Tisseuse de toiles.

Christophe Hulé

Cette araignée là ne tisse pas de toile. Elle pose ses toiles sur des chevalets. Parfois elle se promène d'une toile à l'autre pour déposer, un peu au hasard, des taches, des points ou des griffures. Tout est fortuit, elle ne sait où elle va. Mais tout est abouti sans qu'elle sache pourquoi. Des taches, des aplats ou des arabesques compliquées, toutes ces toiles étranges laissent perplexe. On voit bien des formes ici et là, un paysage, un arbre, un personnage, mais enfin on est quand même dans un autre monde. A la fois singulier et reconnaissable.

L'artiste est splendide, c'est peu dire. Son atelier à l'étage est une longue coque de verre, un peu art déco. Comme il n'est pas très haut, tout le monde peut le voir. Les hommes surtout s'attardent en bas et pas uniquement pour l'art.

Les femmes font les gros yeux et poussent leur promis ou leur époux sans ménagement.

Certains d'entre eux gardent la tête levée et marchent à reculons sans en avoir conscience.

Elle peint jusque tard le soir. L'atelier s'allume alors. Tous les chanceux qui habitent en face ont tourné le fauteuil. Les volets clos annoncent les couples mariés, les femmes ont tôt fait de cloîtrer leurs hommes.

Enfin Monsieur le Maire, mon mari, les langues se délient et on a dépassé le stade des chuchotements ou des regards mauvais.

Cette fille vous a tous ensorcelés. Toi y compris mon mari. Elle tient boutique trois matinées par semaine au rez-de-chaussée et a plus de clients que le boulanger. Enfin 3 toiles par semaine et depuis des années. On a plus assez de murs et ton hangar est plein. Reprends donc tes esprits.

Et que dois-je faire alors ? Allumer un bûcher après un procès sommaire ?

On en demande pas tant et cette époque est révolue, fort heureusement.

La musique est envoûtante comme les toiles. On l'entend nuits et jours. Certains s'en plaignent comme de coutume, mais le Maire et tout le conseil municipal, quelle que soit l'étiquette, jettent les lettres anonymes au panier.

Les cheveux noir de jais et la peau diaphane elle parle aux clients. Même les plus puissants succombent à son regard. Quand elle parle, on ne voit que sa bouche et on entend la musique des anges. Elle a accroché aux toiles des étiquettes dorées avec le prix écrit à la main avec application. Nul ne négocie et les toiles s'en vont.

Enfin Mesdames ça n'est plus tolérable. Je ne sais pas pour vous mais moi j'appelle mon mari quand elle ouvre boutique et je lui demande de me passer sa collègue pour un prétexte quelconque.

C'est vrai, c'est humiliant, et on en est toutes là.

En guise de dommages et intérêts, et pour éviter les dommages et dans l'intérêt de tous, on a bâtit à grands frais un domaine immense sur la colline.La belle a investi les lieux aux frais des contribuables sans trop poser de questions.

En bas pour tout dire, on se languit du manque d'animation. Les fauteuils retournés, on a rallumé la télé pour écouter le 20 heures. Les jeunes et les vieux tout pareil ont déploré la chose.

Le maire y a gagné sa ré-élection, mais sans enthousiasme

Elle parcourt ce jardin immense que jamais elle n'aurait espéré. C'est étrange quand même. Que de sollicitude, je ne suis qu'une artiste, et quand je peins mes toiles il n'y a aucune contrainte et encore moins de routine.

L'anecdote on s'en doute est devenue la Une de tous les magazines. Le photos volées se sont vendues à des prix inégalés. Tous les grands de ce monde ont réservé leur place pour  un séjour à la villa.

Le Maire en a profité bien sûr et engrangé les profits.


Flash info rayon People, le Président des États-Unis en personne a fait le voyage pour rencontrer l'artiste dont tout le monde parle. La Première Dame n'était pas du voyage et des manifestations ont eu lieu devant la Maison Blanche. Aux dernières nouvelles,on y a vu que des femmes. On y revient dans quelques instants après la pub.

Signaler ce texte