Titre de l'oeuvre: Le Dîner, effet de lampe
Ludovic Messe
Ce soir-là, comme tous les soirs, nous étions réunis à table. J'avais pris la décision de prendre la parole sans savoir que nos vies allaient être bouleversées pour toujours. Les mains moites et la gorge serrée, je regardais mon père qui était assis en face de moi. La lumière du lustre lui reflétait une ombre chinoise en forme d'ours. Ma petite soeur, qui se tenait à ma droite, savait ce que j'allais dire. Elle est ma confidente. Celle sur qui je peux m'appuyer quand tout va mal mais je ne pouvais pas,ici, lui faire endosser une telle responsabilité ! Ma mère, qui n'était au courant de rien, amena le plat principal. Elle le déposa au centre de la table et repartit vers la cuisine. Si je pouvais me défiler et me faufiler dans cette lampe qui nous surplombe, je le ferais avec plaisir mais je devais assumer maintenant. Je devais me mettre en pleine lumière et enfin dévoiler ce qui m'obsède depuis des années. Mon père commença à tousser. Un proche de notre famille, qui se trouvait à ma gauche dans la pénombre, était en train de dessiner cette scène qui précédera le chaos. Un silence profond s'était installé.
«Père» lui dis-je.
«Oui, fils» me répondit-il.
La conversation fut brève car je n'avais pas trouvé le courage et la force nécessaire pour lui parler d'avantage...
J'avais préparé une lettre au cas où cette situation arriverait. D'une main tremblante, je l'avais saisi dans ma poche pour lui remettre maladroitement. Sans un mot, il l'ouvrit et la lut avec une grande attention. Je voyais déjà des larmes couler sur les joues de ma petite soeur. Elle se demandait peut-être, intérieurement, «pourquoi ? » D'un bond, mon père se leva tout en toussant de plus en plus fort.
Les poings serrés, un mélange de tristesse et d'euphorie se lisait sur son visage. Peut-être aussi de la colère ? Ensuite, il acquiesça d'un sourire et partit sans dîner. Depuis cette soirée, nous n'avons plus jamais parlé de ce moment. Mais son comportement avait littéralement changé, comme transformé. Avais-je bien fait ? Je me pose encore la question. J’espère qu'un jour quelqu'un parlera de mon histoire, en détail sur un livre ou sur un tableau. Enfin, si je mérite que l'on se tourne un peu vers moi.