L'échappatoire collectif
flezicra
« Nous ne pouvons faire autrement. Nous devons proposer aux habitants de construire en sous-sol »
Cette remarque de Marc, mon collègue architecte, sur l’inévitable extension de l’espace urbain sonnerait bientôt comme une vérité universelle pour les habitants de ce pays.
Toutes les grandes agglomérations du siècle dernier sont devenues des villes de banlieue parisienne. L’urbanisation s’est étendue à l’ensemble du territoire français. Les modes de transport ont gagné en célérité grâce à la propulsion solaire, transformant aujourd’hui Marseille en une ville de cinquième couronne, comme pouvait l’être Melun au début du XXIe siècle.
Il reposa sa bière électronique sur la dalle tactile du comptoir du bar dans lequel nous étions sortis prendre un verre. Il reprit :
« Tu sais, la nature regagnera de la vigueur en surface et nous dégagerons de nouveaux espaces verts pour la population.
- Rappelle toi, ce n’est pas d’aujourd’hui. Cette mutation a débuté lorsque nos arrières grands parents ont commencé à troquer leurs lieux d’échanges et de rencontres comme les places de l’église, bistrots et petits commerces, contre des centres commerciaux abrutissants et grouillants d’activités superficielles.
- Les habitants sont déjà habitués à la lumière artificielle, ils n’achètent pas moins dans les magasins ! Alors enterré ou pas, ca ne changera finalement pas grand-chose ! Et tout le monde retrouvera un peu d’espace de vie en surface »
Souhaitant partir, je repris la main sur la discussion puis conclus :
« Je posterai cette idée dans les prochains jours sur le site de « crowd-ideas » gouvernemental. Entre nos réseaux sociaux personnels et celui de la boite, nous obtiendrons certainement quelques suffrages pour nous soutenir »
Marc acquiesça sans sourciller. Il n’avait pas grand-chose à ajouter, nous étions en phase sur le projet et la manière de le faire aboutir. Il était inéluctable.
Depuis le développement de l’hyper connectivité et du modèle de co-construction entre individus, les présidences successives ont dû s’adapter et revoir le modèle de gouvernance de la société. Députés et sénateurs ont disparu. Les décisions de la vie publique sont soumises chaque année à un nouveau type de référendum. Dans une démarche collective et sociétale, un citoyen propose une idée. Celle-ci est enrichie, améliorée ou retravaillée par chacun pour aboutir à une proposition concrète et réaliste. Dans un second temps, toute la population est invitée à « liker » les idées les plus pertinentes et les plus urgentes à mettre en œuvre pour le pays. Les classes sociales sont maintenant ainsi découpées : Ceux qui ont des idées, ceux qui ont du temps et ceux qui ont l’argent pour financer et rendre ces projets réalité.
Je quittais Marc et traversais le parking pour me rendre à ma voiture électrique rechargée dans la journée par le système d’autosuffisance énergétique du bâtiment. Achetée à plusieurs avec mes voisins comme la législation l’exige, je ne m’en sers qu’une fois par semaine pour me rendre à mon bureau. Le reste de la semaine s’effectue en télétravail. Avant de sortir du parking, l’écran de navigation affilié au système de covoiturage m’indique que trois personnes sont à récupérer sur mon trajet de retour. Elles sont sélectionnées en fonction de mes affinités et mes centres d’intérêt.
Je rentre à mon appartement et retrouve ma femme Sarah et nos trois enfants. Nous cohabitons depuis quatre ans avec Maryse, une vieille dame de 83 ans dans notre 120 mètres carré. Même si elle est de moins en moins autonome, elle a besoin de vie autour d’elle et d’enfants pour animer ses journées. Par-dessus tout, je pense qu’elle désire se sentir encore utile. Elle garde donc les enfants à l’occasion et nous partageons quelques sorties ensemble le week-end. Une sorte de vieille dame au pair.
Après avoir embrassé ma petite famille, je consulte l’écran intégré à ma porte d’entrée pour me faire une idée de l’humeur du jour de la population Française. Grâce à cette analyse prédictive des sentiments fournie par les « Big Five Data », l’ensemble combiné des données collectées sur les individus et les objets connectés depuis des années nous permet de déterminer l’ambiance de la journée à venir. A la météo quotidienne classique que connaissaient nos ancêtres s’est ajouté ce nouveau filtre. Nous savons ainsi ou il fait bon vivre et quelles seront les zones de tension dans le pays. Les promoteurs ont rapidement intégré cette nouvelle donnée pour mieux estimer les biens immobiliers en vente. Dans certaines villes, les prix ont vertigineusement chuté, d’autres ont progressé malgré leurs situations géographiques ou économiques désavantageuses. On a pu ainsi vérifier que les personnes les plus heureuses et équilibrées sont loin d’être les plus fortunées…
La semaine prochaine, l'humeur de la population française est au beau fixe sur tout le territoire. Une belle fenêtre de tir pour soumettre notre idée…