureau, loin devant le maniement des armes et plus loin encore devant l'intelligence.

A Frisco, j'avais été ce que l'on appelle un Privé. Et pas des moindres, c'est d'ailleurs pour cela que je lui colle cette majuscule... Mais depuis mon arrivée à L.A, je n'étais plus rien. Pour être précis, je pensais, dormais et mangeais toujours comme un Privé, je respirais même encore comme un Privé mais expliquez-moi ce que représente un P.I sans licence, sans flingue et sans caisse dignes de ce nom dans une agglomération de 15 millions d'âmes dont le seul habitant qui puisse l'aider est autant accro aux tours de chaises des AA qu'à un blend bas de gamme enveloppé dans un joli kraft marron ? Hein ! Dites-le-moi ?

Mais je m'égare. Je m'énerve et m'égare, désolé. Ce que je voulais tenter d'expliquer maladroitement, c'est que si je n'étais plus un Privé, rien ne m'empêchait de raisonner et d'agir comme si c'était encore le cas. J'ai donc patienté encore de longues minutes avant de tenter de débarrasser les lieux. J'ai patienté quasi couché sur le siège passager, la couenne martyrisée par ce fichu frein à main. J'ai patienté en guignant discrètement le calme des alentours, scrutant les bruits des rats dans les poubelles, comptant les quelques voitures qui passaient dans le coin.

J'ai patienté jusqu'à 25 véhicules environ avant de redresser ma carcasse.

Dans ma main le flingue de Mark devenait glissant, comme si la buée accumulée sur les vitres était toute entière passée dans mes paumes

Je me suis redressé.

Petit défilé devant mes yeux. D'abord les clés pendues au contact, ensuite l'aiguille rouge du compteur bien calée sur son zéro et enfin, les essuie-glaces. Mon dos ankylosé couinait le long de l'échine alors j'ai posé le flingue sur le siège arrière pour étirer tout ça, mes épaules et puis mes bras.

C'est au même instant que j'ai capté le toc-toc sur la vitre.

Je me suis retourné vers le bruit, instinctivement avant de comprendre mon erreur.

Ce bruit sur ma gauche, c'était celui du canon d'un Glock 22 flambant neuf qui cognait le carreau.

Quelle poisse !

Effectivement, les fondamentaux laissaient réellement à désirer, rien à redire sur ce point au moins, se trouvait même-là l'unique conclusion impossible à nier en ce qui me concernait. Non seulement je ne fonctionnais plus mais mon raisonnement partait lui aussi à la dérive... Tout apprenti-limier que je l'avais jugé lorsque je l'avais repéré, l'Agent Spécial planqué sous le porche m'avait eu à son tour. Et dans les grandes largeurs qui plus était.

Ce n'est plus pigeon mais super-pigeon.

Trop cool de devenir la nouvelle star de l'univers Marvel... j'ai pensé.

Fidelity, Bravery & Integrity, telle est la devise du FBI. La triplette légendaire trouvée sans vraiment le vouloir par l'inspecteur WH.Drane Lester en 1935. Une superbe devise probablement fort à propos à l'époque mais qui n'était plus que juxtaposition de mots après autant d'années. Car j'avais rarement constaté ces trois termes ensemble et accordés chez un seul et même agent.

Alors cette fois, qu'est-ce qui m'attendait avec celui-là ? Fidélité ? Bravoure ? Intégrité ? Pire encore ?

J'ai levé les yeux sur un sourire WASP satisfait au possible. Un sourire qui illuminait seulement le bas de son visage puisque mon angle d'observation ne me permettait pas mieux.

Je résume : un canon capable de cracher du 22mm clairement dirigé sur moi, un visage inconnu doté d'une banane fédérale impossible à interpréter et ma toute nouvelle faculté à ramasser les savons dans les douches. Joli tableau, vous ne trouvez pas ?

J'ai pesté dans ma tête sans même m'en rendre compte : Allez, courage fils, attend encore un peu, si Dieu le veut – à moins que l'A.S au bout du flingue ne se substitue à la divine entité – et tu devrais bientôt apercevoir les plumes. Au pire celles de l'ange que tu es persuadé d'être. Et au mieux, celles qui poussent sur tes ailes de pigeon californien !

  • Le style est toujours là swinguant mais peut être un peu trop souvent ralenti par des diversions. J'en mettrais un peu moins ici.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Tyt

    reverrance

    • Hi Révé ! afin que je consolide une analyse sur le sujet, serait-il possible qu'à l'occasion, tu me précises (en MP, n'embêtons pas l'espace ici) où se situent les diversions en question. (à l'occasion, hein ? ne t'em... c'est pas urgent).
      merci.

      · Il y a environ 11 ans ·
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      wic

  • très sympa, j'aime la densité du texte et ton côté dandy et pince-sans-rire ... mon problème est que je vais devoir attendre la suite ... c'est le début de ton nouveau bouquin ?

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 5684

    woody

    • je le pense oui... d'où l'éventualité que je ne mette pas tout en ligne ici ;-)

      · Il y a environ 11 ans ·
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      wic

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