Tout seul avec les autres !

Philippe Fournier

On se sent toujours seul dans ma vie. Moi, je me sentais très seul ; seul comme un aigle perdu dans le Grand Canyon où les apaches écoutent le bruit de la pierre qui s'effrite doucement. C'est pourquoi je me suis inscrit à un club. Correspondante & Bonneteau. C'est le nom du club, Correspondance & Bonneteau.

Le club organise des soirées thématiques. La première fois, c'était une soirée rustique, nous avons plumé des poulets. Moi, comme j'étais nouveau on m'a bizuté. J'avais un poulet vivant. En fait c'était plus un dindon qu'un poulet ; un énorme dindon hyper costaud. Il m'a entièrement déshabillé.

La deuxième fois, nous avons organisé une soirée table tournante. Vous savez, c'est ce genre de séance où on peut discuter avec des morts. Enfin, discuter, on échange des « toc-toc » quoi. Frappe une fois si tu es là ou deux fois si tu es dans ton bain... Ça tombait bien, je tenais à entrer en contact avec mon oncle Fulbert qui est mort avant de me donner le nom de son shampooing.

Ce soir-là, j'ai fait la connaissance de Gilda, une fille vraiment extra. Nous avons ensemble fait tourner une table. Gilda la faite tourner plus que moi, je n'avais pas le bon fluide. Quand on n'a pas le fluide, on n'arrive à rien. Ma mère, elle n'a jamais eu le fluide, elle s'est mariée six fois. Gilda, elle a discuté deux heures avec sa sœur qui est morte à la sortie d'un match de foot. Elles parlaient de la vente d'un appartement, ce n'était pas passionnant, mais à force les « toc-toc » ça fait mal à la tête. Le lendemain, j'ai invité Gilda à prendre un verre chez Ramuncho, un bar spécialisé dans la Vodka au piment. J'ai bu trop de ce cocktail, j'ai mis le feu à la chevelure de Gilda. Les pompiers étaient charmants, ils ne m'ont inondé que jusqu'au cou.

Gilda a rendu sa carte du club. C'est idiot parce nous sommes partis deux jours complets en randonnée dans une ancienne mine de charbon. On était par équipe de deux. Moi j'étais avec Monsieur Vaugirard, un jockey à la retraite. Il était très ennuyeux, il voulait toujours grimper sur mes épaules et me cravacher.

La solitude, c'est triste. C'est désagréable et c'est triste. Quand on est tout seul, les discussions tournent en rond.

Ce que j'ai compris quand même, c'est que lorsqu'on entre dans un club avec des gens, on reste seul. On est seul avec des gens. Et ils sont seuls aussi. Dans mon club, Correspondance & Bonneteau, on est 30. On est 30 solitaires, même si moi j'ai Vaugirard assis sur mon crâne.

Alors, est-ce qu'il vaut mieux être seul chez soi ou seul dans l'arrière-salle d'un restaurant au milieu de 30 types qui se demandent s'ils n'auraient pas été préférable qu'ils restent chez eux ?

C'est la bonne question, hein ? Vous ne pouvez pas vraiment comprendre, vous n'avez pas la carte du club. Moi, j'ai la carte du club. Je sais que suis seul.

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