Traquée

plume-scientifique

TRAQUÉE

Elle était là ! Je l’avais vue. Ca y est, elle me traquait.

J’accélérais le pas, les yeux fixés devant moi, des gouttes de sueurs commençant à se dessiner sur mon front. Mes pas claquaient sur le sol. Et si elle me rattrapait ? Cette pensée me fit marcher plus vite encore, m’essoufflant de plus en plus. Ainsi donc, j’avais raison. C’était bien après moi qu’en avait cette folle, cette tueuse, cette dégénérée. Mais pourquoi ? Pourquoi moi ? Et pourquoi tous les autres ?

Depuis six mois on la traquait inlassablement et jamais nous n’avions réussi à l’approcher, à la cerner. Mais là, un simple échange de regard et je savais. Oui, c’était elle. Je devais paraître ridicule, à marcher comme au bord de la course sans jamais vraiment me mettre à courir. Je sentais des auréoles sous mes bras, je soufflais comme un bœuf. Je jetais un œil derrière moi. Toujours là. Plus proche. Elle allait me tuer si je me le laissais rattraper !

Je tournais au hasard dans les rues. Où aller ? Comment lui échapper ? Un magasin ? Non. C’était inutile. Elle était très forte, très maligne. Elle avait déjà réussi à tuer en plein jour, à la vue de tous. Agathe Blumber, trente et un an, dans un supermarché du coin. Empoisonnée par injection, une piqûre rapide et inaperçue. Alors où ?

Je continuais à fuir, bousculant la foule. On râlait sur mon passage, je lâchais des « excusez-moi » rapide et inaudible.

Une église ? Pareil. Ce n’était pas un endroit sûr non plus. Je tournais à gauche. Prendre un taxi ? Oui, bonne idée. Et je savais où en trouver. Je traversais la rue, frôlant les voitures, klaxonnée et insultée de passer alors que ce n’était pas mon tour. Etre renversée ou tuée de sa main, quelle différence ? Je longeais la rue, un regard en biais. Elle était toujours là. Son regard ne me quittait pas. Oh ! Elle savait que je l’avais découverte mais elle ne semblait pas s’en soucier. Peut-être même esquissait-elle un sourire !

Je vis la borne de taxi. Je faisais de grand pas ridicules, comme sur des échasses. Mon sac cognait contre ma hanche et rebondissait de plus en plus loin. Ma frange collait. Je regardais la vitrine d’un magasin ; mon visage était rouge écarlate et je luisais de sueur, la bouche grande ouverte pour respirer. Mon trench me faisait l’effet d’un sauna. Enfin, j’arrivais à la borne. Mon cœur battait à tout rompre. « Un taxi…un taxi… un taxi ! »Marmonnais-je. Une femme me lança un regard mauvais sous-entendant « silence ! Moi aussi je suis pressée mais je n’embête personne ». Je n’arrivais pas à garder mes yeux fixés sur quelque chose, ils furetaient partout et surtout, ils regardaient en arrière. Elle se rapprochait dangereusement. Mais elle ne se pressait pas. Elle avançait, calmement. Son visage n’était pas rouge et transpirant comme le mien, il était froid, insensible comme la mort. Si un taxi ne venait pas maintenant, je repartais. « Un taxi…un taxi, mon Dieu, s’il vous plaît ! ». J’aurais doublé n’importe qui, montrant mon insigne de police s’il le fallait. Mais rien. Alors je repartis aussi vite que possible. C’était fichu ! Mon idée avait sombré aussi vite qu’elle était venue et maintenant, celle qui cherchait à me tuer s’était rapproché !

Sept. La septième victime. Un chiffre porte-malheur.

Benoit Tamarin, quarante-quatre ans, dans un parking, renversé par une voiture.

Agathe Blumber, la fille du supermarché.

Elisabeth Brizh, vingt-sept ans, une caissière d’une boutique de vêtement, étranglée par une ceinture dans la cabine d’essayage.

Marc Sauvageon, trente ans, un expert-comptable, surdose de médicaments dans son whisky.

Et puis…

Le poste de police ! Voilà où me réfugier. Il n’était pas très loin. Deux stations de métro et j’y étais. Sans crier gare, je virevoltais à droite, dans une petite ruelle. Puis à gauche, de nouveau à droite. Dans le dédale des rues étroites, j’espérais la semer. L’éloigner de moi. En me retournant, je ne la vis plus. Mais je n’allais pas m’arrêter pour vérifier ! Je continuais de bonne allure bien que mes talons commencaient à me saigner les pieds. L’idée me vain de passer un coup de fil. Mais à qui ? Il ne me restait personne. Plus de parents, plus de mari, plus d’enfants. La bouche de métro s’ouvrait devant moi, comme l’antre de ma liberté. Je fonçais dedans, dévalant les escaliers, passant les portes de contrôles comme une vandale. Au loin, la sonnette de départ retentit. C’était ma chance ! Je courus et entra juste à temps. Appuyée contre les portes, au bord de l’asphyxie, je souriais bêtement. J’étais sauvée ! Le monstre ne pouvait pas m’avoir suivi.

Deux stations plus tard, je descendis. Encore cinq minutes et j’y serai. Soulagée, je marchais tranquillement. Et je la vis. Impossible ! Comment pouvait-elle être déjà là ? Comment se douterait-elle de là où j’irai ? J’aurais pu descendre n’importe où ! Ou peut-être…Peut-être étais-je mouchardée ?

Elle se tenait là, tranquille, stoïque, raide.

Et soudainement, ma peur, mon angoisse, fit place à la rage, à l’envie de l’affronter. Affronter cette femme, affronter la mort. Non, pas cette femme. Ce monstre. Car quelle femme serait capable de tuer un enfant ? Aucune. Et j’avais besoin de savoir, savoir pourquoi elle commettait ces crimes, savoir pourquoi elle avait choisi ces deux dernières victimes là. Henri… Léa… Pourquoi eux ? Pourquoi les avoir poignardés chez moi ? C’est vrai, je n’étais pas spécialement une bonne épouse ou une bonne mère ; je me plaignais de la mollesse d’Henri, de son côté trop sensible et pas assez masculin, de sa manière à m’avoir poussé à avoir Léa, d’avoir dû renoncer à ma carrière, de cette petite qui demandait trop d’attention, mais tout de même…C’était ma famille ! Pourquoi me traquait-elle ainsi ? Car oui, je le savais, tous ces meurtres étaient des messages envers moi. Tous ces pauvres gens étaient du quartier et peu à peu, elle s’était attaqué à des lieux de plus en plus proches, jusqu’à m’atteindre au cœur même de ma famille. Mais que voulait-elle ?

Lentement, nous nous approchions l’une de l’autre, nous défiant du regard. Il était temps d’y mettre un terme, de s’affronter ! Et il n’était pas question que je perde. Ma poche vibra. Je mis l’oreillette de mon téléphone et décrocha, sans la lâcher du regard.

-Allô ?

Elle avança encore. Son sourire sadique aux lèvres.

-Alice ? Les résultats d’autopsie nous sont parvenus.

-Et ?

-Nous faisons fausse route depuis le début. Tu traques un fantôme, il n’y a pas de tueur.

-Bien sûr que si ! Vociférais-je. Elle est là ! Devant moi !

-Qui est devant toi ?

-La coupable. Elle s’avance. Elle est venue pour moi, je suis la dernière.

-Alice non ! Vas-t-en ! Viens au poste de police.

-Non. Je vais régler tout cela.

-Alice !

Je raccrochais. Nous étions enfin face à face, si proches.

-Tu vas mourir, lui dis-je, ce qui la fit sourire.

-Peut-être. Mais toi aussi.

-Tu vas payer pour tes crimes !

-Mes crimes ? Ce ne sont pas des crimes. Ce que j’ai fais, je l’ai fais pour toi, Alice.

-Va au diable !

Je sortis mon arme de fonction et tira droit devant moi. Malgré tout, je la vis bondir sur moi. Quelque chose de froid me frôla, quelque chose de lisse et coupant et puis, un liquide chaud et poisseux. Le sol heurta ma tête et mes yeux se fermèrent.

« Une sale affaire…une sale affaire ». Répétais inlassablement le lieutenant Georges.

A ses pieds, gisait le corps inanimé d’Alice Azuran, la gorge béante. Les policiers restaient interloqués devant cette scène effroyable, comme soumis à une énigme qu’ils n’arrivaient pas à comprendre. Le lieutenant avait bien sa petite idée sur la question mais il préférait l’ignorer, attendant le verdict des experts, espérant vainement qu’on contredirait sa thèse.

« Vraiment une très sale affaire…

-Lieutenant ? Je peux vous dire ce qu’il en ait.

-Alors ?

-Une balle du révolver d’Alice Azuran a été retrouvé de l’autre côté de la vitrine. Dans ses poches, il y a toutes les preuves que nous recherchions. Quant à la blessure mortelle, inutile d’en rajouter, vous aurez compris de vous-même.

George se passa la main dans les cheveux, visiblement gêné. Que faire ? Il se retrouvait face à un choix cornélien. Donner la paix aux familles des victimes ou assurer les arrières de la police ? Son choix fut rapide.

-Très bien messieurs, l’affaire est classée sans suite.

Les légistes refermèrent le sac enveloppant le cadavre. Dans la salle des dossiers, le lieutenant George terminait de ranger les pièces à conviction avec le dossier de l’affaire dans un carton. Une seringue, le révolver de la policière, la ceinture de son jean, une boîte de médicament, la photographie de la voiture de fonction et un ensemble de couteaux de cuisine retrouvés chez Alice. Il eut du mal à refermer le couvercle, à dire au revoir à cette collègue qu’il avait beaucoup apprécié et dont il n’avait jamais vu qu’elle cachait, très loin en elle, un double meurtrier et psychopathe. Alice traquait depuis six mois un monstre, une ordure qu’elle imaginait exister sans se douter un seul instant que cette personne, c’était elle-même.

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