Transports en Commun

" - Tu vois, lui, là-bas ? Il trompe sa femme. Ce joli paquet dans ses mains, c'est un cadeau pour sa maîtresse, pour se faire pardonner de ne pas être qu'à elle. Pour la garder encore un peu. Le temps qu'il trouve le courage de dire à sa femme qu'il n'est pas heureux. Quelques délicieux instants volés et une promesse de la rappeler, et il file chez lui, vomir de plates excuses et de copieux mensonges à sa femme qui a perdu l'habitude de l'attendre. Endormis, les non-dits. Enterrés, les rêves. Juste un magnifique désastre agrémenté de la plus tenace des indifférences.
Et elle, assise dans le fond, elle regarde sans cesse son portable, comme si les minutes ne faisaient plus soixante secondes. Comme si le temps s'allongeait et la consumait sur place. Elle s'imagine  son homme, sur le quai de la gare, avec sa valise verte qu'elle trouve horrible et ce même sourire qu'il y a un an, le même qui lui fait des papillons dans le ventre. Elle lutte pour ne pas pleurer, crier de joie et s'écrouler.
Et puis le mec juste à coté, il a pas payé son ticket. Il sait le risque. Il s'en fout. Il s'en fout de tout depuis des semaines. Depuis qu'elle l'a lâchée. Il fait semblant. Il dégringole en silence. Il donne l'air d'aller bien. Les autres donnent l'air de le croire.
Et l'autre là, cachée sous son bonnet. Elle a l'air de lire, mais ça fait une demi heure qu'elle n'a pas tourné de page. En vérité, elle se demande si le mec juste à coté pourrait avoir envie de lui parler, juste une minute. Histoire de se sentir vivante un instant. Mais elle ne fera rien. Comme d'habitude, elle laissera les choses se faire et les choses ne se feront pas.
- Comment tu peux savoir tout ça ?
- Les trajets en bus ce n'est passionnant que pour ça. Je leur invente une vie, à ces ombres pressées et vidées.
- T'as que ça à faire ?
- Mais carrément, ouais ! "