Tonie - 7
enaelle
J'ai sauté de mon lit comme un sprinter sur le départ. L'apéro prolongé de la veille ne m'a laissé aucune séquelle, pour ainsi dire. Un peu comme lorsque j'avais 20 ans (sauf que je buvais deux fois plus et dormais deux fois moins). Je stresse, bien évidemment, donc je suis fébrile limite hystérique. Douche fraîche…un peu maso aussi. Café brûlant. Comme prévu, écharpe et grise mine. Au boulot, je n'ai aucun mal à jouer la comédie. Je dois être née pour ça. Chacun a son réflexe de protection et tout le monde me fuit comme la peste. J'en fais peut-être légèrement trop…En même temps, je crois que finalement je me suis réjouie un peu vite de mon apparente forme olympique au réveil. J'ai pas à me forcer beaucoup pour avoir l'air fatiguée. Je n'ai pas le nez prit, mais je simule bien la toux sèche. Ca passe. Le boss me suggère d'aller me reposer.
– Vous avez mauvaise mine, Antonia.
Je souris faiblement. Z'êtes sûr?
– Certain.
Merci. Bye bye. Je dois me contenir un peu pour cacher ma joie, tout de même. A moi les boutiques, les essayages, les visualisations en situation! J'oublie mon découvert et la sale gueule de mon banquier. J'oublie aussi le bijou blond du portable de Thomas. Au Diable les vacillations, les obstacles, les ex-femmes! Ce soir, j'ai rendez-vous avec l'homme au lait d'amande. Magique.
J'ai dégoté une petite robe très sage, longueur midi, taille marquée, décolleté rond, couleur vert émeraude, celle de l'espoir. Petit collier simple en argent. Maquillage léger. Cheveux lâchés, naturels, sans brushing. Je me trouvais bien en sortant de l'appart. Sur la route, j'ai sérieusement douté de ma tenue, de moi en entier d'ailleurs, mais j'ai appliqué ce truc que j'avais lu dans un bouquin de pnl : j'ai inspiré profondément, redressé les épaules, et j'ai senti ma puissance intérieure. Bon, je l'ai un peu cherchée, elle était tapie dans un coin de mon estomac contracté. J'ai affiché un sourire sur mon visage et imaginé la situation en tout tout tout petit, comme si ça n'était rien, une seconde vite passée, aucun enjeu. Ce qui, pour être absolument honnête, est la vérité. J'ai aussi imaginé Thomas en noir et blanc, avec des oreilles de Mickey sur la tête et parlant avec la voix de Daffy Duck. Ca a plutôt bien marché. En entrant dans le restaurant, j'étais détendue.
Il était déjà là. Il a sourit et en voyant cette petite fossette sur sa joue gauche, j'ai ressenti un désir qui, me semble-t-il, m'avait quitté depuis un moment. Une bouffée d'oxygène, comme la certitude d'être vivante infiniment. J'ai su que quelle que soit l'histoire de cette rencontre, c'était ce qu'il me fallait pour tirer un trait définitif sur la douleur précédente.
Nous rions beaucoup. Encore. Il a un humour un peu incisif, qui ne m'épargne pas. Il ne s'épargne pas lui-même. Il dit des choses graves et sensées avec les yeux qui sourient, l'air de pas se prendre au sérieux tout en étant observateur et percutant. Esprit de déduction poussé, j'ai pu le remarquer. A mesure qu'il parle, qu'il s'anime devant moi, sa beauté discrète se transforme en charme fou. Si ce mec joue de la guitare, je suis foutue. Prise dans ses filets.
– Tu joues d'un instrument?
J'ai posé la question au milieu d'un réquisitoire contre François Hollande, alors il me regarde avec surprise. Et sourit en hochant la tête.
– Je faisais partie d'un groupe quand j'étais étudiant. Mais ça fait longtemps que le boulot m'a bouffé tout ce que je pouvais avoir de folie et de talent.
Aux étincelles dans ses yeux, je ne suis pas certaine de ce qu'il avance. Je suis sûre que ce mec est plus rock'n'roll qu'il ne veut bien le laisser paraître. Y'a des gens comme ça. Ils ressemblent à des avocats affairés, mais ce sont des fumeurs de joints qui jouent à Mario Kart. Ils s'adaptent à ce que la vie semble attendre d'eux, parce qu'il faut grandir, avoir des enfants et payer ses factures. Thomas doit s'adapter difficilement, parce que dès qu'on pousse un peu la conversation, il dévoile très vite une certaine sensibilité à la liberté, au je-m'en-foutisme et à l'indétermination. Bien sûr, il a l'air d'être un gars compliqué. Charmant, drôle et compliqué. Magnétique.
On ne prend pas de dessert. On laisse s'installer un silence un peu gênant. Je finis par demander quelle est la suite du programme. Il hausse les épaules en souriant. Il ne propose pas d'aller chez lui. Il ne propose rien. Alors je m'entends l'inviter chez moi. Je fais fi du mystère qui l'entoure. Je veux sentir sa peau, m'endormir contre lui. Il dit « ok ». Sur le chemin, on s'applique à rester léger. Je me sens bien. Le courant passe entre nous. Il m'a prit la main et il parle de la réserve naturelle de Néouvielle, dans les Pyrénées. Un endroit qu'il adore. J'ouvre la porte de l'immeuble. Nous montons les escaliers, 2ème étage. Et là…Toute ma joie s'évapore d'un seul coup. A attendre sur le seuil, droite comme un i, le visage crispé comme si on allait lui arracher une dent : ma soeur jumelle. Sonia. Fausse jumelle, je précise. Dans notre cas, je pense que ça fait toute la différence. D'abord Maxime, maintenant elle! Se sont donnés le mot ou quoi? Je bafouille, je sais même pas quoi dire, je la présente brièvement à Thomas, elle le salut d'un hochement de tête. Je me tourne vers lui :
– Désolée, c'était pas du tout prévu. Ma chère soeur débarque à l'improviste.
Il dit « ce n'est pas grave, ne t'excuse pas ». Je n'ai toujours pas ouvert la porte. Je lui demande ce qu'elle veut. Enfin, elle daigne parler. Non, parce qu'elle n'a pas encore pipé mot.
– Tu me laisses entrer?
C'est chiant, ces gens qui désertent votre vie sans prévenir et qui se pointent des années plus tard en voulant entrer chez vous! Je lui dis non.
– Non, Sonia, tu ne peux pas entrer. Tu ne peux pas débarquer comme ça. On s'appelle demain.
Ce soir, je décide, je n'ai pas de temps pour les drames familiaux, les larmes, les reproches. Je prends la main de Thomas, j'ouvre enfin la porte et nous entrons. Je jette un dernier regard à ma soeur qui n'a pas bronché, et je referme très doucement.
ah ben maintenant que Thomas est entré !.... la suite, la suite..... :-))
· Il y a environ 8 ans ·Maud Garnier
Très bientôt (plus rapidement en tous cas!) Merci!
· Il y a environ 8 ans ·enaelle
:-))
· Il y a environ 8 ans ·Maud Garnier
:) tres belle écriture, merci d'avoir posté ce texte
· Il y a environ 8 ans ·torpeur
Merci! :-)
· Il y a environ 8 ans ·enaelle
Je sais pas pourquoi, j'ai un sourire en terminant ma lecture. ...peut être ce petit souffle de liberté qui dit "non" :)
· Il y a environ 8 ans ·carouille
Et oui, il faut s'affranchir de temps en temps :-) Merci de me lire...
· Il y a environ 8 ans ·enaelle