Trace.

asphalte

Cela me dépassait complètement.

J'avais laissé ma soeur derrière moi, discrète et fragile, fatiguée. Je lui avais bien dit, que le temps passerait, que ses espoirs changeraient, mais elle n'écoutait pas. Elle n'entendait même pas. Fuyant, sauvage, désespéré, je l'avais laissé derrière moi.

Maman aurait aimé nous voir grandir ensemble, papa aussi, sûrement. Mais il n'en était rien. J'avais ma vie et elle la sienne, et il était dommage de mélanger les deux. J'imaginais souvent son rire cristallin, ses sourires aussi.
J'aimais ma soeur, mais je n'étais plus là. Et puis tant pis.

Pourtant, au fond de moi, j'entendais encore ses cris, ses pleures, et la voyais toujours aussi belle qu'elle était ; naïve...

Mes doigts effleurèrent la fenêtre de ma chambre et dessinèrent un coeur dans la buée de ma respiration. C'était presque mécanique, automatique. Mouvement perpétuel au milieu du néant, mes doigts dessinaient et retraçaient ce coeur.

"Alors ça fait trois mois, déjà?" demanda une voix dans mon dos. Ma tête bougea légèrement, ma façon de dire oui, probablement. Je n'en savais trop rien. 3 mois, 3 ans, quelle importance?

"Marc, regarde-moi." Je tournais la tête vers la porte, observait les courbes de cette inconnue. "Parle-moi, Marc." Dans un mouvement de fuite, je reposais les yeux sur le cèdre, dehors. Ses longues branches, son tronc immense et ses couleurs froides... aussi froides que moi.

Ma tête ne demandait qu'une chose, qu'on arrête, mais il était trop tard, et ainsi la torture prendrait fin lors d'un jour improbable... peut-être.

"Marc !" s'impatienta la femme qui m'avait mis au monde. "Marc, parle-moi." s'entêta-t-elle. Non, je ne parlerais pas, non. Qu'avait-elle donc fait pour moi jusqu'à présent? Silence amère.

Ma soeur manquait à l'appel depuis trois mois, et chaque jour le silence s'amplifiait, me faisait peur. Quand reviendrait-elle donc? Mes yeux scrutaient le cèdre comme si il était elle, comme si elle était lui.

Depuis le temps, le coeur de buée avait disparut, et, innocents, mes doigts avaient arrêté leur manège sur le carreau gelé.

"Marc..." commença ma mère. Non, je n'écoutais pas. Depuis trois mois je ne parlais plus, depuis trois moi qu'elle avait disparut, trois mois que cette mère, îlot de méprise, avait abandonné son fils pour les bras de la peur.

Et dans ma tête je reconstituais des archives de paroles, des sonorités. Rien. Néant absolu. Encore, toujours.

Alors dans la buée, je recommençais un coeur, plus beau, plus rond encore, plus joli et plus déterminé aussi. Parce que je l'aimais.

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