Tous nuls

petronille

J’ai l’impression qu’il y en a plus que l’année dernière.

Il faut que je m’y mette.

Quatre par heure… en me concentrant. Mais souvent je décroche, je rêve, je compte les jours jusqu’aux vacances…

C’est pas tout ça, faut que j’aie terminé vendredi, dernière limite. Ils exagèrent, c’est toujours trop court, leurs délais.

Bon, je m’y mets.

D’abord un plateau avec de la tisane. Pour quand j’aurai des envies de meurtre. Les programmes sont de plus en plus idiots. Alors bien sûr…

Et un paquet de gâteaux. Pour ne pas avoir à me relever.

Je les classe ? Les courtes, les longues, les lisibles, les pattes de mouche… non. Je me connais, je vais manger mon pain blanc, et après…

Comme elles se présentent.

Ça commence plutôt bien. Une lisible. Un semblant d’introduction… un semblant, mais ne soyons pas difficile. Mm, mm, porte plutôt ouverte que fermée, admettons… « Celle de gauche, en prennant à droite » ? Il se croit au permis de conduire ? Pauvre Musset ! Prenant avec 2 N, en plus… S’il s’imagine que c’est avec ce genre d’argumentation qu’il va construire sa dissert… D’ailleurs, argumenter… Paraphraser, c’est tout ce qu’ils savent faire… Façon, c cédille… Là il aurait dû aller à la ligne… Oui… Une ébauche de conclusion, pour se rattraper… « Chef d’œuvre de la Rome antique » ? Je rêve ! Inculte. Ils le sont tous aujourd’hui. Impossible de lui donner la moyenne. Huit. Et je suis généreuse. Pour la graphie agréable.

Celui-là récite gentiment son cours qu’il a appris par cœur. Musset il s’en fiche, mais il joue le jeu, il fait mine d’y croire. Un peu long… des platitudes… une métaphore de la porte… au moins il évite la Rome antique de l’autre. Onze ? Un peu plus ? Allez, douze, sa maman sera contente.

Ah, chic ! Celle-ci n’a que deux pages ! Ah, d’accord, pas d’introduction. Tout de suite du bla bla bla, il l’aime, il ne l’aime plus, il l’aimera demain… … « La porte gardée par la concierge » ? Mais où est-il allé la chercher ? Enfin, « il », peut-être « elle ». Oui, une fille, écriture soignée, une grande marge, trois lignes sautées entre chaque paragraphe… Elle se fout du monde. Quoi ? « Equilibrisme entre les personnages » ? Equilibre, elle ignore ? Encore une qui regarde trop la télé, avec cette mode de rallonger les mots... Pas étonnant que nos jeunes ne savent plus écrire ni parler correctement. Et la conclusion ? Au verso ? Ben non, pas plus de conclusion que d’introduction. Nul. Six. Et c’est bien payé.

Celui-là n’a rien compris. N’a pas lu le sujet jusqu’au bout. On ne cesse de leur répéter… Le jour de l’examen, lisez lentement le texte, soulignez les mots importants, réfléchissez avant de vous précipiter pour écrire… Nous perdons notre temps… Comment ça « les portes au Japon » ? Il commente Musset ou le Routard ? Quatre. Pas besoin du bac pour être gentil animateur au Club Med.

Déjà une crampe dans les reins. Le courant d’air. Faudra que je me décide à faire raboter la porte. Un coussin dans le dos, ça ira mieux. Un carré de chocolat pendant que j’y suis. Faudra que j’en rachète.

Courage. « Patte » ? Ah non, c’est porte. « Massed » ? Musset, sûrement. Et là ? Impossible de déchiffrer ce torchon. Je renonce. Au pif, dix. Au cas où ce serait bon. Il y en a de plus en plus qui râlent, demandent à voir leur copie, déposent une plainte au Rectorat… Plus aucun respect pour le travail des profs. Vivement la retraite.

Mes reins ! C’est pas la porte. Je somatise. Pas étonnant, avec ce que je lis. En attendant, même avec un coussin… Enfin ! A la suivante !

Tiens, une idée originale ! Un pastiche de Shakespeare, « Cellar door, door man… » Pas mal ! Je suis trop sévère, déformée par les imbécillités que je lis à longueur de trimestre. Mais… il aligne les citations en anglais ! Musset traduit ? Il a dû confondre avec l’épreuve de langues. Tant pis, je vais le noter seulement sur le reste. C’est mal parti, parce que l’orthographe… Mille avec un S. Les porte, pas de S à porte… Ouvres-moi, un S à ouvre, ça fait remonter les statistiques… Grimpez, un Z au lieu d’un R, il a renoncé au S… Bon, je laisse tomber, je n’ai pas que ça à faire, faut que j’aille porter les chaussures de Mélanie chez le cordonnier. Seulement douze ans, mais elle ferait moins de fautes.

Je lui mets combien, à l’Angliche ? Je verrai plus tard. Ça dépendra des copies suivantes. Pas question d’avoir des ennuis avec l’Inspection. Ils l’ont bien dit, à la réunion de concertation : soyez tolérants. Le niveau baisse, mais baisse…

J’en ai déjà marre. Quelle corvée ! Combien y’en a encore ? 28. J’en ai jusqu’à minuit. Au moins.

Quel métier ! Je ferais bien autre chose… Oui, mais quoi ? Je ne sais rien faire d’autre. Je vais me chercher un carré de chocolat. Pour lutter contre la déprime.

  • Retraité de l'Educ Nat, pas enseignant, mais gestionnaire des établissements du Secondaire, j'allais souvent en salle des profs bavarder et soutenir le moral des malheureux et malheureuses qui corrigeaient. Je reconnais bien dans votre texte leur déprime! Mais, l'orthographe, allons, elle souffre partout, de mille petites blessures. Presse, Télé, même les circulaires administratives... Bon, si vous trouvez des fautes dans mon commentaire, dites le moi!

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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