Toi

Mitaine Crocq

A 30 ans, Jésus disait, en pleine beuverie avec ses douze potes ronds comme des pelles :
                                   « La vie me tend les bras. »


Finalement, on connaît le résultat, c'est lui qui a tendu les bras, et pas à la vie, faut bien le constater.

Voilà ce que c'est de faire le mariole.

On finit en croix, au dessus du lit d'une multitude de vieilles bigotes vierges, attendant qu'un Ange leur passe dessus en missionnaire pour enfin perdre leurs saintes hosties.

Ah oui, j'oubliais, éloigne Ludo le temps de la lecture, je connais sa piété.

Toujours est t-il que si quelqu'un lui avait dit ça, à l'autre Illuminé, il aurait écouté Marie sa bonne mère, et aurait fini charpentier comme tout le monde, à faire des boîtes funèbres pour autrui, au lieu de trôner sur celles d'inconnus et à planter des clous plutôt qu'à se faire planter.

Tout ça pour dire, que la vie, c'est pas une boîte de chocolat, même pour le Messie.

Ou alors, si, c'est une boîte de chocolat, dans laquelle il y a, disséminés par ci par là, des chocolats fourrés à l'alcool dégueulasse, alors que toi, t'as rien demandé.

Toi, tu voulais juste le goût du chocolat sur le palet, et au final, tu te retrouves avec l'haleine de la vieille tante alcoolique, celle qui te lèche la joue en guise de bonjour, en t'y laissant un vieux goût de vieille salive, tout en te rappelant qu'elle a la barbe que toi, tu n'en as pas encore.

Tout ça pour dire qu'à 30 ans, on est tous à un carrefour de nos vies, où il nous faut faire les bons choix.

Enfin tous, toi surtout soeurette, et aujourd'hui même, j'ai donc pensé qu'un petit retour sur les années passées s'imposait.

On ne sait jamais mieux où aller que lorsque l'on sait d'où l'on vient.

Et toi, tu viens de loin putain !

1982 !

J'crois que c'est même plus au programme d'histoire dans nos écoles.

C'est dommage, 1982, c'est quand même l'année de tous les tubes.

Des Corons de Pierre Bachelet, à Eye of the Tiger de Survivor, la bande son de Rocky.

J'comprends mieux pourquoi tu t'repasses tous les opus une fois l'an, sous un plaid, à frapper le rythme sur ta cocotte avec le poing qui démange.

1982, c'est aussi l'année de Dorothée, mais on va passer la dessus, sinon, j'vais saigner du nez.

Après niveau ciné, ça envoie du lourd, c'est l'année de sortie de E.T, de ce bon vieux Spielberg.

Étrange coïncidence...Vas y, mets-toi voir de profil, voilà comme ça, lève un doigt au ciel, oui, et bouge tes narines.

Eureka ! Tu devrais demander des Royalties.

1982. Rombach.

Si près des Vosges, putain, on a eu chaud au cul.

Rombach, si près de la Lorraine aussi, putain !

Rombach, si près du Sundgau, la vache.

Bon, planté à côté de Ste Marie, certes, on peut pas gagner à tous les coups.

Bon je passe sur les deux premières années de ta vie, chiantes à mourir, puisque je n'étais pas né pour égayer tes jours.

Petite pensée émue pour le chat, qui t'a servi d'occupation et de cobaye, avant mon arrivée.

J'crois pas en la réincarnation, mais si ça existe, il mérite d'être réincarné en chat sacré, dans l’Égypte ancienne, et quotidiennement choyé par une armée de serviteurs en pagne.

Et j'ose espérer qu'il a de belles, et très longues moustaches, pailletées d'or, que jamais personne, m'entends-tu, personne, n'aurait l'idée de couper.

D'ailleurs si la réincarnation existe, je pense que j'ai des fautes à expier, pour être arrivé dans ta vie après le chat.

J'devais être croupier, dans le casino secret d'Hitler, quelque part dans son bunker, les cheveux plaqués sur la tête, bien lissés, le regard azur de rapace, l'accent tranchant.Je vois que ça.

Sinon comment expliquerait-on la fois où je suis malencontreusement tombé dans l'escalier ?

La fois où on a retrouvé mon landau en feu ?

La fois où tu voulais jouer au barbier avec ma carotide ?

Heureusement tu visais mal, t'as eu que ma queue, de cheval (vos gueules, les queues de rats, c'était tendance dans les 80's.)

Sans oublier cette fois, où pendant que maman déchargeait les courses de la voiture, tu m'as dit d'aller jouer au mécano, car le moteur faisait un « drôle de bruit ». A peine sous les roues de lavoiture, t'as lâché le frein à main.

Cette fois, où tu m'avais fait croire que le pot d'échappement de la voiture, c'était un sucre d'orge.

Et cette fois, à Noël, où tu m'as fait croire qu'il fallait que j 'attende le Père Noël sous la cheminée, alors que tu allumais un feu de brindilles autour de mes chevilles.

Ah ! Et à Pâques, où il fallait que je reste le plus longtemps en apnée le four, la tête dans le fion de la dinde.

Ah, le bon vieux temps !

C'était ta petite période Calamity Jane, Nikita, Sérial Killeuse.

Je m'étonne encore que les services secrets ou autre DST ne t'aient pas approchée, afin de te proposer un poste mais qui sait, ça s'est peut être bien passé.

Dis, ça s'est passé ?

Non, ne me dis rien, sinon à chaque fois que je prendrai la voiture, je me demanderai si les freins sont pas sabotés.

C'était pas bien méchant, fallait me tester. Après avoir tenté de te noyer dans la piscine, puis après t'avoir mordu au sang au derrière, t'avais déjà un peu plus le respect pour moi.

Alors t'as pris le parti de me laisser vivre.

Tu t'es même adoucie avec le temps, à condition que je t'apporte de petits oisillons de temps en temps. Tu leur craquais la nuque, et te sentais tout de suite mieux.

On pouvait alors reprendre nos jeux de gamin : l'élastique étrangleur, le pendu, la torche vivante, Docteur Maboul, en vrai, trois petits chatons dans un sac, le voisin dans le puits...

C'était fun.

Puis est venue l'adolescence.

J'ai cru te perdre.Comme toutes les filles, tu t'émoustillais devant un arbre.

Comme toutes les filles, tu as fait n'importe quoi avec tes cheveux, mais est-il besoin de le rappeler...

Comme toutes les filles, tu cherchais l'amour avec ce bon vieux tatoo.

Un tatoo putain, qui sait encore ce que c'est ce truc aujourd'hui !?

Dis donc même à Lourdes, ce lieu saint, où au lieu de baiser les pieds de la Vierge, tu te mélangeais la langue avec un ado pré pubère.

Alors j'ai prié, pour la première fois de ma vie, j'ai prié pour que ça cesse, pour que chacun retrouve la souveraineté de sa foutue langue.

La dame de la grotte en chiale encore aujourd'hui tiens.

Faut comprendre, perdu j'étais ! Toi, qui étais si différente, tu devenais normale, presque chiante.

Et un jour, tu m'as dérouillé dans l'escalier, enfin, de nouveau un coquard, et des lunettes à changer.

Le lendemain, tu dérouillais une ado chiante en lui pétant les ratiches au pied de la Vierge ducollège.

Le surlendemain, tu donnais raison à maman qui, par soucis d'économie, insistait pour que j'utilise le dernier couvre livre de la maison, quand bien même il était brun à fleurs oranges. Ça m'a valu quelques mois de honte.

Quelques mois après, tu te prenais un cuite monumentale à ma confirmation, reniant père, Dieu, et mère, et taguant la statue du cimetière en pleine nuit.

T'étais de retour, j'ai été brûlé un cierge en remerciement.

Le temps a passé. Tu t'es éloignée, puis ce fut mon tour.

Je ne le disais pas, mais que c'était bon de simplement de recroiser au domicile familial.

J'aurais pu regarder n'importe quelle émission pourrie pour juste être là, avec toi.

Depuis, on se croise, on est un peu les intermittents de la relation fraternelle, mais c'est un statut qui nous convient parfaitement.

Puis le couillon qui a dit un jour « loin des yeux, loin du coeur » devait être aveugle, ou en arrêt respiratoire.

Dutroux était très proche de la petite Kampusch, suis pas persuadé qu'il l'aimait plus.

Moi je dis ça je dis rien.

Le temps a inversé les rôles, tu as mûri, moi un peu moins, mais mon psy dit que c'est dû à mon complexe de Peter Pan.

Je t'ai vu troquer ta tenue à la Kill Bill pour une robe blanche, et bon dieu, que c'était beau.

Je t'ai vu donner la vie, rayonner, être faite pour ça.

Alors je pourrais être nostalgique, de cette période où tu faisais trembler un village, une ville, uncanton, un département, une région, que dis-je, un pays !

Il faut bien reconnaître que ma nièce, affirmant, du haut de ses 5 ans, « vouloir faire mal à quelqu'un » en se frappant un poing contre l'autre me rassure énormément sur la continuité de la chose.

Oui, parce que je suis cancer, j'ai besoin de stabilité.

Alors aujourd'hui t'as trente ans.

J'ose espérer que ça te met pas de travers.

Comme je le vois, j'ai hâte d'avoir 30 ans, des muscles, de la barbe, tout ça quoi, être grand.

Je suis pas en train de dire que t'as de la barbe là hein, entendons nous bien.

Ok bon avec une espérance de vie de 120 ans, t'en auras peut être un jour, indubitablement( toujours bon à caser dans un écrit lui), mais d'ici là, je serai aveugle, et la peau de mes joues tellement sèche que de toute manière, je sentirai plus rien, si ce n'est la pisse...

(Un peu de trash, c'est toujours bon à prendre surtout quand c'est plausible et tristement réaliste.)

T'as 30 ans, et fuck, l'horloge biologique, t'as assuré niveau fécondité.

Donc plus de stress, après, logiquement, l'indice nécessaire c'est 2.1 pour renouveler les générations, donc d'après mes calculs, faut encore faire un dixième de boulot.

Faudra m’expliquer leurs calculs, parce que le un dixième restant, c'est même pas un nain.

Ah non, une personne de petite taille. Au mieux, un spermatozoïde amélioré, nourri à la barre énergisante, plongé dans un bain de Redbull une fois le mois, et conservé dans un bout de placenta que t'aurais conservé au frais.

Ou alors, je sais pas, faut mener le truc à terme, mais le sortir qu'un mois dans l'année et le rentrer le reste du temps.Bref, je suis pas scientifique, je laisse ça aux pro.

30 ans donc.Un croisement.

Faut pas compter sur moi pour te pointer la direction à prendre pour la suite, tu mènes assez bien ta barque sans moi, puis mon sens de l'orientation est à chier.

Faut pas compter sur moi pour te souhaiter une belle maison avec un labrador, et une barrière blanche. Non pas que c'est pas louable hein, mais c'est pas ma vision du pied quotidien.

La seule barrière blanche dans ma vie, c'est celle que je trace dans mon couloir une fois la semaine, et que je sniffe.

(Voilà la mère, ça t'apprendra à lire aux portes).

Faut pas compter sur moi pour t'accompagner aux nuits blanches. Pour cet effet, je compte pas sur Guetta, mais sur l'exta.

(Pour la mère, voir ligne précédente.)

Faut pas compter sur moi pour causer comme quatre, ou faire pléthore de compliment.

Souvent les mots me fatiguent, alors j'y pense, et ils restent enfermés.

Ça a le mérite de rendre le peu de ce qui sort honnête et sincère.

Alors bien sûr tu recevras mes fleurs, bien sûr tu recevras cette troupe de plombiers nus que j'ai commandée pour toi ( ouais, j'ai pensé que les pompiers, y'en avait déjà assez dans ta vie) afin devenir astiquer l'appartement, et tout autre chose de ton choix, le SAV ne me concerne pas.

Mais en dehors de tout ça, qui n'est que fioritures, reçois ces quelques mots, et puisque notre doux pays est en ce moment gouverné par des orateurs nés, il me vient l'envie de palabrer, modestement, comme un des leurs en ces termes :

Moi, Frangin, je verrai toujours derrière tes rides ( à venir les rides, à venir) une petite blonde, au carré, aux dents manquantes, mais toujours souriante.

Moi, Frère, je verrai toujours celle qui aujourd'hui manque quelques fois de confiance l'une des plus courtisée de la cour d'une petite école paumée, croulant sous les présents de ses prétendants.(présents qui m'ont souvent servis d'ailleurs...).

Moi, Cadet, je verrai toujours l'Aînée, inquiète en certaines circonstances, prenant la responsabilité de choses qui n'auraient pas dues lui revenir.

Moi, Frère, j'admirerai toujours la personne que tu es devenue.

Moi Frère, je serai toujours reconnaissant pour cette famille que tu nous as agrandie.

Moi Frère, je t'aimerai encore demain, à 40 ans, à 50, à jamais, puisque c'est ainsi.

Et lorsque je serai vieux, que notre temps sera passé, que le souvenirs seront fanés, que tu me visiteras moi et mon Alzheimer, tu me liras un peu de tout ça, et au fond de moi, quelque part, une étincelle jaillira, et je te reconnaîtrai.

Joyeux jour.

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