Tonie - 6

enaelle

Bijou, ça peut pas être sa soeur. Ni une amie. Ni sa mère, ce serait bizarre. C'est sûrement sa femme. Une femme blonde. C'est peut-être son ex, il n'a tout bonnement pas changé le surnom dans son répertoire. Ouais, ça doit être ça…Je suis allongée sur mon lit, je fume une cigarette, oui je m'y suis remise y'a une minute tout juste. Cinq ans que j'avais arrêté. Stupide, non? Bien évidemment. Mais c'est pas grave, j'ai besoin de romanesque, les volutes de fumée qui dansent au-dessus de ma tête, le capharnaüm dans ma chambre, toutes mes fringues abandonnées par terre, désuètes, inutiles, les volets fermés, le verre de vin rouge à moitié plein (oui, je suis du genre optimiste…c'est sûrement le surnom ridicule qu'il donne à sa petite soeur) posé sur la table de nuit, et moi, nonchalamment allongée, plongée dans l'exaltation et le doute.

Thomas et moi, on a rendez-vous demain soir dans un restaurant que je ne connaissais pas, j'ai regardé sur google, petite impasse dans un coin peu fréquenté. Excellentes critiques niveau bouffe. D'où toutes mes robes, jupes et chemisiers traînant lamentablement au sol. Rien à me mettre. Je vais être obligée d'aller faire du shopping, il me faut quelque chose qui envoie un signal précis : « je ne suis pas une fille facile et tu ne peux pas me manipuler, car je suis maligne et indépendante, mais quand même tu me plais beaucoup, j'ai donc soigné ma tenue mais pas trop parce que je suis facilement irrésistible ». Comme dans la pub pour le parfum Givenchy. Sauf que je n'ai ni l'abondante et soyeuse chevelure ni les yeux d'Amanda Seyfried. Et que pour m'approcher au plus près de la tendance « irrésistible », il me faut :

1. Dénicher une robe classe mais pas trop, qui n'accentue pas mes hanches, on va dire voluptueuses (et pas trop chère non plus parce que c'est la fin du mois).

2. Faire un masque à l'huile pour mes cheveux parce qu'on frôle la crise botte de foin, et un masque à l'argile verte pour mon visage parce que c'est l'alerte à la poussée hormonale.

3. Passer chez l'esthéticienne pour une séance épilation, parce qu'on sait jamais ce qui peut se passer après le restau.

4. Enduire mon corps d'huile délicatement pailletée, parce que c'est joli et qu'elle sent bon les îles et le soleil. Et qu'on sait jamais ce qui peut se passer après le restau.

5. Du coup, penser à acheter aussi un petit ensemble lingerie raffiné et pas vulgaire, sûrement en dentelle blanche, parce que toutes mes culottes sont grisonnantes (pour excuse, je rappelle que je me suis faite larguer à deux mois de mon mariage) et qu'on sait jamais….

6. Me maquiller en forçant un peu sur le fond de teint (cf poussée hormonale), mais en évitant l'effet plâtre et la démarcation au niveau mâchoire/cou.

7. Etc…

8. Etc…

9. Etc…

Parfois, mon côté féministe a juste envie de dire : fuck. Je suis comme je suis. Mais bon, je suis faible et les pubs m'ont lavé le cerveau.

Je pianote cette to do list sur mon tel, tout en regrettant amèrement d'avoir allumé cette cigarette, la dernière d'un paquet que Maxime a oublié chez moi lors de sa visite surprise. Maintenant, j'ai la bouche pâteuse et je vais devoir déployer des efforts colossaux de volonté pour ne pas m'en racheter. Thomas m'avait envoyé un texto le lendemain de notre café. J'avais appelé Sarah, ma meilleure amie, qui travaille actuellement son bronzage sur une plage à l'autre bout du monde, et elle m'avait conseillé de patienter au moins vingt-quatre heures avant de répondre. « Qu'il comprenne que tu n'attendais pas comme une hystérique un signe de sa part, que tu as une vie trépidante et que tu n'es pas à sa disposition », m'avait-elle dit. Bien sûr. Comme si j'étais capable de faire ça. J'avais répondu oui pour un dîner presque une heure après. Et honnêtement, une heure, je trouve ça pas mal. Voilà. Demain, je travaille. Je vais donc arriver au bureau le matin enrubannée dans une écharpe XXL en ayant forcé sur l'huile essentielle d'eucalyptus. Je vais faire genre je suis mourante et prendre mon après-midi. Opération séduction. 

Je finis mon verre de vin en me disant que, tout de même, en voilà une histoire. On peut dire que j'ai provoqué le destin. Après avoir végété dans mon célibat, dopée aux séries en tous genres et au chocolat, les choses deviennent excitantes. Je sors de ma léthargie. Je dis oui à la vie à nouveau. Tiens, je crois que je vais écrire un bouquin de développement personnel. Le titre, ce serait « Comment se remettre d'une rupture devant l'autel ». Je pourrais travestir un peu la réalité, juste exagérer le truc. Maxime n'est jamais venu et je suis restée là, dans ma belle robe de mariée couleur écru qui nous as coûté un bras, en larmes devant un parterre d'invités oscillant entre stupéfaction et pitié. Ou alors, Maxime est bien venu, parce qu'il s'est fait violence au nom des conventions et de tout ce qu'on a partagé ensemble, mais au moment de prononcer le « je le veux », il n'a pas pu, les mots ne sont pas sortis, mes yeux se sont remplis de larmes devant son visage désolé et il y a un « ooooh » dans la salle, une rumeur sourde de consternation. Ça, ce serait dans l'intro. Ensuite, ce serait une suite d'étapes pour faire son deuil, regagner confiance en soi et envisager l'amour à nouveau.

Bon, je me lève enfin de mon lit et le sol tangue légèrement. Il est 21 heures, j'ai pas vu le temps passer à rêvasser. J'ai toujours adoré rêvasser. Rêvasser, ça me console, ça me donne du courage, ça me met de bonne humeur souvent. Je me suis construite sur les rêveries. Je crois que je ne vais pas avoir trop de mal à feindre la fatigue demain matin au boulot. Je ne suis pas ivre, noooonn!!! Apparemment, ce rencard me stresse plus que je ne veux bien l'admettre. J'ai dû boire pour regagner de l'assurance. Mais non, c'était pour fêter le renouveau! Avec un peu de chance, demain, j'aurais oublié que j'ai fumé cette satanée clope…



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