The Psychiachrist

El Mimomandes

Anthony s'était levé à 7h ce matin-là. Les nerfs des paupières semblaient avoir été sectionnés pendant la nuit comme il n'arrivait pas à les ouvrir suffisamment pour voir qu'il versait son café brûlant sur son beurre maladroitement tartiné sur la semelle de son chausson.

En fait, Anthony n'était pas habitué à se lever si tôt. Il l'avait été par le passé, lorsqu'il était promis à une carrière brillante grâce à des études brillantes que son père brillant l'avait encouragé à suivre dans son élan altruiste tout aussi brillant. Le père d'Anthony était en fait bien fier de pouvoir dire à tous ses collaborateurs que son fils serait selon lui le nouveau Steve Jobs, voire mieux. En tout cas, que c'était ce que son parcours laissait présager.

 

Anthony n'avait aujourd'hui plus de travail. Son manager dans son entreprise pharmaceutique l'avait licencié au bout de trois burnouts : « Une fois ça va, deux fois passe encore. Ça me permet d'augmenter les quotas d'handicapés mentaux, trois fois faut pas abuser. J'ai besoin de guerriers pour faire augmenter mon CA moi. C'est pas en avalant tout un tube de mes Prozac que tu vas faire augmenter nos bénéfices de 15%. » qu'avait dit son N+3 (soit autant de niveaux hiérarchiques qu'il avait de points en QI, allez savoir pourquoi il était fier d'une de ces données et pas de l'autre).

 

Anthony avait tenté d'attenter à son existence tant ses idées tempêtaient tristement : « tue-toi ».

Mais il avait décidé de reprendre les choses en main. Même si ça faisait 3 mois que son existence s'était résumée à essayer de se lever, essayer de suivre un programme télé dans son intégralité, essayer de rire, essayer de parler, essayer de fixer un regard, essayer de pleurer, essayer de ne pas se dire qu'il était terminé, sans intérêt, passé de date de DLC.

 

Aujourd'hui il s'était levé pour aller voir le psychiatre que lui avait conseillé son docteur : « Vous êtes devenu fou mon pauvre Anthony.  Ça se lit sur votre visage. Vous aviez pourtant eu l'occasion de voir des centaines de fois dans ma salle d'attente qu'il ne fallait pas toucher aux drogues. Regardez ces affiches du ministère de la Santé, vous êtes con ou illettré Anthony ? (il avait cru qu'il fallait répondre mais n'avait eu le temps que de lâcher un « Aucun des… » qu'elle avait repris la parole avec sa voix de perroquet mal baisé, car un perroquet a aussi une libido). Ça y est, votre cerveau est cramé mon pauvre. C'est pas un psychologue que vous avez besoin de voir. C'est un psychiatre. Vous êtes devenu schizo ».

Le pauvre Anthony qui craignait depuis longtemps qu'on lui annonce ces nouvelles dont il se méfiait en avait la confirmation par cette conne de médecin dont il ne savait pas qu'elle n'avait jamais eu de diplôme français, tout juste un diplôme Roumain qu'elle avait décroché grâce à ses dons en gynécologie. Attention : ces compétences dans ce domaine ne lui permettaient même pas de détecter un champignon sur une muqueuse rouge fluo. Par contre, elles lui avaient facilement permis de décrocher le premier prix de fellation inter-étudiantes. Ce qui n'était pas facile étant donné la quantité de gonzesses qui s'adonnaient de nos jours à l'art de la fellation. Mais ceci n'est pas un recueil sur la pipe. Revenons en donc à notre mouton.

 

C'était donc pour aller voir le docteur Benassri qu'Anthony avait fait une entrave à sa première règle de dandypressif ce matin en mettant un réveil.

Il n'attendait pas grand chose de ce rendez-vous en fait, mais il se disait quand même que s'il avait encore une chose à attendre de la vie, c'était bien le miracle d'un Psychiatre lui administrant les médocs qui tueraient son « chien noir ». Il avait découvert cette expression sur Wikipédia. L'endroit où avait lieu toutes les plus grandes découvertes du 21ème siècle même s'il s'agissait bien souvent de redécouvrir.

C'était Winston Churchill qui l'avait utilisé pour décrire cette déprime qui le rattrapait tout le temps comme un chien noir qui vous suivrait dans la rue et que vous remarqueriez de temps en temps.

 

Ça avait fait plaisir à Anthony sur le coup de voir qu'un grand homme tel que Winston Churchill puisse souffrir du même mal-être que lui connaissait. Et ils n'étaient pas les seuls. Bien des noms s'ajoutaient à la longue liste des maniaco-dépressifs : Chateaubriant, Beaudelaire, A. Lincoln, J. Dean, D. Pressif, B. Poelvoorde (qui déjà devait lutter contre sa nationalité belge), J. Carey, ou encore P. Le Clown.

Il en avait même ressenti une légère fierté. Ce qui peut vous paraître futile et débile. Et pour lui pourtant, c'était comme un coup d'électrochoc ne serait-ce que de ressentir. Car si la dépression a un symptôme, c'est bien celui de vous vider de toute émotion, de ne laisser qu'une coquille vide. Ce qui a le mérite de ne pas permettre d'autres symptômes, comme il n'y a plus d'homme là dessous. En fait il y en a en général des plus humains que la moyenne des gens, mais qui en viennent à penser le monde d'une manière inhumaine pour s'en protéger.

 

Il avait donc pris la voiture et avait songé en passant sur le pont chevauchant l'autoroute à donner un grand coup de volant sur la droite pour passer par dessus la balustrade afin de voir si ce qui le tuerait serait alors la chûte, l'atterrissage ou la collision avec une autre voiture.

Puis il avait pensé que c'était bête, qu'il n'avait jamais été aussi proche de redevenir vivant. Car dans 5 minutes, il serait devant le Dr Bennassri qui trouverait peut-être alors les  mots salvateurs.

 

Le Dr Bennassri était comme son nom l'indiquait le fils de Nassri  d'après des bases linguistiques en arabe, et il était donc secondairement originaire d'un pays arabe. En le voyant ce matin là, Anthony s'imagina repartir chez lui avec tous ses problèmes et un tapis oriental en plus, que le docteur lui aurait vendu contre des dirhams ou contre une petite cousine.

 

Mais finalement, le docteur sût se garder de toute tentative de troc et n'eut vocation qu'à connaître Anthony durant cette heure d'entretien. Anthony qui, ayant peur d'oublier un symptôme de son mal-être et de passer à côté de sa possible schizophrénie, avait fait une liste de ses maux comme certains font une liste de leurs courses pour éviter un éventuel oubli.

Mais cette liste n'eut aucune utilité, il n'eut qu'à plonger son regard dans les yeux empathiques du psychiatre pour savoir tout ce qui méritait d'être dit. S'en suivirent trente minutes de monologue au cours desquelles le jeune homme avait confié au médecin des choses dont il n'avait jamais parlé à personne : notamment ses phobies sociales (d'être mal perçu en société, ou du moins de ne plus être perçu comme le petit rigolo qu'il « se devait d'être »), sa phobie de la folie, sa folie des phobies, etc… À la fin le Dr Benassri habitué à ce type de cas, conscient des perversions dont pouvait faire preuve l'esprit humain, se contenta de lui dire ses trois vérités : qu'il ne serait jamais fou, car il était plus brillant que la moyenne et pouvait comprendre et expliquer des choses d'une manière dont très peu de gens pouvaient le faire, qu'il était sujet à des cycles de l'humeur plus accentués que la plupart des gens (connaissant des phases de dynamisme positif, suivis par des phases d'anxiété prononcée pouvant nécessiter l'usage d'anxiolytiques, les Soma d'Aldous Huxley en version non-fictive, et enfin des phases dépressives), et qu'il se faisait de fausses idées sur les relations sociales. Les mêmes fausses idées que la plupart des gens avaient adoptées : vouloir avoir une personnalité propre, être un individu qu'on pourrait définir, qui existait de telle manière ou de telle autre pour ses proches. L'homme s'imagine devoir être uniforme et adopte un masque en société (pour Anthony c'était l'humour, les bouffonneries, quitte à ignorer sa tristesse passagère), sans penser que choisir une facette de personnalité, c'est renoncer à toutes les autres facettes. L'homme au lieu de porter sa complexité comme un étendard prouvant son humanité, se contente alors d'être une caricature d'un trait de caractère et finit par être cette simple caricature.

 

C'est fou comme délester son portefeuille de 90 euros avait pu permettre à Anthony de délester son cœur de tant de souffrances. Le simple fait de parler à une personne qui savait écouter et qui lui avait apporté des réponses sur sa vie lui avait fait comprendre que vivre n'était pas si terrible, et que de toute manière vivre était la seule porte de sortie qui pouvait le mener au bonheur. Avant la grande porte de sortie, qui une fois qu'elle se fermait n'offrait pas la possibilité de se rouvrir depuis l'extérieur.

 

Le Dr Benassri, prit un verre d'eau, s'allongea dans son divan et pensa à ce pauvre Anthony. Comment des personnes à qui la vie souriait, pouvaient-elles lui faire des bras d'honneur en retour, non conscientes de la chance qu'elles avaient ? Il était submergé par l'émotion, cette émotion, cette empathie qui l'avaient poussé à faire ce métier lui nuisaient maintenant, il en avait conscience.

 

Il pensa à sa patiente Fatira, qui s'était suicidée il y a une semaine parce qu'elle entendait dans sa tête une voix qui la rabaissait sans cesse. Il se dit alors qu'il avait merdé, qu'il avait encore échoué comme dans toute sa vie, dès lors qu'il s'agissait de faire des choses de bien. « Bon à rien, bon à rien comme disait ton père. » S'entendait-il répéter dans sa tête à tel point que ses lèvres tremblaient en épelant ces mots  « Bon à rien. » Puis il entendit toquer à la porte et se rappela qu'il avait son rendez-vous de 9h30 maintenant. Il se leva, se regarda dans le miroir pour voir si son regard inspirant la confiance ne trahissait pas les doutes qu'il avait à l'intérieur, il ouvrit la porte : « Bonjour Mme Leblanc, comment ça va depuis la dernière fois ? ».

 

Et il continua toute la journée ce jeu cruel qui consistait à résoudre les troubles des autres, tout en alimentant les siens. Tel Jésus se sacrifiant pour nettoyer les péchés de l'Homme, il avait choisi sa vocation le Dr Benassri, il devait porter le fardeau des troubles de ses patients pour alléger leurs épaules, il était the Psychiachrist.

  • Je me suis permise de partager ton texte sur mon facebook tant il me parle. J'ai fait une nouvelle également, sur un homme dans un hôpital psychiatrique, il est dans mes textes "autres" et s'appelle Léo Te Taire.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Alice Gauguin

  • Pfffffiou, tu parles de ma vie là ? :)))) Que de souvenirs.... Parles tu de toi peut-être un peu, mais c'est indiscret... Revenons en au texte
    " Il en avait même ressenti une légère fierté. Ce qui peut vous paraître futile et débile "
    Cela ne me parait pas futile et débile.... Quand je suis en phase "hypomaniaque", je suis fière de ma maladie....

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Alice Gauguin

    • Je grossis le trait de ce que j'ai pu vivre. Je ne suis pas maniaco-dépressif (parce que je pense que se considérer comme malade, c'est se rendre malade) mais je peux avoir des humeurs sous forme de montagnes russes. Elles permettent d'apprécier la vie bien plus que la moyenne, et parfois bien moins...

      · Il y a presque 9 ans ·
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      El Mimomandes

    • Personnellement je le suis et l'assume....Parce que je savais déjà 5 ans avant mon diagnostic que j'étais malade de quelque chose.... Mais oui, parfois l'on monte si haut, parfois l'on est si bas....

      · Il y a presque 9 ans ·
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      Alice Gauguin

  • Benassri un Psychiachrist ? fallait oser... j'aime bcp ds celui ci les petites touches d'humour qui emaillent la narration. ni trop frequentes, ni trop longues.
    idée originale et développement bien mené. bravo.

    · Il y a presque 9 ans ·
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    wic

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